La dette publique comme rapport de classe
Les dettes sont en majorité le résultat d’une baisse colossale des impôts des riches.
dans l’hebdo N° 1640 Acheter ce numéro
La forte augmentation des dettes publiques depuis le début de la pandémie a réveillé le spectre d’une crise des dettes souveraines, comme celle de 2010. Il faut se souvenir qu’en 2008 tous les gouvernements avaient apporté leur soutien, quoi qu’il en coûte, au secteur bancaire afin d’éviter un scénario type 1929. Mais, dès 2010, les marchés financiers se sont retournés en jugeant que les niveaux de dette publique de certains États européens étaient trop élevés. Cette défiance des investisseurs sur les marchés a poussé les États à mener des politiques d’austérité pour les rassurer. On n’en est pas encore là, mais rien ne permet d’écarter un retournement des marchés financiers. Les politiques d’austérité seraient d’autant plus catastrophiques qu’elles retarderaient encore l’urgente transition écologique.
C’est dans ce contexte que s’est engagé un débat sur l’annulation des dettes publiques détenues par la Banque centrale européenne. La position des économistes libéraux consiste à rappeler que toute dette doit être remboursée, quel que soit le contexte politique de sa création. C’est ce que fait Bruno Le Maire en rappelant qu’il faudra à terme « désendetter le pays », même s’il n’exclut pas un cantonnement de la dette liée au Covid-19 ou un allongement de sa durée. La deuxième position, plus à gauche, estime que les conditions de financement des États permettent non seulement de rembourser la dette Covid mais aussi de financer la transition écologique. La dernière prône l’annulation de la part de la dette détenue par la BCE et les banques centrales nationales afin de baisser le niveau d’endettement des États sans spolier ceux qui détiennent des titres de dettes publiques (en majorité des banques, assurances et fonds de pension). Dans ce cas, le niveau des dettes publiques affiché baisse sans léser personne, ce qui est censé rassurer les marchés financiers.
Toutes ces positions ont en commun de ne pas remettre en question les rapports sociaux qui structurent et maintiennent les dettes publiques en régime néolibéral. Ces dettes sont en majorité le résultat d’une baisse colossale des impôts des riches, rémunérés par ailleurs via les intérêts de la dette : c’est ce qu’on nomme le double dividende. Mais, pour engager une véritable transition sociale et écologique, ajouter des investissements publics verts, avec ou sans annulation de la dette détenue par la BCE, est insuffisant, car cela ne modifie en rien les inégalités économiques. La condition de la transition écologique, sociale et démocratique, c’est la réduction des inégalités par le haut. C’est réduire les hauts revenus et les inégalités de patrimoine. Cela permet de réduire l’empreinte écologique des plus riches, qui est considérable, mais surtout de limiter leur pouvoir politique, car leurs intérêts ne vont pas dans le sens d’une transition écologique. Lorsque l’État s’endette sur les marchés financiers, un rapport de dépendance le lie aux intérêts de ceux qui détiennent sa dette, c’est-à-dire les plus riches. N’est-il pas temps de rompre cette dépendance et d’envisager enfin des impôts et une répudiation des dettes détenues pour les plus riches ?
**Mireille Bruyère** Membre du conseil scientifique d’Attac.
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