Régionales : EELV, au centre du jeu
Portée par la puissance des enjeux écologiques, EELV apparaît comme la force centrale de ces régionales. Sa stratégie privilégiée de l’« autonomie » divise.
dans l’hebdo N° 1646 Acheter ce numéro
Galvanisé par les municipales, EELV privilégie la stratégie de « l’autonomie » : rassembler d’abord les écologistes, puis, éventuellement, une partie de la gauche derrière eux. C’est d’ailleurs le rôle principal du Pôle écologiste, créé à l’été 2020 avec Génération·s, Génération écologie (GE), présidé par Delphine Batho, le Mouvement des progressistes, fondé par Robert Hue, ainsi que le parti Cap21 de Corinne Lepage et l’Alliance écologiste indépendante (AEI) de Jean-Marc Governatori, qui ont fusionné pour créer Cap écologie, fin février. Mais certaines de ces forces sont très contestées à gauche et rechignent, elles aussi, à l’éventualité d’un rapprochement. Corinne Lepage, ministre de l’Environnement sous Jacques Chirac, soulignait en décembre que Cap21, GE et l’AEI ne sont « pas du tout sur une ligne d’accord avec La France insoumise, ce qui est parfois ambigu pour EELV dans certaines parties du territoire ».Le 18 mars, l’ancienne ministre a de plus suscité l’indignation de certain·es de ses allié·es en parlant sur LCI de « racisme anti-Blancs » à propos de l’Unef. Thomas Portes, porte-parole de Génération·s, l’accuse sur Twitter de reprendre « la rhétorique de l’extrême droite » : « Prenez votre carte au Printemps républicain, les choses seront plus claires. » Ambiance au Pôle écologiste.
Imbroglios
Ces tiraillements se répercutent dans les régions par des imbroglios parfois difficiles à démêler. En région Paca, alors qu’un premier vote interne, le 7 octobre, désigne comme tête de liste Olivier Dubuquoy, signataire d’un appel à un large rassemblement avec les gauches sur le modèle gagnant du Printemps marseillais, un second vote, le 17 janvier, opte – à 15 voix près – pour la stratégie d’autonomie. Conséquence : la région est mise sous tutelle de la direction nationale d’EELV et une autre tête de liste est choisie, Jean-Laurent Félizia, plus conforme à la stratégie du Pôle écologiste.
Bien que Le Canard enchaîné ait dévoilé l’arrivée massive et suspecte de nouveaux adhérents parfois anciennement engagés au FN, EELV invoque le respect absolu de la démocratie locale. « Dans nos statuts, le vote de la stratégie doit se faire avant celui pour la tête de liste, or ça n’a pas été le cas en région Paca, défend Sandra Regol, secrétaire nationale adjointe d’EELV. Chez nous, la démocratie est très importante. » Louable. Sauf que cette exigence est d’application fluctuante. Une autre région a inversé le processus sans que la direction nationale ne s’en émeuve. Dans le Grand Est, le RN est à 23 % des intentions de vote, selon l’Ifop, et la droite, avec 31 %, est donnée gagnante. Éliane Romani a été désignée tête de liste en novembre. Dans l’euphorie des municipales, la stratégie de l’autonomie fait consensus au congrès régional mais n’est pas mise au vote. Ce n’est que le 13 mars, après prise de contact avec le PS, que la stratégie électorale est proposée aux adhérents. Avec pour ligne rouge des éventuelles négociations, « le maintien de la tête de liste ».
