Roya : Qu’elle sera verte, leur vallée !

Le passage de la tempête Alex, le 2 octobre 2020, a laissé la Roya exsangue. La reconstruction prendra des années, mais une partie des habitants se mobilisent déjà pour imaginer un véritable laboratoire de la transition écologique.

Nina Hubinet  • 10 mars 2021 abonnés
Roya : Qu’elle sera verte, leur vallée !
© photos de Jean de Peña

Les pierres sont un peu de guingois mais le mur semble solide. « Les amies qui l’ont refait ne voulaient pas couper l’amandier qui le traverse, alors elles ont replacé les pierres comme elles pouvaient autour du tronc », s’amuse Nathalie Masseglia. Sur les hauteurs de Breil-sur-Roya, cette clown et comédienne inspecte les murs en pierres sèches qui soutiennent les terrasses de culture typiques de la région. « Les restanques, c’est l’identité de la vallée », rappelle cette native de la Roya. Depuis quelques mois, elle se forme aux techniques des murailleurs et organise des chantiers participatifs pour reconstruire ces murs détruits par la tempête. « Si l’on veut prévenir les glissements de terrain lors des prochaines tempêtes, il est indispensable de les consolider. » C’est sa manière à elle de « réparer » de manière durable sa vallée meurtrie par la catastrophe du 2 octobre, quand les flots déchaînés ont emporté ponts, routes, maisons, animaux et êtres humains. Au moins dix personnes ont péri ce jour-là et neuf autres sont toujours portées disparues.

Comme Nathalie, beaucoup d’habitants de la Roya espèrent que la reconstruction s’inscrira dans une dynamique écologique, même si cet adjectif a tendance à créer des clivages dans cette région montagneuse. « Souvent, il suffit d’employer d’autres termes pour que les gens se rendent compte qu’ils sont d’accord », assure Charles Claudo, l’une des chevilles ouvrières de Remontons la Roya. L’association a été créée en novembre, lorsque les membres d’un groupe Facebook ont décidé d’aller au-delà des échanges numériques pour peser concrètement sur les choix de l’après-tempête. Depuis, forts de 150 adhérents et de près de 1 400 membres sur Facebook, «de tous les villages et de toutes les tendances politiques», souligne Charles, ils ont échangé des centaines d’e-mails, organisé des dizaines de réunions en ligne et même quelques-unes en présentiel, malgré les contraintes liées à la pandémie. Les idées fusent : relance de savoir-faire locaux, notamment autour de la laine, pour créer des emplois dans les villages, mise en place d’une « voie verte » pour les cyclistes, piétons et cavaliers, du sud au nord de la vallée, production d’hydrogène pour alimenter les véhicules, relance du train…

Écotourisme et zéro carbone

Dans l’immédiat, l’association, qui envisage de salarier une dizaine de personnes à court terme, va concrétiser un premier projet qui conjugue recyclage et lien social. « Une couturière de La Brigue, qui a perdu son atelier dans la tempête, va ouvrir une “friperie créative” à Sospel : elle va récupérer des vêtements auprès du Secours populaire et mettre en place des ateliers avec les habitants pour les “restyler”, explique Charles. Cela permettra aussi de dépister les situations de détresse : on sait que les personnes qui sont en difficulté n’osent pas demander de l’aide, parce que tout le monde se connaît dans nos villages et qu’elles ont honte. » Dans les mois qui viennent, deux autres de ces friperies sociales devraient ouvrir, à La Brigue et à Saint-Dalmas-de-Tende, villages du haut de la vallée.

