Grandpuits : À pipeau Total, combat total

En prétendant licencier pour verdir son activité, le groupe pétrolier a transformé la lutte des grévistes de la raffinerie de Grandpuits en un combat pivot à la fois pour les syndicalistes et les écologistes.

Clémence Dubois  • 10 février 2021
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Grandpuits : À pipeau Total, combat total
Grève des salariés de Grandpuits au siège de Total à la Défense, le 26 Janvier 2021.
© Éric PIERMONT / AFP

Depuis septembre 2020, les salariés de la raffinerie de Grandpuits (Seine-et-Marne) sont en grève contre un plan de reconversion qui menace 700 emplois (1). L’objectif affiché par Total : « accélérer la transformation du groupe » et « verdir la production d’énergie » pour devenir une « major environnementale ».

Des organisations du collectif Plus jamais ça (allant de Greenpeace à la CGT) se sont penchées sur la proposition de la multinationale et sont loin d’être convaincues (2). Pire, dans la stratégie de Total, les 700 salariés menacés de licenciement – après avoir été exposés des années durant à des produits toxiques – sont tenus de payer le prix pour que quelques dizaines de multinationales puissent continuer à faire des profits records en asphyxiant sept milliards et demi de personnes sur la Terre.

C’est ce projet de licencier, officiellement au nom d’une transformation effrontément présentée comme « plateforme zéro pétrole », qui a mis le feu aux poudres. D’autant que le PDG de Total, Patrick Pouyanné, revendique publiquement de tout miser sur le pétrole à bas coût (3). Ces dernières semaines, la lutte de Grandpuits s’est ainsi installée comme un combat pivot dans le camp des écologistes comme dans celui des syndicats, incarnant de façon exemplaire un ensemble de problèmes structurels auxquels il est urgent de répondre. La direction de Total a cru pouvoir diviser en opposant l’écologie au social. Or il est aujourd’hui flagrant que ces urgences, loin de s’opposer, se cumulent – en Ouganda comme à Grandpuits, à Lacq comme en Arctique.

Car ces hydrocarbures « pas chers » que Total cite comme le fer de lance de son développement dans les prochaines années seront évidemment extraits là où il est plus facile d’écraser les voix des populations et où règne une absence de régulation. En effet, parmi les plus gros investissements de Total à ce jour, on trouve des projets titanesques au Mozambique, privant des communautés entières de leurs moyens de subsistance et attisant violence et répression (4). Ou encore en Ouganda (5), où la compagnie entend extraire 200 000 barils par jour à travers un parc naturel protégé, ou enfin la monstrueuse plateforme permettant de prélever le gaz de l’Arctique fondu (6).

Personne ne prétend détenir la formule magique permettant de basculer du jour au lendemain d’un système carboné à une transition globale juste. Cependant, selon l’Organisation internationale du travail, la transition bas carbone permettrait la création nette de 18 millions d’emplois d’ici à 2030. En France, les études et les scénarios de transition énergétique évoquent une création potentielle allant de 280 000 à 400 000 emplois non délocalisables (7). Les filières de la transition énergétique génèrent déjà davantage d’emplois que celles liées aux énergies fossiles comme fissiles (8). Pourtant, plutôt qu’à des PME ancrées dans le tissu économique national, les milliards injectés dans les plans de relance, notamment à travers les banques centrales, continuent de bénéficier à des entreprises telles que Total – sans qu’y soient adossées de quelconques conditions sociales ou environnementales.

Si les décideurs cessent d’être les prisonniers volontaires du statu quo, les pistes à explorer et les alternatives à démultiplier ne manquent donc pas (9). Une chose est sûre : il n’y a rien à attendre de Total. Comme toutes les entreprises de l’industrie fossile, dont le déclin est inévitable, la multinationale cherchera année après année à sacrifier ses salariés pour tenter de satisfaire désespérément ses actionnaires. Elle continuera, si elle en a le champ libre, d’opposer l’argument de la transition bas carbone aux travailleurs européens, tout en développant les projets les plus polluants partout ailleurs.

Plutôt que de laisser le secteur privé définir seul les conditions de sa supposée transition, voici une importante mission pour les gouvernements, qui déploient de nombreux programmes d’investissements pour contrer la crise économique : démanteler et désarmer l’industrie fossile tout en incluant et en anticipant la protection des travailleurs et des communautés affectées.

Continuons à soutenir les grévistes à Grandpuits en participant à leur caisse de grève (10).

Clémence Dubois Responsable France pour 350.org.

(1) Lire l’article d’Erwan Manac’h dans le n° 1636 de Politis, du 14 janvier 2021.

(2) « Reconversion de la raffinerie de Grandpuits, pourquoi le projet de Total n’est ni écolo ni juste », janvier 2021, disponible sur www.amisdelaterre.org

(3) « Total : l’exploration pétrolière va continuer, souligne le PDG », Ouest-France, 8 janvier 2021.

(4) « Mozambique : de l’Eldorado gazier au chaos », sur Facebook.

(5) www.totalautribunal.org

(6) « Protégeons l’Arctique des forages de Total », sur act.350.org

(7) « Évaluation macroéconomique des visions énergétiques, 2030-2050 », Ademe, 2014.

(8) « La transition énergétique est-elle favorable aux branches à fort contenu en emplois ? », Philippe Quirion, Quentin Perrier, Revue d’économie politique, 2017/5.

(9) Petit traité de sobriété énergétique, Barbara Nicoloso, éditions Charles Léopold Meyer, 2021.

(10) Caisse de grève des raffineurs de Grandpuits, sur www.cotizup.com

Publié dans
Le temps du climat
Temps de lecture : 4 minutes
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