Mineurs étrangers : « À chaque fois qu’on leur donne leur chance, ils sont au rendez-vous »
Pour Dieudonné Kobanda Ngbenza, faire confiance aux jeunes étrangers isolés est payant à la fois pour eux et pour la société.
dans l’hebdo N° 1641 Acheter ce numéro
Docteur en sociologie et responsable d’un centre d’accueil pour exilés à Paris, Dieudonné Kobanda Ngbenza est également auteur d’Enfants isolés étrangers : une vie et un parcours fait d’obstacles. Il pointe le désarroi des jeunes dont l’administration conteste la minorité, et plaide pour une prise en charge au bénéfice de tous.
Combien de mineurs isolés y a-t-il en France ?
Dieudonné Kobanda Ngbenza : Les autorités avancent le chiffre de 40 000 à 50 000 candidats à la minorité chaque année, dont seulement 9 500 ont été reconnus en 2020, 16 700 en 2019, 17 000 en 2018, 14 900 en 2017 et 8 000 en 2016. Environ 60 à 85 % de candidats ne sont donc pas reconnus. Dans ce contexte de soupçon permanent des pouvoirs publics, qui les traitent comme des menteurs et des tricheurs, en réalité, très peu font les démarches en vue d’une prise en charge. Au final, on ne sait pas combien de mineurs isolés il y a sur le territoire.
Depuis quand cette situation perdure-t-elle ?
On a commencé à voir arriver des jeunes exilés dans les années 1990. Avant les années 2000, on ne les considérait pas comme des enfants. L’aide sociale à l’enfance (ASE), compétence du département, renvoyait la balle à l’État parce qu’ils étaient étrangers. Pour les pouvoirs publics cette qualité était plus importante que leur isolement. Au tournant des années 2000, l’ASE a commencé à les prendre en charge. Mais à partir de 2010, les départements se sont plaints du manque de moyens donnés par l’État. La prise en charge s’est étiolée, on a mis ces enfants dans des foyers ou des hôtels, sans accompagnement ni scolarisation. Cette situation confronte la France à son engagement dans la convention des droits de l’enfant signée le 20 novembre 1989. On a l’impression que cette convention ne concerne que les enfants français. Or même dans l’article 375 du code civil, qui permet la prise en charge d’un enfant en difficulté, il n’y a aucun critère de nationalité.
Comment ces jeunes vivent-ils cette situation ?
Très mal. Je me souviens d’un jeune dont la minorité était contestée, qui, dès qu’il a reçu le courrier de l’ASE expliquant qu’il n’était pas reconnu mineur et risquait d’être expulsé, s’est suicidé. Une autre fois, dans le centre d’accueil que je gère, nous avions, au départ, refusé un jeune qui était clairement mineur. Notre centre n’accueille que des majeurs mais l’ASE refusait de reconnaître sa minorité. Nous étions dans l’embarras et quand nous lui en avons parlé, il s’est mis à pleurer. Il était complètement perdu. Nous l’avons gardé mais il a eu tellement peur qu’il s’est enfui. Il faut comprendre le désarroi total dans lequel les plonge cette non-reconnaissance de leur minorité, alors qu’on sait à quel point son évaluation est contestable. Les candidats ne demandent qu’à avoir une vie normale et on leur refuse. Je crois que le pire reste cette procédure de tests osseux. C’est hallucinant qu’on se fonde sur un test dont même les auteurs reconnaissent qu’il n’est pas fiable et qu’il y a une erreur potentielle de 24 mois. Pour un gamin de 16 ans, ça change tout !
Aujourd’hui la mobilisation pour ces jeunes se concentre surtout autour de brillants apprentis, que leurs patrons veulent garder coûte que coûte. On a l’impression que s’ils ne sont pas brillants, finalement, on ne se bat pas pour eux.
Un jeune étranger subit une pression, parfois inconsciente, qui lui dit : « Si vous n’êtes pas meilleur que les autres, vous n’aurez pas de papiers. » Paradoxalement, c’est une pression qui peut être positive car force est de constater que ceux qui sont pris en charge correctement ont une réussite au-dessus de la moyenne. Le fait d’être stabilisé, de ne plus avoir le souci de la survie, leur permet de se concentrer sur l’essentiel et ils donnent tout ce qu’ils peuvent. À chaque fois qu’on leur donne leur chance, ils sont au rendez-vous. Si on ne leur donne pas les moyens de s’insérer, on les laisse à la merci de réseaux criminels qui s’en servent comme main-d’œuvre. On crée alors notre propre fardeau. Il faut absolument leur faire confiance.
Cette question des jeunes apprentis brillants qu’on ne veut pas reconnaître est ancienne mais la mobilisation des petits patrons permet une mise en lumière incontestable. Certes sur des cas particuliers mais ça change beaucoup de choses : les Français se rendent compte que la problématique est en bas de chez eux, chez leurs artisans, que ça touche à leur quotidien.