« Dans les yeux de Jade », de Patrice Lelorain : Voyez-vous chat…

Exercice de style : raconter le monde à travers les yeux d’un bleu irréel d’une chatte. Pas n’importe laquelle, une bête de race, une siamoise thaïe, concentré « de joie, d’affection et de malice », brinquebalant « son air de pirate », au coup de fourchette conséquent, raffolant « du poulet-foie, du thon-alevins et même du poulet-mangue ». À l’évidence, en acquérant la charmante bestiole, en guise de cadeau d’anniversaire pour sa compagne, le narrateur ne s’attendait pas à tomber en pâmoison, « dans une suite de rituels, de jeux désopilants, de conversations et de câlins » (c’en est parfois troublant).

On n’est jamais à l’abri d’une séduction. Occasion et prétexte à différentes évocations. La voix de Jolie Holland, les cols du Cantal, la disparition des élevages de vaches de Salers (pour des questions de rentabilité), Le Sang des bêtes, documentaire de Georges Franju sur les abattoirs de la Villette, les frères Planckaert, « acteurs taciturnes d’une saga cycliste ». L’auteur ajoutant sa passion pour le vélo et ses tours de l’hippodrome de Longchamp, glissant l’analogie entre « la pratique athlétique et l’écriture au long cours ». Occasion encore de dessiner quelques portraits (dont une voisine de vacances, aux traits « dilatés par la picole mixée aux antidépresseurs ») et de revenir sur de vieux souvenirs, comme les Élucubrations d’Antoine, proposant en 1965 de mettre la pilule en vente dans les Monoprix.

Entraînant le lecteur dans les arcanes des pedigrees et offices félins, c’est notre rapport aux animaux domestiques qu’interroge Patrice Lelorain (qui se moque parfois de lui-même en maître ou valet), réclamant soins et vigilance. Leur part de pitance aussi. Ainsi s’avance Dans les yeux de Jade, dans ce dynamisme entre la douceur d’un pelage et la brutalité du monde, de l’espièglerie d’une siamoise aux attentats du Bataclan. La vie, ses hauts, ses bas. Inattendue.

Dans les yeux de Jade, Patrice Lelorain, Albin Michel, 208 pages, 17,90 euros.