« Séparatisme » : Une loi qui cible large

Dans le projet de loi contre le « séparatisme », débattu à partir du 1er février à l’Assemblée, les principes de la République que le gouvernement prétend conforter ont un net penchant autoritaire.

Michel Soudais  • 27 janvier 2021 abonnés
« Séparatisme » : Une loi qui cible large
© Amaury Cornu/Hans Lucas/AFP

Les titres donnés par le gouvernement à ses projets de loi correspondent assez rarement à leur contenu. Ils ont même la fâcheuse tendance de s’apparenter à ces packagings alléchants que produit l’industrie agroalimentaire pour nous vendre ses productions les moins ragoûtantes. Avec le projet de loi « confortant le respect des principes de la République » dont les députés débattront dans l’hémicycle à partir du 1er février, le procédé est poussé à son paroxysme. Qui peut être opposé au respect des principes de la République ? Aucun parlementaire en tout cas. Quand bien même aucun élu n’entend ces principes de la même manière que son collègue.

En témoigne le sort réservé à près d’un amendement sur cinq : 336 sur 1 860 ont été déclarés irrecevables sans même être débattus. Cette faculté discrétionnaire qui permet d’écarter sans débat un amendement qui ne serait pas conforme à l’article 45 de la Constitution (1) et à l’éclairage qu’en a donné la jurisprudence du Conseil constitutionnel, est aux mains de la majorité. Le règlement de l’Assemblée donne en effet ce pouvoir aux présidents de commission et aux rapporteurs des textes de rejeter comme « cavalier législatif » un amendement qu’ils jugent sans lien avec le projet de loi initialement déposé. Président de la commission spéciale chargée d’examiner le projet de loi « confortant le respect des principes de la République », François de Rugy en a largement usé contre les amendements présentés par Les Républicains et les groupes de gauche.

Les députés de La France insoumise proposaient-ils « d’instituer une cérémonie funéraire laïque au rang des rites républicains consacrés par la loi » ? Irrecevable, a tranché François de Rugy. Entendaient-ils « honorer la République en faisant du 21 septembre un nouveau jour férié » ? Irrecevable ! Pas question non plus d’« inclure la lutte contre toutes les discriminations (urbaines, ethniques, sociales, et économiques) dans l’enseignement moral et civique, à l’école primaire et au collège ». Ni de spécifier que les « cérémonies d’hommage officiel rendu par la République » devront dorénavant être organisées au Panthéon, ou à l’Hôtel national des Invalides quand il y a honneurs militaires. Rejetés également les amendements en faveur d’une mixité sociale : contre le contournement de la carte scolaire ; contre les établissements d’enseignement international accusés de participer « d’une logique de séparatisme social » ; interdisant la création de résidences fermées par la privatisation de rues ; renforçant les quotas de HLM et les sanctions pour les communes qui ne les respectent pas ; ou bien encore ceux réintroduisant l’ISF, la taxe d’habitation pour les 20 % les plus riches ou un « impôt universel ciblé » afin de lutter contre le séparatisme fiscal d’une partie de la population.

« Tous les amendements que nous avions présentés pour casser [la] ségrégation sociale » qu’évoquait Emmanuel Macron dans son discours des Mureaux, le 2 octobre, « et remettre en cause le séparatisme des riches, l’un étant la conséquence de l’autre, ne pourront être discutés », s’est plaint le député (LFI) Alexis Corbière. Il ne suffit pas en effet qu’un amendement ait un rapport avec le titre ou le thème de la loi pour être recevable. Surtout quand le véritable objectif de ce texte, que masque son titre pompeux, est de lutter contre l’islamisme radical, comme l’ont rappelé tout au long des débats en commission ministres et élus de la majorité.

« La République est attaquée par le terreau du terrorisme, […] les séparatismes, a déclaré le ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, en ouverture des débats en commission. Parmi eux, le premier, le plus dangereux, celui qu’il nous faut combattre ici et maintenant est celui du séparatisme islamiste. »

Toutefois, faute de pouvoir qualifier juridiquement l’islam radical – le mot « islam » est même absent du texte –, le projet de loi bute sur l’impossibilité de transcrire en droit la volonté politique de l’interdire. Aussi touche-t-il, pour tenter de l’endiguer, à des piliers de notre droit comme la loi de 1905 sur la séparation des Églises et de l’État ou les libertés d’association, d’enseignement ou d’expression.

Après 55 heures de débats et l’adoption de 169 amendements, la commission spéciale a donné un premier feu vert à ce texte controversé. Non sans en avoir durci plusieurs aspects. L’interdiction faite aux agents des services publics d’exprimer des opinions religieuses a été étendue aux opinions politiques. En réponse à l’émotion suscitée par l’assassinat de Samuel Paty, les députés ont introduit un délit d’entrave à la fonction d’enseignant visant les pressions et les insultes ; passible d’un an d’emprisonnement et 15 000 euros d’amende, ce délit pourrait être utilisé contre n’importe quel parent d’élève qui conteste le travail d’un enseignant, même incompétent. Les possibilités de dissolution des associations sont étendues, notamment par un alinéa qui permet d’imputer à une association, ou à un groupement, les agissements commis par des membres s’en réclamant, ou liés à ses activités, créant ainsi une « responsabilité collective » absente de notre droit. La répression des certificats de virginité, qui visait initialement les médecins, est étendue à l’entourage des demandeuses. L’arsenal juridique contre la haine en ligne est renforcé par plusieurs dispositions dérogatoires à la loi sur la presse de 1881 qui permettent de juger les auteurs en comparution immédiate.

Les peines passibles dans ce cas sont également durcies lorsque les faits visent un mineur, comme Mila, cette adolescente iséroise, cible de nombreuses menaces de mort après la diffusion d’une vidéo où elle critique violemment et insulte grossièrement l’islam. Contrainte de changer d’établissement scolaire et de se cacher, l’adolescente, qui vit sous protection policière, a récemment réitéré ses propos. Suscitant l’admiration de Marlène Schiappa : « Ceux qui applaudissent Greta Thunberg devraient aussi applaudir Mila », estime la ministre déléguée à la citoyenneté dans un entretien au site internet du Point. La même ministre assurait pourtant en commission ne stigmatiser aucune religion.

(1) « Tout amendement est recevable en première lecture dès lors qu’il présente un lien, même indirect, avec le texte déposé ou transmis. »

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