Variants, la nouvelle bataille
L’apparition de mutants du virus du Covid-19 beaucoup plus contagieux que la souche initiale accentue la pression sur la vaccination et déstabilise les stratégies sanitaires. Jusqu’où ?
dans l’hebdo N° 1637 Acheter ce numéro
L’année 2020 s’était achevée sur une sérieuse note optimiste : renversant les pronostics, plusieurs laboratoires pharmaceutiques avaient réussi la prouesse de mettre au point des vaccins en apparence très efficaces contre le virus Sars-Cov-2, et en quelques mois à peine quand les développements classiques se comptaient auparavant en années. Alors que les tentatives d’accéder à l’immunité collective en laissant le virus se propager plus ou moins naturellement au sein de la population, prônées un temps par certains gouvernements, se sont révélées intenables (saturation des services sanitaires, grosses perturbations économiques, grand nombre de décès), et que les stratégies « barrières » semblaient devoir inéluctablement se ponctuer par des confinements à répétition au moindre frémissement vers le haut des courbes de contamination, on tenait enfin une arme de gros calibre contre le micro-organisme : la vaccination massive. Et peut-être le moyen politique de prévoir un horizon de « fin » de la pandémie, en modélisant l’effet de l’immunisation progressive de la population sur la propagation du virus.
De solide, l’espoir s’est brusquement étiolé, depuis quelques semaines, avec l’apparition des variants dits « anglais », « sud-africain » puis « japonais » (ou « brésilien ») en fonction des pays où ils ont été révélés. Car, même si elles ne déclenchent pas des formes plus graves de la maladie, les modifications du génome de ces versions ne sont pas anodines : ces mutants sont beaucoup plus contagieux, jusqu’à 70 % pour le variant « anglais » (le mieux étudié), et présentent pour les deux derniers une résistance potentielle aux vaccins (voir ci-contre).
Déferlante sur l’Irlande
Début janvier, les réjouissances des fêtes de fin d’année se sont brutalement dissoutes dans la réalité, en Irlande. « Nous faisons face à un tsunami de contaminations », lance, alarmé, le Premier ministre, Micheal Martin, et les hôpitaux irlandais, qui manquent de lits de réanimation, « sont en état de siège ». En l’espace de dix jours, le nombre total de contaminations, depuis le début de l’épidémie, a bondi de 50 %. Le pays, qui compte 5 millions d’habitants (7 % de la population française), a recensé 50 000 nouveaux cas. Pendant cette courte période, l’Irlande a détenu le record mondial de vitesse de propagation du virus, avec une moyenne de 1 323 nouveaux cas quotidiens détectés par million d’habitants. Fin décembre, le gouvernement décide en urgence d’un confinement, le troisième depuis le début de la pandémie, y compris la fermeture des classes pendant un mois.
Que s’est-il passé, alors que le pays affichait de très honorables résultats dans la gestion de la pandémie, à l’échelle européenne ? Il y a certes eu le relâchement des fêtes, passées sans confinement, qui voient le retour au pays de dizaines de milliers de nationaux émigrés, et surtout la réouverture, contre l’avis des scientifiques, des restaurants et des pubs entre le 7 et le 24 décembre. Mais aussi une terrible et soudaine vague de contamination par le variant anglais du virus, illustrant l’impact potentiel de ce type de mutant sur la dynamique de diffusion de la maladie. Le variant, identifié dans une quinzaine de cas fin décembre, était responsable de près de la moitié des nouvelles contaminations deux semaines plus tard.
Manque de visibilité
Les tests PCR, s’ils réagissent à la présence des variants, ne livrent pas l’identité de la souche détectée. Pour tenter d’obtenir une image correcte de la proportion des différentes versions du virus en circulation, il faut alors procéder à un séquençage du génome pour chaque test PCR positif. Actuellement, les laboratoires français sont insuffisamment équipés pour de tels coups de sonde réguliers à l’échelle du territoire.
