Quel avenir pour le peuple sahraoui ?

Alors que l’attitude du Maroc a attisé la colère de la jeunesse, l’Occident doit se mobiliser contre cette situation coloniale.

Mehdi El Ayouni  • 3 février 2021 abonné·es
Quel avenir pour le peuple sahraoui ?
Manifestation à Toulouse, le 19 décembre 2020.
© Alain Pitton / NurPhoto / NurPhoto via AFP

Soutien de longue date du peuple -sahraoui, le grand linguiste états-unien Noam Chomsky notait, à juste titre, que le Printemps arabe n’avait pas débuté à Tunis début 2011 (avec l’heureuse chute de Ben Ali), mais bien au Sahara occidental, avec l’immense campement de milliers de civils sahraouis à Gdeim Izik, à deux pas de la capitale, Laâyoune, dès l’automne 2010. Ils avaient quitté la ville et choisi d’installer leurs tentes traditionnelles en plein désert pour dénoncer la violence de l’occupation marocaine et les innombrables violations des droits humains à leur encontre.

La répression qui suivit le démantèlement du camp par Rabat fut terrible : de nombreux prisonniers politiques, acteurs de cette mobilisation pacifique, croupissent depuis lors dans les prisons marocaines. Condamnés à des décennies d’incarcération après des aveux arrachés sous la torture (le sous-comité pour la prévention de la torture du Haut-Commissariat aux droits de l’homme des Nations unies l’a attesté), certains d’entre eux étaient accusés du meurtre de policiers lors de l’évacuation violente du campement… alors qu’ils avaient déjà été appréhendés par les services marocains.

Ce conflit si souvent oublié, engagé dès le départ des Espagnols à la mort de Franco, fin 1975, est dû principalement à la politique coloniale du Maroc, qui s’est empressé alors d’envahir ce vaste territoire, dont il n’a cessé par la suite de revendiquer la « marocanité » et qu’il compare à l’Alsace-Lorraine avec ses interlocuteurs français… Depuis, Rabat pille ses riches ressources naturelles (notamment le phosphate de son sous-sol et ses eaux poissonneuses) avec une importante – et avide – complicité occidentale, l’Europe achetant beaucoup de ces exportations « marocaines ».

Après des années d’une lutte armée entamée dès 1976, le Front Polisario (Front populaire de libération de la Saguia el Hamra et du Rio de Oro), mouvement laïque et socialiste, principale force politique représentant le peuple sahraoui en lutte, avait fait le pari d’une solution politique. La République arabe sahraouie démocratique (RASD), embryon d’un État déjà reconnu par plus de 80 pays, a été fondée en ce sens. Soutenue par l’Algérie – qui lui a offert un bout de son territoire (certes désertique mais point de repli) autour de Tindouf, dans le sud-ouest du pays –, elle a conclu en 1991, sous l’égide des Nations unies, un accord prévoyant un référendum d’autodétermination, sur la base du recensement de la population de 1974. Cet accord a fixé une ligne de démarcation entre les parties, octroyant au Maroc la plus grande et riche partie (occidentale) de l’ex-colonie espagnole du Rio de Oro.

Un cessez-le-feu était donc maintenu depuis bientôt trente ans, tant bien que mal, malgré la politique marocaine de peuplement, avec des milliers de civils incités à s’y installer à grand renfort d’avantages fiscaux et financiers. Une politique coloniale qualifiée par bien des observateurs de semblable à celle d’Israël dans les territoires palestiniens, et qui serait bien utile aux autorités marocaines en cas d’un référendum d’autodétermination…

Une issue politique paraissant toujours plus lointaine, le royaume chérifien, fort de ses nombreux soutiens internationaux, n’a cessé de pousser le Front Polisario dans ses retranchements, contestant davantage les termes des accords conclus et tâchant, sur le terrain, de rogner peu à peu la partition établie du territoire. C’est ainsi qu’il a créé le point de passage de Guerguerat au sud, à la frontière mauritanienne, zone normalement sous contrôle de la RASD, pour y faire passer ses exportations vers l’Afrique de l’Ouest. Ce qui, après vingt ans de provocations marocaines répétées, a fini par entraîner la rupture du cessez-le-feu. Et le conflit armé désormais en cours.

Car, en dépit des terribles violations des droits humains, arrestations arbitraires, lourdes peines d’emprisonnement, tortures et même disparitions, le peuple sahraoui demeure combatif et uni derrière son organisation représentative, le Front Polisario. Avec une jeunesse très désireuse de s’engager après des décennies d’attente sans résultat. L’Occident devrait mieux considérer ce peuple en lutte, encadré par une organisation laïque, qui semble jusqu’ici rester sourd aux sirènes jihadistes, pourtant vives dans cette région sahélienne déjà très instable. Mais, outre les questions commerciales importantes, nos dirigeants européens sont souvent les invités de Rabat, possèdent parfois des riads à Marrakech et apprécient le climat et les hôtels de luxe marocains…

Monde
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