Souvent virus varie

L’apparition de plusieurs nouveaux variants potentiellement dangereux doit tout au hasard… ou presque.

Jérémie Sieffert  • 20 janvier 2021 abonné·es
Souvent virus varie
Vanda Ortega, infirmière membre de la tribu des Witotos, est devenue, le 18 janvier, la première personne vaccinée à Manaus, par le vaccin chinois Sinovac.
© Marcio JAMES / AFP

Que se passe-t-il à Manaus ? Le 2 janvier, quatre voyageurs arrivés de l’État brésilien de l’Amazonas sont diagnostiqués positifs au Covid-19 après avoir atterri au Japon. Le séquençage de leur virus révèle un nouveau variant jamais observé jusqu’ici. En 2020, la ville de Manaus était déjà devenue un cas d’école. Lors de la première vague de mars à septembre, elle avait été le théâtre d’une véritable tragédie : plus de 2 500 morts (pour 2,2 millions d’habitants et une moyenne d’âge pourtant basse), des hôpitaux saturés, des cadavres entassés dans des camions frigorifiques, des cimetières creusés à la hâte. En octobre, une enquête avait conclu que 76 % des habitants de la ville avaient alors rencontré le virus Sars-Cov-2, faisant dire aux épidémiologistes que ce territoire pourrait être le premier au monde à avoir atteint l’immunité collective.

L’immunité collective, rappelons-le, c’est le seuil à partir duquel une proportion suffisante d’une population dispose d’anticorps pour ralentir, voire arrêter, la propagation d’une maladie. Passé l’hécatombe de 2020, l’espoir était donc que Manaus soit dorénavant tirée d’affaire. Las, comme beaucoup le craignaient, il n’en est rien. Confrontées à une seconde vague très forte, les autorités locales rapportent, depuis les fêtes de fin d’année, une situation d’extrême tension dans les hôpitaux de la ville. Une situation qui interroge les spécialistes. Alors que les études confirment que les personnes guéries acquièrent une immunité pour quelques mois au moins, plusieurs hypothèses sont émises sur ce nouveau variant : soit il est plus contagieux et requiert donc un seuil d’immunité -collective plus élevé ; soit il est plus grave et est donc capable de causer plus de cas sévères dans la population non encore immunisée ; soit il échappe aux anticorps acquis lors de la première infection ; soit les anticorps d’une partie de la population infectée ont disparu ; soit encore, selon des scientifiques d’Oxford qui analysent ces données, et cités par Science (1), c’est un mélange de tout cela.

Ce « variant brésilien » (nommé P1) s’ajoute donc à deux autres qui agitent les conversations depuis deux mois, le « variant anglais » (B117) et celui découvert en Afrique du Sud (501YV2). Pourquoi de nouveaux variants fonctionnels apparaissent-ils subitement après plus d’un an de pandémie avec un virus relativement stable ? Impossible de le savoir précisément (2). Mais les virologues pointent la flambée de cas à l’échelle mondiale à partir d’octobre. En offrant plus d’occasions de mutation au virus, celui-ci finit fatalement par tirer un numéro gagnant. Plus la pandémie dure et plus nous courons le risque de voir apparaître des variants, les uns anodins, les autres redoutables.

Les mutations sont un phénomène connu. Lors de la réplication du virus à l’intérieur des cellules, de minuscules erreurs de copie s’insèrent dans le génome. La plupart de ces erreurs sont dites « non fonctionnelles », c’est-à-dire qu’elles ne modifient pas le « comportement » du virus. Certaines d’entre elles le rendent même non viable, conduisant à l’extinction quasi instantanée de la lignée. Mais il arrive que ces mutations confèrent à la nouvelle particule virale un avantage sur ses congénères, qui favorisera sa reproduction. La sélection naturelle fait ensuite le reste : le variant « avantagé » se reproduira plus vite que les autres jusqu’à potentiellement les supplanter. Contrairement à ce qu’on pourrait penser, le virus n’a pas « intérêt » à rendre son hôte malade, et encore moins à le tuer. Le top de la mutation fonctionnelle, c’est donc de devenir plus transmissible, mais pas plus mortel. Dans le cas de Sars-Cov-2, qui est « relativement » peu mortel (mais suffisamment pour mettre à terre nos systèmes de santé), le Graal de la mutation se situe donc sur la fameuse protéine Spike, celle qui est responsable de l’interaction avec les récepteurs cellulaires humains et qui lui confère sa forme de « couronne ».

