« Islamo-gauchisme » : Le retour de l’Anti-France
Les déclarations de Frédérique Vidal sur « l’islamo-gauchisme » s’inscrivent dans une bataille politique de délégitimation de la gauche qui dépasse le strict cadre universitaire.
dans l’hebdo N° 1642 Acheter ce numéro
Vulgaire cabale ou offensive idéologique ? Les déclarations de Frédérique Vidal sur CNews, le 14 février, annonçant son intention de « demander au CNRS de faire une enquête sur l’ensemble des courants de recherche dans l’Université » qualifiés d’« islamo-gauchisme » par la ministre afin de « distinguer ce qui relève de la recherche académique de ce qui relève du militantisme, de l’opinion » ont suscité à juste titre l’indignation des présidents d’université et du CNRS.
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Ce n’est pas la première fois que des courants de recherche en sciences humaines sont accusés dans les médias de frilosité face à l’islamisme. Y compris de la part de professeurs et de chercheurs en conflit intellectuel avec eux. Une centaine d’entre eux s’étaient érigés en censeurs des « idéologies indigéniste, racialiste et “décoloniale” » dans un « Manifeste », publié début novembre, réclamant la mise en place de _« mesures de détection des dérives islamistes » dans l’université. Mais il est inédit qu’une ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche prenne ainsi parti dans une cabale sur fond de querelles idéologiques et de rivalités de carrière. En validant une pseudo-enquête du Figaro (12 février) qui accusait, sur cinq colonnes à sa une, « l’islamo-gauchisme de gangrener l’université », en acquiesçant aux propos de Jean-Pierre Elkabbach, qui y voit « une sorte d’alliance entre Mao Tsé-toung et l’ayatollah Khomeini » (sic), Frédérique Vidal, dont le ministère est aussi celui de « l’Innovation », innove. Et se déconsidère intellectuellement.
Il serait naïf de ne voir dans cette sortie de route qu’un dérapage d’une ministre mal aguerrie qui serait tombée dans le piège tendu par un journaliste habitué à en tendre. Ce qu’a fort bien saisi le président de Sorbonne Université, Jean Chambaz, interrogé sur France Info le 18 février : « Il y a une orientation du gouvernement qui va draguer des secteurs de l’opinion publique dans des endroits assez nauséabonds. » Pour les besoins d’une offensive politique qui ne se limite pas au cadre universitaire. C’est ce qu’il faut (bien) entendre dans les propos de Frédérique Vidal, qui soutient d’ailleurs que « l’islamo-gauchisme gangrène la société dans son ensemble », au sein de laquelle « l’Université n’est pas imperméable ». Biologiste de formation, elle ne peut ignorer que la gangrène est une pathologie médicale, et non sociale, dont l’issue courante est l’amputation. En la diagnostiquant dans « la société dans son ensemble », elle va plus loin que son collègue Jean-Michel Blanquer qui, en octobre, assurait que « l’islamo-gauchisme fait des ravages à l’université ».
Signe que ses propos n’étaient pas qu’un dérapage, Frédérique Vidal a depuis récidivé. Et reçu l’appui de plusieurs poids lourds du gouvernement. Gérald Darmanin, qui la trouve « très courageuse » , assure que « ce qu’elle dit est une vérité ». Jean-Michel Blanquer, quant à lui, considère que « l’islamo-gauchisme » est « un fait social indubitable » qu’il faut « regarder en face ».
Que « l’islamo-gauchisme » soit dénué de réalité – personne ne se définit comme tel – leur importe peu. Ce qualificatif non défini scientifiquement, quoi que prétende Pierre-André Taguieff qui en revendique la paternité, mais très prisé des droites extrêmes n’est qu’une insulte utilisée pour disqualifier celles et ceux qu’elle désigne. Bâti sur le modèle lexical de « judéo-bolchévique » ou « judéo-maçonnique », qui incarnaient « l’Anti-France » dans la démonologie de l’extrême droite des années 1930, il désigne inévitablement à la vindicte publique un conspirateur, un traître à la nation qu’il faut impérativement mettre au ban de la communauté nationale.
En politique, les mots peuvent être des armes. Ce qualificatif infamant en est une dont les macroniens, à l’instar des lepénistes, les yeux rivés sur 2022, se servent pour instiller dans l’esprit des électeurs la peur de tout ce qui se réclame de la gauche. Et diaboliser, avec l’appui d’une flopée de médias, les responsables de La France insoumise, singulièrement Jean-Luc Mélenchon, les écologistes d’EELV, ou les amis de Benoît Hamon.