École : et si nous nous passions de ministre ?
Notre système éducatif a besoin de stabilité, estime Cédric Forcadel. Maître d’école, il plaide pour une « constituante » de l’éducation qui ne ferait plus dépendre l’école des changements de majorité au pouvoir et de la succession de ministres.
La France a peur ! À chaque parution d’une évaluation internationale de son système éducatif, elle découvre une nouvelle catastrophe. Quels sont les coupables de cette descente aux enfers ? Ils sont en général vite désignés à la vindicte populaire : les enseignants, insuffisamment formés, incapables de travailler en équipe… les parents, n’offrant pas aux enfants les indispensables préalables pour entrer dans les savoirs… les enfants eux-mêmes, génération « écrans », incapables de se concentrer, réfractaires à la culture et à l’effort. Mais si le coupable était ailleurs que dans ces jugements hâtifs ?
Cédric Forcadel est maître d’école en Normandie. Militant pédagogique au sein de l’ICEM-pédagogie Freinet, il est l'auteur de Dessine-moi une école où il fait bon vivre (Vuibert).
L’école a jadis été assimilée à un mammouth, bien trop gras, incapable d’avancer. Mais ce serait méconnaitre la réalité que de penser que les classes d’aujourd’hui ressemblent à celles d’hier. Si l’administration n’a pas cessé d’engraisser et de multiplier les contrôles de toutes sortes sous couvert de l’introduction du « management agile », les professeurs, dans leur majorité, ont su faire évoluer leurs pratiques, les modalités de travail et d’évaluations… Ils ont su prendre en compte de nouvelles exigences, s’adapter pour faire vivre, au mieux de leurs moyens, l’école inclusive. Ils ont travaillé pour que l’exercice de leur l’autorité soit aussi une formation à la citoyenneté… et tout cela malgré une formation continue réduite à la portion congrue d’informations descendantes, décrédibilisée et sinistrée.
Alors, qui empêche l’école d’avancer, de transmettre ces « fondamentaux » qui tiennent autant à cœur au ministre qu’aux enseignants (qui savent qu’on ne saurait s’en contenter) et de créer des situations de formation à la citoyenneté que notre société exige de son institution scolaire pour faire face à toutes les crises ? Et si ce qui déboussole les uns, paralyse les autres, en déprime beaucoup et décourage tout le monde c’était justement la présence d’un ministre aux injonctions permanentes, décalées, suffisantes et méprisantes ? Et si le vrai problème c’était l’existence même d’un chef qui multiplie les annonces sur les médias au point de disqualifier systématiquement la parole de toute sa hiérarchie et de rendre obsolète l’existence du Bulletin officiel de l’Éducation nationale ? Et si le vrai danger, c’était l’existence, au sommet de la pyramide, d’un personnage capricieux et autocrate, fondamentalement réfractaire au débat démocratique ?
Allons plus loin :
L’existence d’un ministre qui a le pouvoir de changer les programmes, les horaires, les modalités d’évaluation, qui peut modifier la carte scolaire, décider du recrutement et du salaire des enseignants, qui peut modifier les conditions de passation et de validation des diplômes… bref qui détient une forme de pouvoir absolu sur l’école, voilà la catastrophe !
Dans un pays caractérisé par ses fréquentes alternances politiques, parents, enfants et monde enseignant subissent des bouleversements continus dans la stratégie, les moyens et les finalités mêmes de l’école. Un peu comme un bateau qui changerait de capitaine, de cap et de gestion des matelots tous les deux jours. Nul doute qu’il aurait du mal à parvenir un jour à bon port !
Engageons une « révolution consensuelle » de l’éducation nationale !
L’éducation travaille sur un temps long. Notre système éducatif a besoin de stabilité. L’instabilité actuelle pèse sur la réussite scolaire de nos enfants et les conditions de travail des enseignants et personnels éducatifs. Soyons ambitieux, exigeons l’abolition d’une monarchie de fait, créons une « constituante » de l’éducation.
Cette « constituante » devra impliquer tous les acteurs de l’école et, notamment, les personnels éducatifs, le monde de la recherche en éducation, les représentants des parents d’élèves, des élèves et étudiants, les organisations professionnelles, les collectivités locales et les associations éducatives complémentaires de l’école qui auraient à définir les finalités que l’on fixe à l’école, les valeurs qu’elle doit transmettre, les principes pédagogiques sur lesquelles elle pourra s’appuyer, les moyens (en part du PIB) dont elle disposera et leur répartition. Il faudra y associer évidemment l’ensemble du périscolaire et du hors-scolaire en reconnaissant et valorisant les pratiques liées au sport, à l’animation, à la culture, au socioéducatif, tellement essentielles dans la formation du citoyen et de la citoyenne.
Les conclusions de cette constituante devront être sanctuarisées par les élus ou par référendum, afin que notre école ne puisse plus dépendre des changements de majorité au pouvoir et de la succession de ministres. Le projet ainsi défini devra avoir la même valeur, la même solidité que la Constitution qui régit le fonctionnement de notre République. La création d’un vrai « Conseil supérieur de l’éducation » indépendant du pouvoir politique, capable de s’autosaisir de toutes les questions éducatives et d’interpeler le Parlement et le gouvernement garantira la pérennité de ce projet.
Cette « révolution consensuelle » de l’école, en transformant le projet scolaire en véritable projet citoyen partagé, pourrait devenir une alternative porteuse d’espoirs pour reconstruire une école démocratique, émancipatrice, une école commune qui permette de faire société. On ne construira pas l’école de demain en changeant de ministre, d’organisation, de programmes tous les trois ans. L’éducation est une affaire trop importante pour la laisser entre les mains d’un ministre de passage et pour en faire un outil politique au service d’une carrière ou d’ambitions personnelles.
Des contributions pour alimenter le débat, au sein de la gauche ou plus largement, et pour donner de l’écho à des mobilisations. Ces textes ne reflètent pas nécessairement la position de la rédaction.
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