Catherine Blondeau : Naissance d’une couleur
Dans Blanche, Catherine Blondeau puise dans son expérience pour cerner les contours de sa blancheur. Avec finesse, elle ouvre des voies vers une nouvelle « poétique de la relation ».
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Au Grand T à Nantes, qu’elle dirige depuis 2011, Catherine Blondeau entend développer un « théâtre de la relation ». Empruntée à Édouard Glissant, qu’elle n’oublie pas de citer dès que l’occasion se présente, l’expression désigne pour elle un « joyeux creuset où s’écrivent nos identités mouvantes, tremblées, hésitantes, nos histoires les plus intimes comme les plus épiques, les plus anciennes comme les plus actuelles », lit-on sur le site Internet du théâtre, dans un édito-manifeste que sa directrice n’a pas eu à renier en dix ans à la tête du lieu. Elle a par exemple tissé un partenariat avec le festival Les Récréâtrales à Ouagadougou (Burkina Faso), qui aurait dû donner lieu à un temps fort en décembre 2020, si un virus qui s’éternise ne s’en était mêlé.
L’engagement et la réflexion de Catherine Blondeau sur un art partageur, en particulier à travers un dialogue entre France et Afrique, ne date pas d’hier. Elle le laissait deviner dans son premier roman, Débutants (Mémoire d’encrier, 2019), fresque historique dont les héros sont un archéologue sud–africain, un traducteur anglais et une jeune Polonaise tenant une maison d’hôtes dans un village de Dordogne où se nouent les trois destins. On retrouve cet entremêlement des cultures dans Blanche, dont l’exergue donne une couleur qui n’est pas celle qu’annonce le titre : « Dans le monde où je m’achemine, je me crée interminablement », de Frantz Fanon. En citant l’auteur de Peau noire, masque blanc au seuil de son livre, l’auteure place la couleur de peau et l’identité sous le signe du doute.
Qu’est-ce qu’être blanche ? Qu’est-ce que cela implique aujourd’hui ? Pour répondre à ces questions qui taraudent beaucoup moins d’auteurs français que d’écrivains africains, Catherine Blondeau opte pour une enquête autobiographique. Elle commence par traquer les signes précurseurs de sa blancheur – sa prise de conscience de ce que signifie être blanche dans un pays à la mémoire coloniale encore vive – dans son enfance. Alors qu’elle pense n’être d’aucune couleur particulière, relate-t-elle par exemple, elle lit au collège L’Enfant noir de Camara Laye. Ce n’est toutefois pas un déclic, pas encore. Il lui faut du temps et de nombreuses rencontres réelles et littéraires pour reconnaître dans le blanc une couleur. Et pour imaginer une manière à elle de composer avec.
Précise, sans complaisance, l’écriture de Blanche a l’intelligence et la force de la prose « au couteau » d’Annie Ernaux. En détaillant en de courts chapitres construits comme des nouvelles des situations vécues en France, en Afrique du Sud et en Pologne, Catherine Blondeau se fait sa propre archéologue. La méthode est aussi passionnante que ses résultats. Ses outils de fouille sont divers, à l’image du parcours de l’auteure : avant de prendre la direction du Grand T, elle a été maîtresse de conférences en littérature et arts du spectacle à l’université de Rouen, directrice de l’Institut français d’Afrique du Sud à Johannesburg, attachée culturelle à Varsovie et conseillère artistique du festival Automne en Normandie. En puisant dans sa vie comme dans les œuvres d’artistes africains et caribéens qu’elle fréquente assidûment, Catherine Blondeau apporte une belle et importante contribution à la « poétique de la relation » qu’elle appelle de ses vœux.
Blanche, Catherine Blondeau, Mémoire d’encrier, 237 p., 19 euros. En librairie le 4 mars.