Violences obstétricales : En finir avec les « brutes en blanc »
Depuis que la parole se libère autour des violences gynécologiques et obstétricales, le mouvement féministe se bat sur ce terrain.
dans l’hebdo N° 1647 Acheter ce numéro
P our ma première consultation gynécologique, elle m’a inséré un spéculum en métal sans lubrifiant » ; « Il pilonne mon utérus de toutes ses forces malgré mes cris » ; « Je suis sortie en pleurs avec l’impression d’avoir été violée » ; « La puéricultrice m’appuyait sur le ventre debout sur un tabouret avec les deux avant-bras. » Imprimés sur de grandes pancartes, ces témoignages de femmes s’exposent à la vue de tous et toutes place de la République, à Paris. Dimanche 7 mars, veille de la Journée internationale des droits des femmes, associations et collectifs féministes s’y sont rassemblés. Caroline De Haas, figure emblématique du féminisme en France, est présente. Dès son arrivée, c’est vers le stand du collectif Stop violences obstétricales et gynécologiques -(StopVOG) qu’elle se dirige pour une poignée de main avec sa fondatrice, Sonia Bisch. « Le féminisme s’est attaché à un moment donné à extraire la femme de sa condition de mère. Il n’est donc pas entré dans les maternités ou les cabinets gynécologiques, retrace Sonia Bisch. Aujourd’hui, nous sommes unies dans une lutte globale contre l’oppression du corps des femmes. »
« Après un accouchement ou une visite chez le gynécologue qui les a mises mal à l’aise ou fait souffrir, beaucoup de femmes ne se sentent pas légitimes d’en parler et craignent qu’on les taxe d’ingratitude », explique Sonia Bisch, maman d’une fillette de 5 ans, qui garde un souvenir « traumatisant » de son accouchement. « Des personnes malveillantes ont pratiqué sur moi des actes médicaux à vif, des forceps, etc. J’ai cru mourir de douleur. » Des « brutes en blanc », pour reprendre le titre d’un ouvrage de Martin Winckler…
« On n’imagine pas que ces violences puissent survenir de la part de soignants, confesse Gauthier Bouret, 41 ans, membre du collectif StopVOG. D’autant que les hommes y participent parfois sans le savoir, en faisant confiance dans la salle d’accouchement au gynécologue, à la sage-femme, etc. comme à des pilotes d’avion. On n’y connaît rien, donc on les suit. »
Gauthier Bouret souligne aussi que, s’il existe un examen de dépistage à faire chez soi sans passer par la case visite médicale pour le cancer colorectal, on ne cherche pas de solution comparable pour remplacer le frottis ou la palpation, examens en cabinet destinés à prévenir les cancers de l’utérus et du sein. Des actes qui peuvent faire l’objet de violences sexistes, comme en témoignent de nombreuses patientes dans l’enquête de la journaliste Mélanie Déchalotte, Le Livre noir de la gynécologie (First, 2017) ou sur Balance ton utérus. Lancé en 2019, ce compte Instagram s’inscrit « dans une série de plusieurs “petits buzz” qui, via les réseaux sociaux, ont permis de libérer la parole autour des violences gynécologiques et obstétricales », explique Marie-Hélène Lahaye, auteure du blog Marie accouche là et d’une tribune sur les touchers vaginaux sur patientes endormies au bloc opératoire de la faculté de médecine de Lyon II (1). Dès 2015, elle lance l’alerte sur cette atteinte à la loi Kouchner de 2001, qui dispose qu’« aucun acte médical ni aucun traitement ne peut être pratiqué sans le consentement libre et éclairé de la personne ».