Depuis le premier séquençage génétique, en janvier 2020, des milliers de variants ont été identifiés et ont servi aux épidémiologistes à tracer les chaînes de transmission. Mais quasiment aucun de ces variants n’était fonctionnel, ce qui a fait dire à de nombreux virologues que le nouveau coronavirus mutait relativement « peu » pour un virus à ARN. On se souvient pourtant de la mutation dite D614G, apparue dès février 2020 en Europe. Réputée plus transmissible que le variant originel de Wuhan, c’est la lignée qui fut responsable de la première vague en Europe avant de devenir dominante à l’échelle mondiale à partir de septembre. On se souvient aussi d’un variant issu des élevages de visons danois, qui avait infecté au moins 214 personnes début novembre, justifiant l’abattage de millions de ces petits mammifères à fourrure, mais sans prendre de trajectoire épidémique.

Contrairement à ce qu’on pourrait croire, un variant plus contagieux est bien plus dangereux qu’un variant plus mortel. En cause, le grand nombre total de cas, responsables in fine de beaucoup plus de morts, même avec une mortalité moindre. En cause, également, la plus grande difficulté à contrôler l’épidémie avec les mesures qui ont fait jusqu’à présent leurs preuves : masques, distances physiques, gestes barrières et, en ultime recours, couvre-feu et confinement.

Dans le cas des deux nouveaux variants 501YV2 et P1, les mutations n’inquiètent pas seulement les épidémiologistes, mais également les immunologues. En cause, une mutation commune (E484K) dans la séquence codant la protéine Spike qui pourrait leur permettre d’échapper en partie aux anticorps (mais en partie seulement, car d’autres éléments de la protéine devraient rester reconnus). La présence d’une mutation commune sur plusieurs souches distinctes pourrait signifier, selon les scientifiques, que celle-ci confère au virus un avantage reproductif, même si celui-ci reste mal connu. Mais surtout rien n’empêcherait, avec l’augmentation du nombre de cas, l’apparition de nouveaux variants encore plus embêtants. On mesure alors la responsabilité des dirigeants comme Jair Bolsonaro ou Donald Trump, qui n’ont eu de cesse de minimiser le problème, incitant même leurs populations à s’infecter pour atteindre cette lubie libertarienne de l’immunité collective (3), « stratégie » dont les nouveaux variants devraient logiquement signer l’échec définitif. La Suède, seul pays européen à avoir sciemment choisi cette option, a d’ailleurs annoncé en décembre un revirement total. Mais, si l’administration Biden devrait réorganiser la lutte aux États-Unis, quelle prise peut bien avoir la logique sur un Bolsonaro ?

Face à cette menace, l’espoir réside dans une accélération de la campagne de vaccination et, en attendant qu’elle produise ses premiers effets, un maintien strict des mesures de contrôle. Sur ce dernier point, de nombreuses voix appellent notamment à mettre en place un véritable système de quarantaine pour les voyageurs, quelles que soient leur provenance ou leur destination, pour lutter contre un virus, qui, on le sait, voyage très bien. Cette nouvelle phase de la pandémie devrait également plaider pour un renforcement de l’OMS, affaiblie par Trump et qui ne parvient déjà pas à mener proprement l’enquête, pourtant fondamentale, sur les origines de Sars-Cov-2, en raison des limites fixées par le pouvoir chinois. Le 15 janvier, l’agence onusienne a notamment appelé à étendre le séquençage génétique des tests pour surveiller les mutations.

Côté vaccins, Katalin Kariko, la chercheuse à l’origine des découvertes sur l’ARN messager, a récemment expliqué que cette technique permettrait une reformulation très rapide, y compris contre plusieurs souches à la fois. Pour Ugur Sahin, fondateur de BioNTech (partenaire de Pfizer pour la production du premier vaccin certifié en France), une telle correction ne prendrait que « six semaines ». Reste à connaître la position des autorités sanitaires (et de l’opinion) sur ces nouvelles formules. Devront-elles notamment repasser toute la phase des essais cliniques ? Et que dire de l’inégalité d’accès aux vaccins entre pays riches et pays pauvres ? Le 18 janvier, le directeur général de l’OMS a alerté contre un possible « échec moral catastrophique », fustigeant l’attitude « égoïste » des pays riches et des fabricants de vaccins. Mais en la matière, la solidarité internationale n’est pas seulement une question morale. Si l’on admet que les mutations sont favorisées par un haut niveau de circulation virale, elle est aussi une nécessité absolue. Dans tous les cas, c’est une course de vitesse qui s’amorce entre mutations et vaccins. Une course que nous pouvons encore gagner… À condition de ne pas déclarer forfait.

(1) « New coronavirus variants could cause more reinfections, require updated vaccines », Kai Kupferschmidt, _Science, 15 janvier 2021.

(2) L’une des hypothèses serait que des essais cliniques sur les anticorps monoclonaux auraient pu sélectionner les variants résistants chez des malades atteints de Covid long. Ou tout simplement… la malchance !

(3) Techniquement, la vaccination de masse est également un moyen d’atteindre l’immunité collective, mais plus rapide et sans les morts.

Société Santé
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