Alors que le train a permis de relier sud et nord de la Roya dans les deux mois qui ont suivi la tempête, il ne circule plus aujourd’hui, à cause d’un viaduc fragilisé. En attendant la fin des travaux – la SNCF devrait annoncer d’ici à quelques semaines la réouverture de la ligne pour l’été –, le seul moyen de rejoindre les villages du haut de la vallée est d’emprunter l’un des trois convois quotidiens pour franchir la portion de route la plus endommagée. Et pour atteindre le hameau de Casterino, point de départ de la vallée des Merveilles, il n’y a pas d’autre solution que l’hélicoptère ou les chaussures de marche. « Le département des Alpes-Maritimes a lancé une campagne de communication pour sauver la saison touristique », fait savoir le maire LR de Breil, Sébastien Olharan. Du côté de Remontons la Roya, on a imaginé une liaison cycliste depuis l’Italie. « Une entreprise de Limone, côté italien, va s’équiper en vélos à hydrogène que les touristes pourront louer pour atteindre Casterino », explique Charles Claudo. L’association y voit un premier pas vers un grand projet autour de l’hydrogène. « L’objectif à long terme, c’est une vallée zéro carbone centrée sur l’écotourisme. »

Avec le secteur médico-social et les collectivités locales, le tourisme est en effet l’un des principaux employeurs de la Roya. Mais les sports d’eaux vives ne peuvent quasiment plus être pratiqués, les canyons et piscines des affluents de la Roya ayant disparu avec la tempête, qui a totalement déformé les cours d’eau. « On essaie d’aménager des petits circuits alternatifs », soupire Laurent -Collard, moniteur de canyoning et de rafting à Breil. En attendant d’emmener à nouveau les visiteurs crapahuter dans les ruisseaux, il participe à une étude scientifique conduite par une équipe pluridisciplinaire, rassemblant géologues, physiciens, climatologues, sociologues et urbanistes. « L’un des objectifs est de déterminer si la fréquence des événements climatiques extrêmes du type de la tempête Alex a tendance à augmenter», explique Stéphane Desruelles, géographe qui coordonne ce projet de recherche intitulé « Story ». Si ce genre de tempête cataclysmique ne s’est pas produit plus d’une fois par siècle jusque-là, les premiers résultats semblent montrer que le réchauffement climatique les favorise. « La Méditerranée étant de plus en plus chaude en été, son évaporation à l’automne crée des masses d’air chargées d’eau qui finissent en précipitations très violentes lorsqu’elles rencontrent les montagnes », détaille le géographe. Une nouvelle donne à laquelle la Roya va devoir s’adapter. Pour réfléchir de manière participative aux solutions possibles, les chercheurs de Story vont mener dans les mois qui viennent des ateliers avec les habitants de la vallée.

Le potentiel de l’oléiculture

Pour ce qui est des zones inondables, la préfecture des Alpes-Maritimes a déjà annoncé que les nouvelles constructions, hormis des équipements publics sans hébergement, seraient interdites à moins de 40 mètres du lit de la rivière. « Nous ne savons pas encore, par exemple, où nous pourrons reconstruire notre camping, qui a été emporté par la crue », souligne Sébastien Olharan. Tout en espérant que de nouvelles zones constructibles soient ouvertes sur les hauteurs, il mise pour l’instant sur la rénovation de l’existant. « Nous avons déjà fait des travaux dans des bâtiments de la SNCF qui étaient vides depuis longtemps, et nous y avons relogé quatre familles sinistrées. »

Au-delà du logement, le maire de Breil estime aussi que l’oléiculture représente un « potentiel énorme » pour l’économie locale. « Nous sommes l’une des communes de France qui comptent le plus grand nombre d’oliviers. On peut développer à la fois la formation, la production et la vente », affirme-t-il. Alors que l’élu local envisageait l’implantation d’industries « respectueuses de l’environnement » comme un autre ressort économique possible il y a quelques mois, cette hypothèse ne semble plus vraiment à l’ordre du jour.

Même si beaucoup d’habitants de la Roya ont un moral en dents de scie, et même si la hantise de la désertification est présente, la vallée foisonne d’initiatives pour « reconstruire autrement ». « Depuis des années, on voyait la Roya péricliter, estime René Dahon, habitant de Tende et membre de Remontons la Roya. La crise climatique, paradoxalement, c’est l’occasion parfaite pour changer de voie. ».

Écologie
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