Sahara occidental : « Le statu quo est définitivement dépassé »
Représentant du Front Polisario en Europe, Oubi Bouchraya fait le point sur le conflit armé en cours. Tout en continuant d’espérer à terme une solution politique.
dans l’hebdo N° 1639 Acheter ce numéro
À peine rentré de Tindouf (Algérie), où il a participé à des réunions des organes dirigeants du Front Polisario, Oubi Bouchraya confirme la rupture du cessez-le-feu, vieux de trente ans, à la suite des multiples violations des accords sur le terrain par le Maroc. Il espère que l’administration Biden, rompant avec le soutien inconditionnel de Trump à Rabat, pourra appuyer des initiatives diplomatiques en faveur d’un retour au processus d’autodétermination du peuple sahraoui.
Quelle est la situation aujourd’hui du conflit armé entre les forces de la République arabe sahraouie démocratique (RASD) et le Maroc ?
Oubi Bouchraya : À Tindouf, nous avons évidemment analysé la situation, depuis la rupture du cessez-le-feu le 13 novembre dernier et la reprise de la lutte armée du Front Polisario contre le Maroc. Le 13 novembre, en effet, des troupes marocaines ont été envoyées au-delà de la ligne de démarcation fixée par les accords internationaux, et d’abord pour déloger le campement de civils sahraouis qui protestaient pacifiquement, depuis le 21 octobre, contre cette brèche illégale à Guerguerat [à l’extrême sud, à la frontière avec la Mauritanie – NDLR]. Celle-ci était devenue un point de passage, très important économiquement, permettant au Maroc d’exporter les ressources naturelles du Sahara occidental, qu’il pille depuis des années. Car, en dépit des accords (militaires) passés en 1997 et 1998, le Maroc a ouvert en 2001 ce point de passage – illégal – en ne cessant de l’élargir, prenant ainsi le contrôle d’un nouveau bout de territoire sahraoui, auparavant libéré.
On peut évidemment se demander ce qui a poussé les Sahraouis à intervenir au bout de près de vingt ans. L’explication est qu’il y avait en 2001 un processus politique en cours depuis 1991, sous l’égide d’une personnalité politique de poids, James Baker, envoyé du secrétaire général de l’ONU, et un engagement clair du Conseil de sécurité en ce sens. Nous avions l’espoir que demeurer fidèles aux accords signés permettrait l’organisation du référendum d’autodétermination prévu par ceux-ci. Cette affaire de Guerguerat était donc alors secondaire, et les Sahraouis avaient accepté de donner une chance au processus de paix. Mais la promesse de référendum n’a jamais été tenue, le Maroc ayant entre-temps envoyé s’installer des milliers de colons, et surtout le Conseil de sécurité a laissé s’enliser le conflit. Alors même que nous avions accepté d’inclure ces colons marocains dans le corps électoral…
Quel est l’état d’esprit de la jeunesse -sahraouie aujourd’hui ?
Ces dernières années, nous avons eu, à la direction du Polisario, beaucoup de -difficultés à convaincre les jeunes de conserver une certaine foi dans le processus devant conduire à l’autodétermination du peuple sahraoui. Nous n’avons cessé de leur transmettre le message que nous conservions l’espoir de voir aboutir le processus de paix né des accords de 1991 et que l’ONU tiendrait ses engagements. Mais notre jeunesse, après toutes ces années, est devenue vraiment désespérée et brûlait de faire quelque chose pour débloquer la situation.
Or, jusqu’au 13 novembre, le statu quo avait fini par devenir contraire aux intérêts des -Sahraouis : le Maroc s’est désengagé de ses obligations, notamment celles concernant la tenue d’un référendum d’autodétermination, continuant de piller une large part des ressources naturelles du territoire, dont il occupe une grande partie. Et d’y violer continuellement les droits humains. Aussi, après trente ans, il y a eu dans la jeunesse sahraouie un cumul de frustrations et d’attentes toujours repoussées qui pouvait donner à penser à certains combattants que l’armée sahraouie se bornait à être les gardiens du statu quo – et donc de l’occupation marocaine. C’était inacceptable.
Après toutes les concessions que nous avons faites, et face aux entraves et entorses continues du Maroc aux accords signés, nous avons conclu que ce pays n’a aucune volonté de solution politique, ne voulant emprunter que la voie de la force et du fait accompli. La guerre nous a ainsi été imposée, surtout après l’attaque menée par le Maroc contre les civils à Guerguerat. Même si la guerre est toujours un très mauvais choix pour tout le monde.
Pourtant, nous avions déjà alerté la communauté internationale sur le fait que le cessez-le-feu était de plus en plus fragile, comme en 2016, quand des incidents nous ont conduits à deux doigts d’une reprise de la lutte armée. Notre jeunesse est aujourd’hui extrêmement motivée pour lutter pour ses droits et l’indépendance, et vraiment déterminée à se battre. Nous avons même des problèmes d’affluence auprès de nos écoles militaires et centres d’entraînement, qui sont tous débordés.
Avez-vous encore l’espoir d’une solution diplomatique, malgré les combats en cours ? L’arrivée de Joe Biden à la Maison Blanche, après les déclarations provocatrices de Donald Trump reconnaissant la prétendue « marocanité » du Sahara occidental, nourrit-elle cet espoir ?
Nous avons en effet l’espoir que cette nouvelle administration à Washington puisse réexaminer, sinon revenir sur cette proclamation de Donald Trump, en contradiction totale avec le droit international et avec les principes fondateurs de la politique étrangère des États-Unis, depuis ceux affirmés par Wilson en 1918, qui réfutent absolument toute acquisition d’un territoire par la force. C’est important, car les États-Unis sont la première puissance mondiale ayant tenu la plume pour rédiger les résolutions du Conseil de sécurité en 1991 sur le Sahara occidental.
Je crois donc – j’espère – que l’intention de l’administration Biden est de renouer avec la tradition états-unienne du multilatéralisme et du respect du droit international qui a été la sienne pendant si longtemps, et donc de rompre avec l’unilatéralisme étroit de Trump. Toutefois, l’avenir de notre pays, la cause du Sahara occidental et l’issue du conflit ne dépendent pas de la position d’un seul pays, aussi puissant soit-il. Il faut maintenant souligner que le cadre, ou le statu quo, d’avant le 13 novembre est définitivement dépassé. Parce que ce cadre, ou ce format, n’a rien donné et a été limité, voire séquestré, par le Maroc. Nous sommes bien sûr toujours favorables aux négociations directes et à une solution diplomatique avec le Maroc. Mais sur une base désormais bien plus solide, plus égalitaire – et surtout avec des échéances claires et bien déterminées.
Oubi Bouchraya Représentant du Front Polisario en Europe.