Loi climat : Une caricature de débat démocratique
Trois dispositions de la Ve République permettent à la macronie de verrouiller la discussion parlementaire.
dans l’hebdo N° 1645 Acheter ce numéro
L’innovation démocratique a fait long feu. La Convention citoyenne pour le climat (CCC) qui devait, selon le mot d’Emmanuel Macron, _« revitaliser » notre démocratie s’est fracassée sur le mur des institutions de la Ve République au moment de l’inscription de ses propositions dans la loi. Non seulement l’exécutif n’en a retenu qu’un petit nombre, reniant la promesse élyséenne de soumettre « sans filtre » les propositions de ces citoyens aux parlementaires, mais il a de plus activé trois dispositions, permises par la Constitution, pour verrouiller d’un souverain mépris le débat parlementaire.
La première a consisté à engager la procédure accélérée. Celle-ci réduit le délai minimal entre le dépôt d’un texte et son examen en séance publique ; ce dernier étant en outre limité à une lecture par chambre. Depuis le début des années 2000, les gouvernements ont recouru de plus en plus à cette procédure qui permet de diviser par deux le temps d’examen ordinaire d’un texte. Et ce mouvement s’est encore accéléré depuis 2017. Dès son arrivée au pouvoir, Emmanuel Macron affichait, devant le Congrès réuni à Versailles, sa volonté d’« ajouter la faculté d’agir vite » au « temps long du travail législatif », fort de l’idée que « le rythme de conception des lois doit savoir répondre aux besoins de la société ». Ce qui n’était au départ qu’une possibilité offerte à l’exécutif est devenu la norme.
La seconde disposition découle d’une interprétation récente et abusive de l’article 45 de la Constitution. Après la censure par le Conseil constitutionnel de 26 des 149 articles de la « loi ASAP », jugés dépourvus de lien avec le projet de loi, Richard Ferrand, annonçait, dans un courrier aux député·es du 14 décembre, un renforcement du « contrôle des “cavaliers législatifs” au moment du dépôt des amendements, en commission ou en séance publique ». Dans sa missive, le très macronien président de l’Assemblée nationale indiquait que « le seul fait que des amendements partagent le même objectif que le texte déposé ne suffit pas à les rendre recevables ». La mise en œuvre de ce contrôle discrétionnaire, qui relève en commission de la seule compétence de son ou sa président·e – membre de la majorité – et, en séance publique, du président de l’Assemblée nationale, n’a pas tardé.
Dès janvier, près d’un amendement sur cinq au projet de loi « confortant le respect des principes de la République », en était victime (voir Politis n°1638). La proportion est la même s’agissant du projet de loi « climat et résilience » : 1 089 des 5 310 amendements ont été déclarés irrecevables par la présidente de la commission spéciale, Laurence Maillart‑Méhaignerie, au titre de l’article 45. C’est le cas des amendements destinés à réintroduire dans le texte des propositions de la CCC ou portant des objectifs plus ambitieux, présentés par des groupes de gauche ou les ex-marcheurs réunis autour de l’écologiste Matthieu Orphelin (55 amendements irrecevables sur 226 déposés).
Le caractère arbitraire de cette censure est tel que le contenu des amendements déclarés irrecevables disparaît du site de l’Assemblée nationale. Ainsi gommés, ils sont soustraits à l’appréciation des citoyens.
Le troisième verrou a été activé par la Conférence des présidents. Cette instance, dominée numériquement par les représentants de la majorité dont la soumission à l’exécutif ne souffre quasiment aucune entorse, a fixé un temps législatif programmé pour l’examen en séance, programmé du 29 mars au 9 avril. Cette procédure propre à l’Assemblée nationale, ouverte par la révision constitutionnelle de 2008, permet de fixer d’emblée la durée des débats. Pour le climat, ce sera 45 heures ! Si 60 % du temps est accordé aux groupes d’opposition, le groupe LR se taille la part du lion : 10 h 50 contre 4 h 50 pour le PS, 3 h 55 pour LFI, 3 h 45 pour le groupe GDR. Les non-inscrits, extrême droite et ex-marcheurs écolos, n’ont droit qu’à 50 minutes. Lorsqu’un groupe a épuisé son temps, la parole est refusée à ses membres, et ses amendements sont mis aux voix sans débat.
La combinaison de ces dispositions pousse jusqu’à la caricature le « parlementarisme rationalisé » voulu par les pères de la Ve République. Une république définie dès 1964 par François Mitterrand comme « la possession du pouvoir par un seul homme, le renforcement continu et inéluctable du pouvoir personnel ». Avec pour horizon une dégradation de la démocratie devenue flagrante.