Des ailes de la nuit pas si nuisibles

Accusées d’être un réservoir à virus, les chauves-souris rendent pourtant de fiers services écologiques et ont besoin d’une protection face à l’effondrement de leurs populations.

Vanina Delmas  • 10 mars 2021 abonnés
Des ailes de la nuit pas si nuisibles
Chauve-souris rhinolophe.
© Jean-Francois Noblet/Biosphoto/AFP

Ses mouvements d’ailes ont inspiré les premières machines volantes. Son agilité nocturne a nourri l’imaginaire des créateurs du justicier Batman. Son sens de l’écholocation pour se repérer donne des idées aux ingénieurs pour imaginer les robots du futur. La chauve-souris aurait tout d’une superhéroïne. Pourtant, le chiroptère est plutôt source de méfiance, de peur, voire de suspicion d’être un nid à virus. Il faut avouer que le palmarès de la chauve-souris en matière d’épidémies est impressionnant : le sida, Ebola, le Mers, le Sras en 2003… Quant à l’épidémie de Covid-19, l’hypothèse la plus probable serait que le virus de Wuhan provienne également de ce mammifère volant (1).

« Sur les plans comportementaux et écologiques, il semble que l’un des facteurs majeurs expliquant cette richesse virale soit le comportement social et sympatrique (plusieurs espèces partageant le même habitat) des chauves-souris, qui facilite la transmission entre individus et entre espèces », détaille Jean-François Silvain, président de la Fondation pour la recherche sur la biodiversité (2). Leur capacité à se déplacer facilement en volant et leur mystérieux système immunitaire peuvent également expliquer cette fonction de réservoir à virus. À noter cependant : les animaux domestiques et les rongeurs sont plus souvent responsables des zoonoses que les chauves-souris.

Même s’il est tentant de s’appuyer sur les services écologiques rendus par les chauves-souris pour justifier leur préservation, Jean-François Julien, chiroptérologue au Muséum national d’histoire naturelle (MNHN), souligne que cette vision des choses est de plus en plus discutée parmi les écologues. « Sur les 1 420 espèces dans le monde, nous ne connaissons les services rendus que par une poignée d’entre elles. La raison numéro un de les protéger relève du principe de précaution, car on ne connaît pas toutes leurs interactions. Dans l’ignorance, il vaut mieux ne rien casser ou supprimer. » Quelques grands classiques des activités des chauves-souris : les insectivores limitent les populations de moustiques ; dans les rizières espagnoles, elles limitent la propagation d’un papillon ravageur ; dans les régions tropicales notamment, elles jouent un rôle de pollinisateur pour certains fruits et plantes (mangue, agave…).

Les actions de protection rapprochée ont évolué au fil des années en France. Dans les années 1950, l’observation des chauves–souris était surtout réalisée par les spéléologues arpentant les grottes, et certains en profitaient pour baguer les animaux. Mais ceux-ci étaient parfois blessés et le suivi n’était pas forcément rigoureux. À partir des années 1980, les actions de préservation des sites ont -commencé et l’intérêt des naturalistes pour les chauves-souris n’a cessé de grandir. Protéger leurs gîtes est devenu une priorité. En 2006, le Groupe mammalogique breton (GMB) lance l’opération Refuges pour chauves-souris, afin de signer avec les propriétaires une convention de gestion des parcs, jardins ou édifices qui hébergent des chauves-souris ou leur sont favorables. « Nous préférons expliquer et convaincre plutôt que d’imposer, pour créer des liens avec des particuliers, des collectivités ou des associations et ainsi préserver des espaces variés : des bâtiments comme les granges, les églises, les parcs, les ponts, etc. » complète Lucie Golfier, volontaire en service civique au GMB, qui a recensé 221 refuges dans toute la Bretagne, abritant vingt et une espèces sur les trente-cinq que compte l’Hexagone.

Des oasis de tranquillité vitales aujourd’hui, alors que les menaces s’accumulent. Les effectifs de chauves-souris déclinent depuis plusieurs décennies en France : en juillet 2020, le programme Vigie-Chiro du MNHN a montré que, sur les six espèces communes dont les données d’observations sont suffisantes pour déterminer des tendances, trois sont dans un « état critique flagrant » : la sérotine commune a perdu 30 % de ses effectifs, la pipistrelle de Nathusius 46 %, et la noctule commune 88 %. « En Europe, les changements des milieux liés à l’intensification de l’agriculture et à l’urbanisation menacent vraiment les chauves-souris : à la fois leur nombre et la diversité des espèces. Les pesticides jouent sûrement un rôle mais, pour le moment, nous n’arrivons pas à bien le cerner, détaille Jean-François Julien. Une seule espèce profite à mort de l’agriculture intensive, c’est le vampire en Amérique tropicale, qui se nourrit de sang, sur le bétail. » Sans oublier les éclairages artificiels, les autoroutes, les éoliennes, la monoculture et l’uniformisation des paysages agricoles. D’où la nécessité de replanter des haies, de lutter contre la pollution lumineuse et de sécuriser des corridors écologiques pour les déplacements de ces animaux.

Si, en France, les chauves-souris sont toutes protégées depuis la loi de 1976 relative à la protection de la nature, il vaut mieux, parfois, redoubler de prudence. Et l’argent demeure le nerf de la guerre. Dans l’Ain, la Ligue de protection des oiseaux (LPO) est devenue propriétaire, en octobre 2020, du site de la Sabla, ancienne carrière dont les grottes et les bâtiments accueillent depuis des années des colonies de grands rhinolophes, de murins à oreilles échancrées, de mini-optères de Schreibers… « La partie souterraine est favorable pour la période d’hibernation, car les chauves-souris ont besoin d’une température stable au-dessus de 0 °C et d’humidité pour éviter que leur peau et leurs ailes se dessèchent. Les anciens bâtiments accueillent plutôt les femelles durant l’été pour la mise bas et les premiers jours des jeunes chauves-souris », décrivent Lucie Defernez et Robin Letscher, de la LPO de l’Ain.

En 2016, le site industriel a été racheté par un entrepreneur qui voulait réhabiliter les bâtiments. Craignant pour les chauves-souris, la LPO a racheté la parcelle pour 60 000 euros, opération financée à 80 % par la région et le département, le reste par des dons de citoyens. « Nous avons été soutenus pour cette opération, mais nous entendons encore des remarques comme “elles iront ailleurs !”, “elles sont mignonnes mais pas chez nous !”, racontent les membres de la LPO. À force de pédagogie, on parvient à évacuer la peur, la méconnaissance, et à prouver que la cohabitation entre humains et chauves-souris est possible. »

(1) Plus précisément la chauve-souris rhinolophe, originaire de la province chinoise du Yunnan.

(2) « Ne tirez pas sur les chauves-souris ! », Jean-François Silvain, FRB, février 2020.

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