Rustiques saveurs
Avec une balade gourmande originale, Sylvie Da Silva signe un ouvrage sur la table portugaise. Une cuisine méconnue. Et populaire. Jubilatoire.
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C’est une affaire entendue. Au Portugal, la morue est une « amie fidèle ». Il faut revenir aux grandes découvertes pour raconter cette rencontre entre le peuple portugais et la morue (désignant la transformation du cabillaud frais en poisson salé et séché). « À la conquête du monde, bravant tous deux les océans, ils suivent une même trajectoire qui les lie à jamais », écrit en préambule Sylvie Da Silva dans cet ouvrage très personnel et joliment illustré, Portugal. Balades gourmandes, recettes et art de vivre.
Si la morue arrive en tête dans la longue liste des poissons consommés par les Portugais, s’il est dit qu’il existe 365 façons de la cuisiner, histoire d’en manger tous les jours de l’année, il revient aux Vikings de pêcher la morue les premiers, de la faire sécher pour la conserver de longs mois. Au Moyen Âge, la pêche s’intensifie, chez les Basques surtout, qui peuvent s’enorgueillir d’un atout majeur : le sel, précieux condiment pour la conservation du poisson directement sur les bateaux. Soit un produit durable, qui permet de nourrir les pêcheurs à bord et peut se vendre au bout du monde. L’établissement par l’Église catholique du jeûne et de la consommation d’un repas à base d’aliments froids est aussi une aubaine pour le peuple basque. La morue devient alors une icône religieuse et une manne pour les pêcheurs de Biscaye.
À partir du XVIIIe siècle, on lève chaque année jusqu’à deux millions de tonnes de morue, pleinement inscrite dans l’ère de la pêche industrielle. Avec des effets pervers : longtemps considéré comme le poisson des pauvres, il est devenu un produit de luxe (pareille trajectoire est arrivée au saint-pierre en Bretagne, perçu durant des décennies comme un poisson pour chat, avant d’être sublimé par des chefs, tel Olivier Roellinger). Dans les années 1980, la population atteint son niveau le plus bas, pataugeant dans le répertoire des espèces menacées. Forcément, les prix flambent. En 2007, souligne Sylvie Da Silva, l’Union européenne impose des quotas. Aujourd’hui, la morue trône de nouveau sur les étals des marchés. De quoi, pour l’auteure, décliner ici plusieurs recettes.
Autre produit phare dans cet époustouflant potager au-dessus de la mer : la sardine de l’Atlantique. Il faut croire, avec Sylvie Da Silva, que manger du poisson au Portugal est une affaire sérieuse. Dans le sérieux, il s’agit de respecter la saison, de mai à novembre, d’acheter le poisson du jour, de ferrer sa fraîcheur, avec son œil bombé, sa peau argentée, avant de le griller (tout un art, forcément !). Ritournelle bien portugaise. On ne s’étonnera pas alors de tomber sur un brasero au pied des portes des domiciles. Recettes, tours de main, astuces et accompagnements à la clé.
La soupe de pierre ou celle à la coriandre, les petits pains au chouriço, les beignets de morue, les seiches frites à l’aïoli (un bonheur !), la cassolette de coques, une feijoada, des chinchards frits, ou encore un pot-au-feu de morue, des pommes rôties au porto, un gâteau roulé à l’orange… On dépasse ici largement le pastel de nata.
Surtout, on élargit un tableau culinaire. Du point de vue éditorial, ça change du sempiternel livre sur le chocolat, la cuisine italienne ou la pâtisserie ultra-technique de tel chef de cuisine « meilleur ouvrier de France ». Dans l’humilité, la simplicité, Sylvie Da Silva additionne les recettes du Douro à l’Algarve (dont certaines, lumineuses, privilégiant les accords entre terre et mer), les fêtes traditionnelles et les anecdotes historiques. Surtout, encore, elle pointe une gastronomie méconnue, énigmatique, populaire (avec cette idée cachée : même en cuisine, le plus dur est de faire simple), fondée sur le commerce de la pêche. Une affaire de fragrances, de goûts, de subtilités. Franchement rustique, authentique, sans esbroufe, maligne cette cuisine. Bom apetite, boa viagem…
Portugal. Balades gourmandes, recettes et art de vivre, Sylvie Da Silva, Mango, 208 pages, 29,95 euros.