En parallèle, l’Appel inédit, pour un rassemblement large entre gauches et écologistes est lancé début décembre par trois personnalités : Aurélie Filippetti, ministre de la Culture et de la Communication sous François Hollande, membre de Génération·s, Caroline Fiat, députée de La France insoumise (LFI), et Pernelle Richardot, conseillère régionale socialiste. « Nous n’avons pas été sollicité·es pour participer à sa rédaction », s’étonne Éliane Romani. Cet appel devient une liste dont Mme Filippetti prend la tête. Au sein du Pôle écologiste, tout membre des instances représentatives signataire est congédié : une partie du mouvement Génération·s décroche. Le 6 mars, le Pôle écologiste lance son « pacte Grand Est ». Un face-à-face mortifère se met en place. Pourtant, le 13 mars, 62 % des adhérents EELV Grand Est – après décompte des bulletins blancs – ont voté « pour ouvrir les discussions avec l’Appel inédit ». Mais là encore, les voix des autres membres du Pôle écologiste font chuter ce résultat à environ « 40 % pour, 40 % contre », d’après Éliane Romani. « Ça ne nous donne pas de mandat clair », constate la tête de liste. Pratique !
« Nous voulons nous unir derrière un programme écologiste et le rassemblement de la gauche, ce n’est pas un programme, affirme Eva Sas, porte-parole d’EELV. L’élection régionale a deux tours. Parfois, partir seul, c’est aussi permettre un large rassemblement au second tour. » Encore faut-il l’atteindre. « Pour gagner ensemble, il faut prendre la meilleure équation : parfois c’est nous en tête de liste, parfois non, plaide Sandra Regol_. On accepte quand ça n’est pas nous, on aimerait que les autres acceptent quand ça l’est. »_ Une logique de la gagne, pertinente dans certaines régions, mais pas appliquée puisque EELV conduit, à ce jour, des listes dans toutes les régions. Toujours dans le Grand Est, la dernière enquête d’opinion donne 16 % des suffrages à une liste de la gauche unie (PCF, PS, LFI, Génération·s), conduite par Aurélie Filippetti. Celle-ci arriverait devant LREM (11 %) mais, surtout, devant une liste d’union conduite par Éliane Romani (10 %)…
Au niveau national, alors que Jean-Luc Mélenchon propose à EELV un accord sur « une tête de liste contre cinq », les Verts sont tenus par leur organisation décentralisée. « Statutairement, nous ne pouvons pas jouer au jeu des sept familles : “je te donne une région et tu m’en donnes une autre”, explique Sandra Regol. Nous sommes mal compris dans ce paysage politique culturellement très centralisé parce que nous nous appliquons à nous-mêmes le fonctionnement décentralisé qu’on appelle de nos vœux. »
Vieux clivages
Tout cela peut donner l’impression que ce parti impose son tempo. « EELV se comporte avec les autres comme il reprochait au PS de le faire », cingle Martine Billard, membre du comité électoral de La France insoumise. Souvent malmené par un PS qui le traitait comme une force d’appoint, EELV a clairement inversé la tendance. « On ne va pas s’excuser que l’écologie soit une préoccupation majeure, ni d’y avoir largement contribué, et on ne va certainement pas s’excuser, dans ce contexte, d’avoir envie de mener un projet écologiste et d’être aux manettes », s’agace Sandra Regol. En visite en Auvergne-Rhône-Alpes pour soutenir la candidate des Verts, Benoît Hamon, qui figure sur la liste de Julien Bayou en Île-de-France, abonde : « Ils ont une position centrale que personne d’autre n’a ! » Pour Benjamin Lucas, secrétaire général de Génération·s, c’est plus complexe : « EELV aux européennes, c’est 12 %, ce n’est pas les 25 % du PS de l’époque ! En réalité, personne n’est vraiment en capacité d’imposer son tempo aux autres. Personne n’est hégémonique et c’est ce qui rend les choses plus compliquées : on doit réinventer notre manière de discuter. »
Avec une culture politique qui ne s’ancre pas dans l’histoire de la gauche française, EELV se positionne aussi comme la voie du dépassement des vieux clivages. Parfois jusqu’à se considérer « ni de droite ni de gauche ». Un gage de liberté qui peut payer dans les urnes, avec un risque pour les Verts de perdre de vue la consubstantialité de leurs luttes avec celles des gauches antilibérales mais aussi – et c’est parfois là que le bât blesse – anti-productivistes. « Nos ennemis, ce sont les droites, rappelle sans détour Sandra Régol. On ne transige pas avec ça. » Dont acte.