En Pologne, la bataille contre les anti-IVG fait rage

Cinq mois après l’interdiction quasi totale de l’avortement, la résistance citoyenne tente de s’organiser sur le terrain politique.

Patrick Piro  • 31 mars 2021 abonné·es
En Pologne, la bataille contre les anti-IVG fait rage
Des publicités d’organisations fondamentalistes anti-choix dans les rues de Cracovie, le 16 février 2021.
© Omar Marques/Getty/AFP

Création de « zones anti-LGBT », attaque contre les droits des femmes, avortement illégal dans presque tous les cas… En l’espace de quelques mois, la Pologne s’est révélée l’épicentre des offensives sociétales ultra-conservatrices en Europe. La dernière en date : la présentation mi-mars devant les député·es d’un projet de loi exigeant que le pays se retire de la Convention d’Istanbul, qui lutte contre la violence envers les femmes.

En juillet dernier, la démarche avait été engagée par le ministre de la Justice, arguant que le texte, voté avant l’arrivée au pouvoir du très conservateur parti Droit et justice (PiS), contenait des éléments « de nature idéologique nuisibles ». Levée de boucliers politique : le projet n’avait pas débouché. Avant qu’il ne resurgisse sous la forme d’une pétition « Oui à la famille, non au genre », soutenue par 150 000 signatures. Aux manettes, deux groupes ultra-conservateurs très actifs, le Congrès social chrétien et l’Institut Ordo Iuris, qui ont la bénédiction du PiS.

Contourner un blocage politique par la pression militante : c’est une manœuvre similaire qui a conduit au rétrécissement jusqu’à la portion congrue du droit à l’avortement, déjà l’un des plus restrictifs de l’Union européenne. Le PiS ne parvenait pas à rallier une majorité législative pour dégrader la loi, issue d’un « compromis » passé en 1993 entre l’Église catholique et le gouvernement de centre-droit d’alors. Les fondamentalistes anti-choix, opposés aux « interventions eugéniques », ont alors saisi le Tribunal constitutionnel, dévoué au gouvernement. Le 22 octobre, il rendait illégal l’avortement en cas de malformation grave du fœtus, motif de 98 % des interventions légales (un millier en 2019), désormais restreintes aux cas de viol, d’inceste et de menace pour la santé et la vie de la mère. Le Haut Commissariat de l’ONU aux droits humains estime qu’environ 100 000 Polonaises se rendent chaque année à l’étranger pour avorter.

Ce couperet judiciaire a eu l’effet d’un électrochoc sur une société généralement ralliée aux positions sociétales conservatrices de l’Église. Pendant plusieurs semaines, à l’initiative des femmes, la rue a été prise par les plus massives manifestations de protestation qu’ait connues le pays, réunissant jusqu’à 12 % de la population. L’opinion publique semble avoir durablement basculé. Le 26 octobre, un sondage de l’Institut Kantar la montrait favorable à 62 % à une forme de retour au compromis antérieur. « De plus, l’adhésion à une légalisation totale de l’IVG progresse peu à peu », souligne Agnieszka Matyaszek, militante du Polonijna Rada Kobiet (Conseil international des femmes polonaises) créé au début de l’année. Elle était approuvée fin octobre par 22 % des personnes, et mi-février par 44 % des femmes « en âge de reproduire » (57 % chez les 18-24 ans), dont 2 % seulement soutenaient les nouvelles restrictions, et 7 % l’interdiction totale de l’avortement.

Alors que la crise sanitaire et les restrictions de sortie, assorties d’une sévère pénalisation des contrevenant·es, ont tari les rassemblements de rue, l’opposition s’organise désormais sur les réseaux sociaux pour tirer un bénéfice politique de ce petit séisme social. Depuis fin octobre, la confiance dans le gouvernement a chuté de 30 %, et six jours après le verdict du Tribunal constitutionnel, l’adhésion de la population au parti majoritaire était tombée à 26 %, contre 44 % lors des élections parlementaires de 2019.

« La gauche, avec la collaboration des principales organisations pro-choix, a lancé un contre-projet politique visant entre autres à revenir a minima au compromis, dans la perspective des élections parlementaires d’octobre 2023, indique Agnieszka Matyaszek. La question de l’avortement va très certainement se retrouver au cœur du débat politique d’ici là, tout comme la défense des droits des femmes plus largement. Nous sommes peut-être à un tournant. Les jeunes continuent à se battre en nombre, et alors que l’abstention est habituellement forte dans leurs rangs, le message qu’il faut aller voter “pour que ça change” semble désormais passer. »

L’impatience monte. « Le PiS, enfer des femmes » est devenu l’un des slogans phares de la contestation du pouvoir. Pour beaucoup d’entre elles qui confessent leur étouffement, « 2023, c’est trop loin », rapporte la militante de Polonijna Rada Kobiet. Aussi les organisations polonaises travaillent-elles également un autre angle d’attaque : l’échelon communautaire. L’article 7 du traité sur l’Union européenne lui donne la possibilité de sanctionner un État membre qui ne respecterait pas ses valeurs fondatrices. En novembre dernier, une partie de la gauche polonaise a interpellé la Commission de Bruxelles, ne serait-ce que pour la forme : l’Union n’a aucune compétence juridique concernant le droit à l’avortement, domaine réservé aux États membres. Cependant, la Pologne est bel et bien dans le collimateur au titre de l’article 7. Depuis son arrivée au pouvoir en 2015, le PiS se voit reprocher d’avoir mis sous coupe une partie du pouvoir judiciaire. En décembre, la Cour européenne de justice a statué que ce défaut d’indépendance violait le droit communautaire. « Mais jusqu’à présent, l’Union européenne n’a jamais dépassé le stade de la menace de sanctions », regrette Agnieszka Matyaszek.

Cependant, un autre levier pourrait opérer : pour pouvoir accéder à une partie des fonds du plan de relance communautaire, la Pologne a dû accepter une clause taillée pour elle (1) : le respect de l’État de droit. Il pourrait amener à une révision de certaines décisions du Tribunal constitutionnel.

(1) Idem pour la Hongrie, critiquée sur l’accueil des réfugiés.

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