Nouvelles vagues
Plus contagieux que la souche précédente, les mutants ont une forte probabilité statistique de la dominer à terme. En Irlande, ce basculement s’est opéré de manière foudroyante (lire page 8). Début janvier, une enquête ponctuelle avait déjà repéré le variant « anglais » dans 1,4 % des cas de Covid-19 diagnostiqués en France. Sur cette base, l’Inserm estime qu’il pourrait être responsable de la majorité des tests positifs entre fin février et mi-mars en considérant l’hypothèse qu’il se diffuse 70 % plus vite que la souche initiale, comme semblent l’indiquer certaines études britanniques. Un taux moindre, de 50 %, ne décalerait que de deux semaines la date de suprématie du nouveau venu. À la clé, se dessine au printemps une première vague de cas « à variant anglais », qui se superposerait à l’épidémie « classique ». Dans un avis transmis au gouvernement, le Haut Conseil de la santé publique recommande déjà de généraliser l’adoption des masques chirurgicaux ou en tissu de catégorie 1, filtrant les particules expirées à plus de 90 %, considérant que l’efficacité des modèles tout-venant ou artisanaux est trop limitée pour freiner suffisamment la propagation des variants. Si ces projections épidémiologiques de l’Inserm connaissaient un début de confirmation, un nouveau confinement deviendrait incontournable pour calmer les courbes, ce que la couverture vaccinale ne sera pas en mesure de faire dans un délai aussi court.
Vaccination trop lente
Déjà fustigé pour la lenteur de son démarrage, le dispositif de vaccination français était toujours en rodage lundi 18 janvier, à l’ouverture des centres aux personnes âgées de plus de 75 ans hors Ehpad. Dans l’hypothèse d’une accélération des contaminations, et faute d’un coup de collier d’ampleur à brève échéance dans la campagne de vaccination, la course à l’immunisation se jouerait à l’arrière du peloton pour la France pendant plusieurs mois.
Des vaccins efficaces ?
Les laboratoires Pfizer et BioNTech assurent que leur vaccin reste efficace contre le variant anglais. Cependant, la question reste actuellement en suspens pour les variants sud-africain et brésilo-japonais. Et si les chercheurs expliquent que la technologie « à brin d’ARN », base des vaccins contre le Covid-19, est suffisamment souple pour permettre d’adapter, en quelques semaines, la formulation aux mutations, rien n’indique à ce jour que la méthode serait appropriée pour contrer l’évolution spécifique de ces deux derniers variants, les plus préoccupants.
Vacciner les enfants ?
Le variant anglais semblerait circuler plus facilement chez les jeunes, selon les observations menées au Royaume-Uni et aux Pays-Bas notamment. Olivier Véran a d’ores et déjà annoncé un protocole de surveillance visant à dépister jusqu’à un million d’enfants et d’enseignants par mois. Si les craintes se confirment, l’immunologue Alain Fischer, le « Monsieur vaccin » du gouvernement français, évoque la possibilité d’étendre la vaccination aux enfants pour couper plus radicalement les voies de diffusion des variants. Et en ligne de mire, le retour de l’hypothèse d’une fermeture des écoles, jusque-là écartée.
Pouvoir des labos
L’annonce par Pfizer, le 15 janvier, d’un retard de deux semaines dans la livraison de lots de doses, en raison d’une modification technique de ses chaînes de production en Belgique, a suscité un tollé mêlé de panique. Délai ramené à une semaine à la suite de pressions politiques. Avec la diffusion des variants, les pouvoirs publics risquent d’être de plus en plus soumis à la stratégie des laboratoires. Le directeur général de l’OMS, Tedros Adhanom Ghebreyesus, fait ainsi état de sa grave préoccupation pour les pays pauvres, exclus de la distribution des vaccins : la course aux doses se joue actuellement entre pays capables de les payer, dont les laboratoires sollicitent en priorité l’agrément sanitaire plutôt que de soumettre leurs résultats à l’OMS, qui pourrait valider l’utilisation de leurs vaccins à l’échelle mondiale. « Un des pays au plus bas revenu du monde n’a encore pu administrer que 25 doses seulement », se scandalisait Ghebreyesus, le lundi 18 janvier. Le scénario catastrophe consisterait à laisser se creuser un fossé entre les populations vaccinées et celles qui ne le sont pas, ces dernières d’autant plus soumises à la propagation des variants. Une inégalité qui serait renforcée par un « passeport vaccinal » pour traverser les frontières, actant le repli de la citadelle des pays riches.