Le capitalisme responsable n’existe pas
Les multinationales cotées sont prisonnières de leur cours de Bourse et des marchés financiers.
dans l’hebdo N° 1647 Acheter ce numéro
Les conflits dans le monde du « big business » sont riches d’enseignements. Le 15 mars, le conseil d’administration de Danone, la multinationale géante de l’agroalimentaire, a débarqué Emmanuel Faber, son PDG médiatique. La raison ? Le cours en Bourse de Danone a chuté de 30 % en un an. Inacceptable pour les actionnaires et les fonds d’investissement !
On peut tirer trois leçons de cet épisode. La première est que l’intérêt des actionnaires est par nature opposé à celui des salariés dans le cadre du capitalisme boursier. Avant de chuter, le cours de l’action de Danone avait augmenté de 46 % en dix ans. Donc, au total, les actionnaires n’ont pas été perdants sur le long terme. En fait, les grands perdants sont les salariés auxquels les dirigeants de Danone ont imposé plusieurs plans de restructuration, avec des baisses des salaires et des effectifs. Muriel Pénicaud, alors directrice des ressources humaines de Danone, nommée en 2017 ministre du Travail par Emmanuel Macron, avait orchestré cette politique entre 2008 et 2014. Le journal L’Humanité avait révélé qu’elle avait perçu une rémunération nette de 4,75 millions d’euros pour services rendus à l’entreprise. La purge chez Danone se poursuit actuellement pour faire remonter le cours des actions : un plan d’économies de 1 milliard d’euros vient d’être lancé avec 2 000 suppressions de postes d’ici à 2023.
La deuxième leçon est que le capitalisme « responsable » est une dangereuse illusion. Danone se présente comme un champion de ce capitalisme dit responsable. Antoine Riboud, le fondateur du groupe, se réclamait du « capitalisme social » avec l’ambition de « nourrir le plus de gens possible dans le monde »… Quant à Emmanuel Faber, il a fait de Danone la première « société à mission ». Défini par la loi Pacte (plan d’action pour la croissance et la transformation des entreprises) votée en 2019 sous l’impulsion de Macron, ce statut prétend donner aux entreprises la possibilité de se fixer conjointement des objectifs de rentabilité et une finalité d’ordre social et environnemental. Qui a été choisi pour remplacer le PDG déchu ? Gilles Schnepp, ancien président de l’électricien Legrand, au profil purement financier, sans compétence dans le domaine agroalimentaire, mais qui a le mérite d’avoir œuvré pour quadrupler le cours en Bourse de son entreprise de 2005 à 2020. Son mandat : faire monter le cours de l’action de Danone. La vérité est ainsi que, société à mission ou pas, Danone est, comme toutes les multinationales cotées, prisonnière de son cours de Bourse et des marchés financiers. L’annonce du récent plan de restructuration est un signal envoyé aux actionnaires.
La troisième leçon de l’« affaire Danone » est qu’il existe des alternatives permettant d’échapper à la logique du capitalisme financier qui ne sont pas du goût de la plupart des responsables économiques et politiques : c’est en particulier le cas des coopératives, qui n’obéissent pas à la logique actionnariale, ainsi que des entreprises publiques, telles que les banques publiques de développement, mandatées par l’État pour atteindre des objectifs d’intérêt général.
Par Dominique Plihon Membre du conseil scientifique d’Attac.
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