« Résine », d’Elodie Shanta : Une sorcière… et la ville brûle

Derrière Résine, héroïne ultramalicieuse, se trouvent une auteure et une maison d’édition résolument féministes. Pour tout âge.

Marion Dumand  • 31 mars 2021 abonnés
« Résine », d’Elodie Shanta : Une sorcière… et la ville brûle
© Elodie Shanta

R ésine est une relecture affranchie et féministe de la sorcière, l’air de rien. Loin des études historiques, sociologiques et militantes, qui reviennent sur cette figure et des femmes bien réelles, loin aussi de la fantasy, assez souvent sexiste, la bande dessinée d’Elodie Shanta prend un contre-pied réjouissant. Et qui, paradoxalement, donne envie de lui accoler nombre de qualificatifs un poil genrés ou kawaï (mignon en japonais), entre petite merveille, ton espiègle et aplats pastel.

Imaginons donc un Moyen Âge avec une bonne dominante de mauve et de rose, de dessins ronds et de visages élémentaires, plus des anachronismes à la pelle. Les personnages ont des rôles simples (la sorcière, le mari de la sorcière, la boulangère…) et des noms rigolos (Résine, Nonosse, le village de Floriboule…). Tout y commence par une chasse aux sorcières, ou plutôt à la sorcière supposée, Résine.

Et là, c’est le grand retournement. Pas de baguette magique ni de niaiseries ; pas de tragédie ni de colère, non, mais une suite de révélations faites au mari de Résine, Claudin, et aux lecteurs. Oui, Résine est une sorcière ; oui, elle veut bien fuir avec Claudin ; mais non, elle n’a pas peur, car une sorcière ne meurt pas sur le bûcher : elle se réincarne et devient encore plus puissante. Et oui, elle a déjà eu plein de maris… « Bah, moi aussi je t’aime, lui répond un Claudin sous le choc, mais ça fait plein de trucs à digérer d’un coup. » Et d’autres aveux vont suivre. Parmi un des plus réjouissants : « Maintenant que tu sais que je suis une sorcière, je peux te le dire… Je n’ai jamais eu de travail. Je fabriquais des sous grâce à mes pouvoirs et je passais mes journées à me promener ou à lire dans les cafés ! » « Hein !? La chance ! » s’exclame un Claudin bien amoureux et résilient.

Tout est déconstruit, avec humour et légèreté, comme une évidence face à l’idiotie. Simples et drôles, rôles et noms prennent les tangentes. Claudin – sans « e » – est le mari de Résine. Il y a un juge et une -« apothiqueresse ». Une mère célibataire et des amoureuses gays. Il y a des gentils, des méchants et du trouble : monsieur Jutard est un salaud avec une tête de salaud et un nom répugnant ; Scorbul a une tête de monstre et un nom morbide mais un cœur d’or. Méfions-nous des apparences, des univers mauves et des dessins faussement enfantins. Avec Résine, l’état de sorcière pourrait même ne pas être l’apanage des femmes. Et cette bande dessinée d’Élodie Shanta, comme ses précédents ouvrages, ne pas être que pour les plus jeunes.

© Politis

D’ailleurs, les éditions La ville brûle ne s’y sont pas trompées : Résine fait partie de la collection « BD-Romans graphiques », et non de celle pour la jeunesse « Jamais trop tôt » (« Jamais trop tôt pour lutter contre les stéréotypes et pour avoir envie de changer le monde »). Mais, des deux côtés, cette jeune et éclectique maison d’édition choisit l’engagement intelligent, accessible et drôle, avec de nombreux titres sur le sexisme, notamment en littératures graphiques.

À partir de 4 ans, on peut ainsi déjà lire Ma maman est bizarre. Bizarre ? « Moi je ne trouve pas, mais c’est ma copine Rose qui me l’a dit. » Et la petite de décrire cette mère androgyne et tatouée. Dans la même tranche d’âge, Ni poupées ni super-héros ! Mon premier manifeste antisexiste fait le job : sous forme de revendication, un garçon affirme son droit à pleurer, une fille – déguisée en sorcière – à parler fort parce qu’elle a « des choses à dire »Mon super-cahier d’activités antisexiste en remet une couche bien ludique.

Plus proche de Résine, parce qu’elle est accessible à des préados mais tout aussi intéressante pour des adultes, la bande dessinée La Ligue des super-féministes de Mirion Malle est devenue un classique du genre : de la très bonne vulgarisation avec de l’humour et des dessins assez punk. Semblable à l’univers de Liv Stromquist, mais familial.

Manifeste et action sont donc au cœur de La ville brûle, dont le nom n’est pas tant une invitation à l’émeute qu’une attente du petit matin, empruntée à Jean Giraudoux : « Comment cela s’appelle-t-il quand le jour se lève, comme aujourd’hui, et que tout est gâché, que tout est saccagé, et que l’air pourtant se respire, et que tout est perdu, que la ville brûle ? […] Cela s’appelle l’aurore. »

Résine, Elodie Shanta, éditions La ville brûle, 92 pages, 17 euros.

Littérature
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