Les renouvelables, l’alternative massive au nucléaire
En dix ans, la chute des coûts a rendu le solaire et l’éolien bien plus compétitifs que le nucléaire neuf pour produire de l’électricité.
dans l’hebdo N° 1643 Acheter ce numéro
On en reste incrédule : en août dernier, un industriel coréen a remporté un appel d’offres portugais pour une centrale solaire (photovoltaïque) en proposant son électricité à 11,14 euros le mégawattheure (MWh) – un peu plus de 1 centime le kilowattheure.
Le photovoltaïque a connu la plus ébouriffante dégringolade des coûts de toutes les sources renouvelables d’électricité. Aux États-Unis, les études de la banque Lazard en font foi, ils culminaient à 359 euros/MWh en 2009 en moyenne, pour tomber à 37 euros/MWh en 2020 (voir graphique page 20), dix fois moins en une décennie. Pour l’éolien, une division par plus de trois. Alors que les coûts du nucléaire ont augmenté après Fukushima, passant de 123 à 163 euros/MWh. Dans plusieurs régions du monde, les énergies renouvelables sont devenues plus compétitives que l’atome, voire que le gaz ou le charbon. En une décennie, l’Agence internationale de l’énergie (AIE) a inversé, dans ses prospectives mondiales « bas carbone », la place octroyée au nucléaire et celle des énergies renouvelables dites « nouvelles (1) », qui ont drainé des investissements dix fois supérieurs.
« Des politiques volontaristes de soutien ont permis à l’éolien et au solaire de se développer en dépit de coûts initiaux élevés, commente Cédric Philibert, analyste à l’Institut français des relations internationales (Ifri). Ensuite, il y a les progrès considérables de la technologie. En dix ans, le rendement énergétique des panneaux photovoltaïques a été multiplié par 1,5, et avec beaucoup moins de matière. » L’éolien a connu le même genre de dynamisme, en particulier avec le développement des parcs en mer – vents plus importants, mâts et pales plus grands, etc.
Et puis il y a les effets d’échelle. La Chine, absente en 2000, s’impose dès 2008 comme le premier producteur de panneaux solaires. Ses méga-usines détiennent aujourd’hui 60 % du marché mondial, qu’elles inondent de produits peu chers. L’an dernier, était annoncée la construction d’un monstre capable de produire 60 gigawatts (GW) de panneaux par an (2), le double de la puissance industrielle chinoise actuelle. Autant pour l’exportation que pour son gigantesque marché intérieur. De 2015 à 2020, après avoir levé son moratoire post-Fukushima, le pays a lancé la construction de 11 GW de réacteurs nucléaires, trois fois moins que prévu initialement. Alors que, pour la seule année 2020, il a ajouté respectivement 72 GW et 48 GW de puissance éolienne et photovoltaïque à son parc. Un an avant la catastrophe japonaise, les renouvelables produisaient déjà autant d’électricité que le nucléaire. À l’échelle du monde, ce dépassement a eu lieu vers 2018. Effet domino : par leurs performances, les renouvelables ont gagné la confiance des financiers, qui prêtent jusqu’à 80 % des investissements, et à des taux très faibles. « Un atout de plus pour ces filières, dont l’essentiel de la mise de fonds intervient avant la production du premier kilowattheure », souligne Cédric Philibert. Car les frais en fonctionnement sont limités – pas d’achat de combustible –, notamment dans le solaire, qui nécessite très peu de maintenance.
En France, les renouvelables bousculent également le débat énergétique, toutes proportions gardées. En 2020, éolien et solaire ont couvert environ 14 % de la consommation d’électricité. « Et ce n’est pas fini, car la programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE) leur attribue des objectifs très ambitieux à l’horizon 2028 », se réjouit Jean-Louis Bal, président du Syndicat des énergies renouvelables. En entamant la part du nucléaire, qui doit passer de 75 % à 50 % en 2035, perspective inimaginable il y a dix ans. EDF, qui bataille pour sauvegarde de cette filière, se concentre sur la prolongation au-delà de quarante ans du fonctionnement de ses vieux réacteurs. La facture pourrait dépasser 100 milliards d’euros (voir p. 20), _« mais cela reste moins cher que de reconstruire un parc neuf », souligne Yves Marignac. L’institut indépendant négaWatt, dont il est membre, a produit en 2011 le premier scénario énergétique « zéro nucléaire » à l’horizon 2050 pour la France. Quand l’Agence de la transition écologique (Ademe), sous tutelle ministérielle, a osé le sien en 2016, le puissant lobby pronucléaire a tenté d’empêcher sa diffusion. Fin janvier, on s’est encore rapproché du crime de lèse-nucléaire avec la publication d’une nouvelle étude « 100 % énergies renouvelables » pour la France en 2050. Elle est cosignée par l’AIE et… le Réseau de transport d’électricité (RTE), filiale à 50,1 % d’EDF.
(1) éolien, solaire, biomasse, etc. Hors hydroélectricité, décriée pour l’impact de ses grands barrages, qui reste la première source mondiale d’électricité non émettrice de CO2, mais au potentiel désormais limité.
(2) soit environ 75 fois la capacité photovoltaïque installée en France en 2020.
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