Veillée d’armes avant la troisième vague

La légère baisse du nombre de cas ne doit pas occulter l’inexorable progression des variants, qui menacent des hôpitaux toujours en tension depuis plusieurs mois.

Jérémie Sieffert  • 24 février 2021 abonnés
Veillée d’armes avant la troisième vague
Le vaccin à ARN messager de Pfizer-BioNTech, le plus efficace, n’est pas proposé en priorité aux soignants.
© STEPHANE DE SAKUTIN/POOL/AFP

C’est un peu la drôle de guerre. Alors que les modèles nous prédisaient un début d’année reconfiné, force est de constater que la catastrophe annoncée n’a pour l’instant pas eu lieu. Pourquoi ? Nul ne le sait vraiment. Mais les fêtes de fin d’année, c’est heureux, ont été moins contaminantes que prévu, et le régime de semi-confinement sous lequel nous vivons depuis de longues semaines a contribué à maintenir la courbe des cas à un niveau stable, aux alentours de 20 000 nouveaux cas par jour, depuis la « sortie » du précédent confinement en décembre. À cela doit très probablement s’ajouter un surcroît de prudence générale, avec des effets notables sur les contaminations, comme cela avait déjà été observé avant même le confinement d’octobre.

Résultat : au 15 février, les contaminations étaient en baisse sur toute la France de 10 % par rapport à la semaine précédente. Pour autant, les épidémiologistes ont-ils eu tort de réclamer à cor et à cri, fin janvier, un reconfinement ? En réalité, leurs modèles n’ont pas encore dit leur dernier mot. En cause, la pénétration progressive en France des différents variants recensés, dont celui dit « anglais » (B117). Selon le professeur Bertrand Guidet, chef du service de réanimation de l’hôpital Saint-Antoine, à Paris, interviewé sur France 5 le 15 février, B117 représentait à cette date 40 % des nouveaux cas de Covid-19 pour l’ensemble de l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP). À peine trois semaines plus tôt, fin janvier, il ne comptait que pour 10 % des cas. Soit une progression d’environ 50 % par semaine. Plus contagieux d’environ 50 % à 60 %, c’est la bombe à retardement qui risque de nous exploser au visage, comme elle l’a fait en décembre au Royaume-Uni, justifiant un nouveau hard lockdown (« confinement dur ») outre-Manche.

De fait, depuis plusieurs semaines, tout se passe comme si deux épidémies différentes se déroulaient simultanément : d’un côté, celle du variant « Wuhan », en perte de vitesse car largement contrôlée par les mesures sanitaires actuelles ; de l’autre, celle du B117, qui maintient sa progression constante malgré ces mêmes restrictions. Dans une étude réalisée par l’épidémiologiste Vittoria Colizza, publiée le 14 février, l’Inserm maintient donc son avertissement : « Le variant britannique est attendu devenir majoritaire fin février-début mars en France, avec une grande hétérogénéité géographique (mi-février en Île-de-France). Dans l’absence de mesures de contrôle renforcées, une croissance rapide des cas est attendue dans les semaines à venir. » Le modèle est donc le suivant : l’épidémie régresse jusqu’à ce que B117 représente plus de la moitié des cas, seuil au-delà duquel les contaminations repartent à la hausse.

Si l’épidémie a pu sembler globalement marquer le pas, localement, c’est déjà une autre histoire. Dans les Alpes-Maritimes, l’incidence est de près de trois fois la moyenne nationale. Dans la seule ville de Nice, on compte plus de 750 cas pour 100 000 habitants, avec une prévalence de plus de 50 % pour B117. La situation est également inquiétante dans le reste de la région Provence-Alpes-Côte d’Azur, dans les Hauts-de-France, en Île-de-France et en Moselle. Même à l’échelle nationale, la courbe a cessé de baisser le 21 février.

Ces tendances interviennent dans un contexte de tension hospitalière déjà élevée, avec plus de trois mois consécutifs au-delà du seuil des capacités d’avant la crise sanitaire. Une situation d’autant plus éprouvante pour les personnels que la décrue post-second confinement n’a jamais été achevée. Avec une variable particulièrement dure pour le moral des troupes : près de 300 morts par jour en moyenne depuis des semaines. À la date du 21 février, le taux d’occupation des hôpitaux était de 117 % dans les Alpes-Maritimes, de 113 % en Seine-et-Marne, de 104 % dans le Pas-de-Calais. De quoi justifier l’inquiétude des soignants, qui vivent déjà une situation de très forte pression depuis le mois d’octobre, sans perspective d’amélioration à court terme. C’est le sens des appels à l’aide entendus ces dernières semaines dans les médias.

