« Défriche coupe brûle », de Claudia Hernández : Toutes pour une
Dans son premier roman, _Défriche coupe brûle_, la Salvadorienne Claudia Hernández décrit avec poésie les combats d’une lignée de femmes.
dans l’hebdo N° 1647 Acheter ce numéro
Fut un temps pas si lointain où la protagoniste centrale de Défriche coupe brûle avait non pas un, mais deux noms. L’un pour la vie civile, l’autre pour celle dans les montagnes, au sein d’un groupe de guérilleros dont faisait alors partie son père, qu’elle adore. L’écrivaine salvadorienne Claudia Hernández ne révélera pourtant aucun de ces patronymes dans ce premier roman, magnifiquement traduit par René Solis, qui vient après six recueils de nouvelles.
Loin d’appauvrir le personnage, de le réduire à un type, cet anonymat fait sa personnalité ainsi que celle de son entourage. Les cinq filles de cette ancienne combattante – dont l’une, l’aînée, lui a été enlevée à la naissance –, sa mère, une ex-compagne de combat ou encore les membres d’associations de soutien aux victimes du conflit passé depuis peu habitent toutes intensément le texte sans jamais y être nommées.
Les femmes de Claudia Hernández existent en tant que lignée. Dense mais aussi rempli de silences, de secrets qui ne seront que partiellement révélés, le récit à la troisième personne – elle aussi anonyme – passe sans cesse de l’une à l’autre. Sans transitions ou presque, il dessine les contours multiples des forces vitales d’un pays d’Amérique centrale dont les ressemblances avec le Salvador ne sont sans doute pas fortuites. Dans les luttes quotidiennes des mères et des filles de Défriche coupe brûle pour survivre puis pour trouver leur place dans le monde, on peut en effet reconnaître les traces de la guerre civile qui opposa la guérilla du Front Farabundo Marti de libération nationale aux forces gouvernementales entre 1980 et 1992. On peut aussi y voir bien d’autres guerres, d’autres violences.
Au gré d’un flux de mots qui tantôt berce, tantôt remue, les destins de l’ancienne guerrière et de ses proches se mêlent sans tout à fait se confondre. Si la solitude et le mépris des hommes les réunissent par-delà les frontières – les départs à l’étranger, notamment à Paris, sont nombreux bien que souvent déceptifs –, chacune prend une voie personnelle que l’auteure décrit dans les moindres détails. Chez Claudia Hernández, la conquête d’une liberté, d’un chemin à soi dans les décombres laissés par la guerre, se fait dans un réseau complexe de solidarités et d’héritages qui, si l’on n’y prend garde, peuvent se révéler prisons. L’urgence, l’intranquillité ressentie par toutes se transmet au lecteur, qui peut choisir de démêler les fils de toutes leurs trajectoires ou de les regarder ensemble, comme un rappel des liens qui nous unissent tous et qui n’attendent que de prendre des formes nouvelles, adaptées à l’époque.
Défriche, coupe, brûle, Claudia Hernández, traduit de l’espagnol (Salvador) par René Solis, Métailié, 303 p., 21,50 euros.