Humain et non-humain : une même santé

Selon le géo-anthropologue Damien Deville, l’uniformisation des territoires est en cause dans la crise actuelle. Il est urgent de remettre de la diversité et des liens au cœur de nos modèles de développement.

Damien Deville  • 10 mars 2021
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Humain et non-humain : une même santé
Une rue commerçante à Wuhan, en Chine, le 23 janvier 2021.
© Hector RETAMAL / AFP

Et si les crises sociales, environnementales et sanitaires pouvaient s’expliquer par une « crise de l’un » ? La pandémie l’a démontré, l’oubli de toutes les diversités territoriales entraîne l’incapacité à protéger la résilience. L’uniformisation que nous vivons depuis plus deux siècles a modifié en profondeur l’habité des territoires, transformé les valeurs sociales des communautés et des villages, achevé de détruire ce qui pourtant caractérise l’émerveillement quotidien : la capacité de créer des espaces d’émancipation pour les humains comme pour les non-humains.

C’est sûrement à l’échelle des territoires que s’observe le plus facilement l’uniformisation à l’œuvre. Depuis la fin du XIXe siècle, la compétitivité des territoires est devenue la norme des politiques de développement : le déploiement des avantages comparatifs d’abord, l’émergence des pôles de compétences ensuite, et enfin l’apogée de la métropolisation ont mis de nombreux territoires en difficulté. Les hommes du noir (les mines), les femmes du fil (le textile) et les hommes du feu (les hauts fourneaux) avaient une vie difficile, mais ils et elles faisaient la fierté de certains lieux. Ces lieux ont vu leurs structures sociales s’effondrer.

Deuxième facteur d’uniformisation : le couronnement du capitalisme, réincorporant chaque différence à sa solde. Bien des peuples, bien des communautés, bien des individus ont vu leurs valeurs réinjectées dans les lois du marché. Or le marché fait perdre la relation symbolique aux choses : sans symbole, nous ne sommes rien que des peuples de robots manipulés par le verbe et l’image. Le marché a également tendance à éroder cette fine compréhension de l’espace nécessaire pour s’adapter, créer et partager.

Enfin, l’histoire de la protection de la nature a été elle-même un outil d’uniformisation et de mise en précarité. Elle s’est inventée autour d’une représentation duale du monde : la nature contre la culture. Pourtant, ces dernières ont toujours été étroitement liées. Car humains comme non-humains sont fragiles : ils survivent et s’émancipent par la rencontre. Ces rencontres forment des événements qui forgent des histoires, et ces histoires modèlent les sociétés.

La pandémie elle-même est en grande partie le résultat de cette uniformisation. Elle a circulé de grande ville en grande ville, les métropoles se caractérisant par leurs connexions aux flux financiers internationaux. Le capitalisme a sacrifié les structures de résilience locale, rendant les sociétés davantage vulnérables aux chocs globaux. Enfin, de nombreux zoologues ont démontré que c’est parce que nous détruisons en masse l’habitat des non-humains que ces derniers deviennent porteurs d’une charge virale importante. Nous détruisons les espaces tampons et la diversité génétique des populations animales et végétales, nous spécialisons l’agriculture et surconcentrons les espèces élevées. Autant de processus qui détruisent la relation et augmentent les risques sanitaires.

Nous devons repenser nos manières d’habiter la Terre. Nous devons nous enraciner, remettre la diversité et les liens au cœur des modèles de développement. Nous devons « atterrir », pour reprendre l’expression du philosophe Bruno Latour. Nous devons également contourner cette incapacité démocratique qui nous cloue : la possibilité d’adapter les solutions en fonction des réalités locales. La gestion de la crise sanitaire en France a montré la violence mais également les limites des politiques centralisées. Elles feront très sûrement de la casse : restaurateurs, acteurs de la culture, centres universitaires, petits commerces, quartiers d’étudiants de tout territoire sont soumis aux mêmes politiques gouvernementales. Pourtant, les réalités locales de diffusion du virus sont extrêmement variées. Redonner confiance aux territoires, c’est porter un État qui les accompagne davantage qu’il ne s’y impose. Enfin, se réancrer, c’est nécessairement repenser, dans l’aménagement du territoire, des hybridations entre humains et non-humains.

Désurbaniser la terre, remettre de la diversité paysagère, accueillir populations animales et végétales dans un seul et même lieu. Vivre réellement ensemble. Changer nos manières d’être pour rendre la relation possible devient alors mère d’une nouvelle sagesse : celle consistant à forger de nouvelles sources de résistance et de résilience, à créer l’alliage d’une santé globale pour l’humain et le reste du vivant.

Damien Deville Géographe et anthropologue de la nature, auteur (avec Pierre Spielewoy) de Toutes les couleurs de la Terre. Ces liens qui peuvent sauver le monde (Tana, 2020).

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