Sauver Madama de l’arbitraire préfectoral
Un père de famille est en grève de la faim depuis le 29 janvier pour exiger la régularisation de Madama Diawara, jeune Malien qu’il accueille depuis deux ans. Arrivé mineur et malmené par l’administration, Madama, pourtant en plein apprentissage, est menacé d’expulsion.
J e ne lâcherai rien : je suis comme un chien sur un os», clame Éric Durupt. Malgré la fatigue générée par plus d’une dizaine de jours de grève de la faim, ce père de famille de la Haute-Loire est déterminé à sauver Madama de l’expulsion qui le menace.
Madama Diawara est un jeune Malien, arrivé en France à un peu plus de 16 ans fin 2018. Il est recueilli par Éric Durupt et Véronique de Marconay, un couple d’enseignants du Puy-en-Velay, dont les enfants ont grandi et ont quitté le domicile familial, laissant une sorte de vide dans leur grande maison. Habitués des mobilisations solidaires, ils ont décidé d’ouvrir leur porte à deux mineurs étrangers non accompagnés dont Madama.
Débarqué du pays en 2018, au prix d’un périple indicible. Secouru en mer Méditerranée où nombre de ses compagnons de voyage ont laissé la vie. Après quelque temps dans un camp de migrants, Madama finit par passer les frontières et débarque au Puy-en-Velay, où il est pris en charge par des associations.
Minorité arbitraire
Puis la machine administrative se met en branle. L’aide sociale à l’enfance (ASE) le convoque pour un entretien d’évaluation de sa minorité. Elle conclut que Madama n’est pas mineur. Dans le compte rendu de l’entretien réalisé le 27 septembre 2018, l’éducateur note que «sa voix est grave comme si elle avait mué et sa pomme d’Adam est développée. Il possède une certaine pilosité qu’il rase et quelques cheveux blancs». Mais l’évaluation ne peut légalement se baser uniquement sur les aspects physiques.
Le discours du jeune homme est aussi jugé «peu vécu» car il est difficilement capable de préciser les étapes de son périple, les pays qu’il a traversés voire les gares françaises par lesquelles il a transité. «Madama ne savait ni lire, ni écrire, alors vous imaginez bien que le nom des gares ou même celui des pays qu’il a traversés…» s’agacent Éric et Véronique. D’autant que Madama donne tout de même quelques noms : la Sicile, Bologne, Briançon… Insuffisant aux yeux de l‘éducateur. Le couperet tombe : «Au regard des conclusions de l’évaluation menée par l’ASE, votre minorité n’est pas reconnue.»
Pour Me Julie Royon, avocate qui reprend le dossier, «les entretiens sont menés par de simples éducateurs non formés à la spécificité de jeunes migrants en proie à des stress post-traumatiques liés aux violences inouïes qu’ils ont vécues sur leur trajet. On est face à des jeunes fracassés par des histoires difficiles et on leur demande avec précision des éléments de leur vie qu’ils doivent déballer en moins de deux heures.»
Dans un rapport de novembre 2020 sur l’aide sociale à l’enfance, la Cour des comptes dénonçait la manière dont les services départementaux font, à la va-vite, des entretiens qui aboutissent _«au refus d’un examen plus approfondi pour un certain nombre de jeunes, sur la base de leur apparence physique, de leur supposée absence de vulnérabilité ou d’éventuels documents d’identité». Alors que la loi impose la collégialité d’examen et de décisions, mais aussi la présomption de minorité.
D’après les données ministérielles de la cellule MNA (mineurs non accompagnés), le département de la Haute-Loire fait partie de ceux qui accueillent le moins de MNA en France. En 2019 il n’a reconnu que 14 minorités. La Cour des comptes note aussi globalement une «baisse du taux de reconnaissance de minorité» qui «varie fortement d’un département à l’autre, alors même que le public évalué présente des caractéristiques similaires». L’arbitraire local joue donc à plein régime. Ce que confirme Me Royon :
Les départements font le maximum pour ne pas prendre en charge les mineurs étrangers.
Pour Madama, c’est le juge des enfants qui le tire de ce premier coup dur. Le 24 janvier 2019, le tribunal administratif reconnaît la minorité et force l’ASE à soutenir la famille d’accueil désignée «tiers dignes de confiance» : Éric et Véronique se sont depuis totalement épris de leur protégé. «Il fait partie de la famille maintenant. Il est comme notre fils», disent-ils sans détour.
L’affaire semblait réglée. Madama entre au lycée. Il s’y intègre et mène sa vie d’adolescent. Il apprend le français, entre en apprentissage d’abord en boucherie puis se réoriente vers l’agriculture. Ses nouveaux patrons sont ravis d’avoir trouvé un jeune garçon si motivé qui peut notamment s’occuper du troupeau de moutons. Mais entre-temps Madama devient majeur et, pour avoir l’autorisation de continuer de travailler, il doit obtenir une carte de séjour.
Or la préfecture refuse. Dans un courrier du 25 janvier 2021, elle reprend non seulement les arguments de l’entretien fait par l’ASE trois ans plus tôt, mais en plus prétend que Madama a falsifié ses documents d’identité pourtant préalablement validés par le juge. Deux extraits d’acte de naissance sont remis en question.
Présomption d’innocence bafouée
D’après Éric et Véronique, ces extraits ont été envoyés par sa mère, restée dans son petit village de l’Ouest malien. «Il ne les a jamais eus entre les mains, s’étouffe Véronique, c’est injuste ! On ne lui laisse aucune chance !»
Dans son courrier, Éric Étienne, le préfet de la Haute-Loire, accuse Madama de «faux et usage de faux» et par conséquent de «trouble à l’ordre public». Sur ces motifs, il lui refuse la délivrance de documents lui permettant de continuer sa formation et son insertion.
«Cette affirmation se base sur un rapport de la police aux frontières dont nous n’avons connaissance ni du contenu ni des méthodes. La préfecture n’est pas juge : elle ne peut pas affirmer que Madama s’est rendu coupable d’un “trouble à l’ordre public”, infraction pénale qui doit être établie par un juge pénal», assène Me Royon.
La présomption d’innocence ne s’applique donc pas à Madama. L’avocate s’étonne d’ailleurs que «le premier moyen de vérifier ce type de documents administratifs est de saisir les autorités du pays d’origine. Or, en France, on ne le fait jamais !»
À la place, le préfet annonce à Madama une convocation en vue de lui notifier une obligation de quitter le territoire. Ni une, ni deux, la famille d’accueil monte au créneau : «Ce petit vit ici, il restera ici.» Le 29 janvier, Éric Durupt entame une grève de la faim.
Avec sa compagne Véronique, ils organisent la mobilisation, se mettent en contact avec Stéphane Ravaclay, le boulanger de Besançon qui a récemment fait dix jours de grève de la faim pour sauver son apprenti de l’expulsion. Une action choc, victorieuse, qui a généré une mobilisation massive. Pour Madama, les fermiers qui l’ont pris en apprentissage sont aussi au premier rang de la mobilisation.
Chaque jour, à 14 heures, devant la préfecture du Puy-en-Velay, de plus en plus de monde se rassemble. Mardi 9 février, près de deux cents personnes étaient présentes. Plus de 31.000 ont aussi déjà signé la pétition pour Madama. Mais pour le moment le préfet reste sourd aux cris d’appel.
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