Le taux d’épisiotomie, acte assez barbare et agressif, est de 75 %
Alertée par l’opinion publique, l’ancienne secrétaire d’État à l’Égalité entre les femmes et les hommes Marlène Schiappa commande un rapport afin d’« objectiver et mesurer » le phénomène. Sorti en 2018, il conseille de mieux former les médecins et d’effectuer des études globales sur les pratiques gynécologiques. Il permet également de chiffrer le taux d’épisiotomie en France à 75 %, alors que la Haute Autorité de santé -préconise de ne pas en réaliser systématiquement. Il s’agit d’« un acte assez violent, barbare et agressif », estime Nasrine Callet, gynécologue à -l’Institut Curie (2). « De nombreux témoignages de femmes traumatisées par une épisiotomie continuent de nous parvenir », s’indigne Sonia Bisch, à l’initiative d’une enquête sur la naissance lors du premier confinement. Sur 3 000 femmes interrogées, la moitié avaient dû porter un masque pendant leur -accouchement. Une forme de violence obstétricale dénoncée sur Twitter avec le hashtag #StopAccouchementMasqué, et qui, selon le collectif StopVOG, a « entraîné davantage d’interventions médicales dues à des complications (fièvre, épisiotomie, déchirure naturelle, Syntocinon en continu, forceps, etc.) ».
« Les recommandations du Haut Conseil de la santé publique (HCSP) et du ministère de la Santé vont toutes dans le même sens : le port du masque est recommandé », précise Joëlle Belaisch-Allart, cheffe du service de gynécologie de l’hôpital de Saint-Cloud (92). Et d’ajouter : « Si la femme ne le supporte pas, on lui propose une visière. Et sinon, tous les soignants ont un FFP2. » Quoi qu’il en soit, « il faut cesser ce gynéco-bashing. Sommes-nous violents ? Je suis convaincue que non, mais l’accouchement, lui, peut l’être dans ses risques. » Quant à affirmer que la médecine est patriarcale, pour Joëlle Belaisch-Allart, ce temps est révolu : « En tant que première femme présidente du Collège national des gynécologues et obstétriciens français (CNGOF), j’en suis la preuve. »
Preuve de sa bonne foi, le CNGOF a lancé en 2019 un label pour les maternités « bienveillantes ». Parmi les critères : la possibilité de « vivre un accouchement démédicalisé » en l’absence de facteurs de risques ou l’amélioration de l’information des femmes enceintes via un site Internet, Maternys. « Une réponse inadaptée », selon Marie-Hélène Lahaye. « Car ces critères sont évidents. En plus, leur application n’est pas vérifiée par une instance de contrôle indépendante », mais par une instance présidée par Israël Nisand, l’ancien président du CNGOF. Pour cette juriste de formation, auteure d’un récent article intitulé « Comment porter plainte pour violences obstétricales ? », l’impunité du corps médical français n’a que trop duré.
« La majorité des victimes veulent que les soignants admettent leur erreur, que l’existence d’une faute soit gravée dans le marbre judiciaire et que cela ne se reproduise pas pour d’autres », ajoute l’avocate Alba Horvat, qui rappelle que la plupart des affaires relèvent du civil et non du pénal, « soit des procédures longues, compliquées à mettre en place, avec souvent peu d’indemnisations ». Marie-Hélène Lahaye le reconnaît elle-même, « porter plainte n’est pas la meilleure méthode. À moins d’avoir un procès politique emblématique, à l’image du procès de Bobigny, avec une avocate comme Gisèle Halimi qui prendrait un cas de violence gynécologique et/ou obstétricale et parviendrait, au-delà de ce cas individuel, à mettre en lumière l’atteinte aux droits des femmes dans le domaine de la santé ». Comme une piqûre de rappel au fameux serment -d’Hippocrate : « Je respecterai toutes les personnes, leur autonomie et leur volonté, sans aucune discrimination selon leur état ou leurs convictions. […] Même sous la contrainte, je ne ferai pas usage de mes connaissances contre les lois de l’humanité. »
(1) « Le consentement, point aveugle de la formation des médecins », publiée par Mediapart, cosignée par une cinquantaine de personnalités, dont Martin Winckler, Ovidie et Caroline De Haas.
(2) Interview dans Marianne, juillet 2017.