Sur le front de la vaccination, les perspectives ne sont guère meilleures. La campagne d’injection en population générale est toujours fortement contrainte par les doses disponibles. Au 19 février, 2,5 millions de personnes avaient reçu une première dose, soit 3,79 % de la population française, parmi lesquelles seules 1,1 million ont reçu leur deuxième dose (1,68 %). À raison de plus de 100 000 injections par jour, la campagne tourne à plein régime, mais on est encore très loin des seuils qui seraient susceptibles de diminuer les flux d’entrées à l’hôpital, alors qu’on dénombre en France entre 15 et 20 millions de personnes dites « à risque ».

L’exemple israélien

C’est pourtant le meilleur espoir à moyen terme de voir une amélioration de la situation, avec en ligne de mire l’exemple d’Israël. Leader mondial de la vaccination en proportion de sa population, exclusivement au vaccin à ARN messager de Pfizer-BioNTech, le pays fait actuellement office de laboratoire, avec des résultats spectaculaires (même si ce bilan excluait jusqu’ici cyniquement la population des territoires occupés). 

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Avec 50 % de sa population vaccinée (avec priorité aux fractions les plus à risque), Israël a déjà enregistré une nette diminution des entrées à l’hôpital pour des formes sévères du Covid-19. Le 21 février, l’une des principales caisses d’assurance maladie du pays a publié une étude faisant état d’une baisse de 94 % des infections symptomatiques chez les personnes vaccinées en comparaison des non-vaccinés. Le même groupe de personnes avait en outre 92 % de risques en moins de contracter une forme sévère, des chiffres cohérents avec les données déjà disponibles pour le vaccin de Pfizer. De quoi justifier, pour les autorités israéliennes, un allégement des restrictions sans risquer de voir les hôpitaux à nouveau débordés.

Autre sujet d’inquiétude pour les soignants français, le choix des autorités françaises de leur réserver les doses du vaccin développé par la firme britannique AstraZeneca en partenariat avec l’université d’Oxford. Alors que les professions médicales et paramédicales sont particulièrement exposées au risque de contamination, beaucoup s’interrogent sur l’opportunité de privilégier un produit reconnu moins efficace. Alors que l’efficacité des vaccins à ARN messager de Pfizer ou de Moderna dépasse les 90 %, celle du vaccin d’AstraZeneca, basé sur un adénovirus humain génétiquement modifié pour exprimer la fameuse protéine « spike » du Sars-Cov-2, ne dépasse pas les 70 %. Et encore ! À l’issue de la phase III, entachée de certaines incohérences, des doutes subsistaient sur son efficacité réelle.

L’incertitude principale concerne la capacité du vaccin à prévenir les infections asymptomatiques. Alors que les soignants sont en contact quotidien avec leurs patients, il s’agirait de savoir s’ils ne peuvent pas être contagieux sans le savoir. Pis encore, l’efficacité s’effondre contre certains variants, comme le « sud-africain », pourtant présent sur le territoire.

Sur le plan des effets secondaires, les résultats d’AstraZeneca sont comparables à ceux de ses concurrents : très peu d’effets graves, ce qui s’est confirmé avec le déploiement des campagnes de vaccination dans le monde, mais… beaucoup de cas de fièvre et de douleurs dans les jours suivant l’injection. Or, si ces effets indésirables restent acceptables pour la population en comparaison des risques du Covid-19, ils le sont moins lorsqu’il s’agit de personnels soignants déjà sur le pont au quotidien. Dans une -communication du 16 février, l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) rapportait des épisodes de température supérieure à 39 °C dans plus de 60 % des cas renseignés. Dans 45 % des cas, ces effets avaient donné lieu à des arrêts de travail, une donnée à prendre en compte au moment de vacciner toute une équipe soignante sur un temps très court.

Reconfinement ?

Même si, comme le note l’ANSM, ces éléments « ne remettent pas en cause le rapport bénéfice/risque du vaccin », ils soulèvent néanmoins une méfiance palpable parmi les personnels de santé. Malgré les efforts des autorités françaises pour convaincre qu’il ne s’agit pas d’un vaccin de « seconde classe », selon la formule de l’immunologue Alain Fischer, coordinateur de la campagne de vaccination, les personnels hospitaliers ne se précipitent pas au portillon. Comme le rapportait notamment France Inter, le 19 février, plusieurs hôpitaux peinent à écouler leurs stocks auprès de leurs propres équipes.

Si les vaccins restent le meilleur espoir d’amélioration de la situation des soignants à plus ou moins long terme, rien ne semble pouvoir empêcher une dégradation prochaine. Pour cela, seul un reconfinement serait efficace. Mais hors situation particulière, comme dans les Alpes-Maritimes, où le ministre de la Santé a annoncé, lundi, un confinement partiel, ou dans le Nord, l’exécutif a fait le choix d’ignorer les appels du conseil scientifique et du monde médical, pariant peut-être sur une opération du Saint-Esprit. Dans ces conditions, le dispositif actuel a tout de la ligne Maginot.

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