Assurance-chômage : la grande loterie
Le nouveau décret réformant, au 1er juillet, les règles d’indemnisation aura des répercussions dramatiques sur le niveau des allocations versées aux chômeurs et sera extrêmement inégalitaire, alerte Samuel Churin, membre de la Coordination des intermittents et précaires. Preuves à l’appui, il met au défi le gouvernement de prétendre le contraire.
Lors d’un rendez-vous récent au ministère du travail, j’ai commencé mon intervention par ces mots : « Vous avez le droit de ne pas être d’accord avec nous, mais nous devons d’abord nous mettre d’accord sur des faits, des chiffres incontestables. Lorsqu’un immeuble mesure 15 mètres, que sa hauteur est validée au centimètre près par un géomètre expert, certains considèreront qu’il est trop haut, d’autres trop bas. La discussion est alors possible. Votre méthode, seuls contre tous, consiste à affirmer que l’immeuble mesure 100 mètres. Soit vous êtes incompétents, soit vous êtes menteurs, soit les deux, mais dans tous les cas il est impossible de discuter avec vous. »
Ainsi l’heure est trop grave pour laisser passer autant de mensonges d’État. Bien sûr ce gouvernement brille par ses incompétences multiples, mais il est grand temps de rétablir des faits incontestables. À partir de là, ce gouvernement devra assumer sa folie.
Je demande donc que soit vérifié tout ce qui suit. Ce qui est écrit n’est pas de l’ordre de l’opinion. C’est vrai ou faux. Le fact checking (vérification des faits) est indispensable. Tant que ces faits ne seront pas vérifiés, ce gouvernement pourra avancer masqué, mettre en avant une divergence de point de vue. Or la réalité est très grave : ce président et ce gouvernement qui prétendent lutter contre le fléau des rumeurs et des fake news, contre les complotistes, sont les premiers à utiliser ces méthodes dans une indifférence d’opinion presque générale au moment où tous les médias sont obsédés par la crise sanitaire.
De quoi s’agit-il ? De la plus grave réforme jamais proposée depuis l’après-guerre, celle de l’Assurance chômage du régime général. Cette réforme fera des milliards d’euros d’économie sur les plus pauvres et interdira de toute indemnisation bon nombre de chômeurs. Cela, nous le savions, et nous le hurlons depuis 2019. À ce propos, Il faut saluer le mouvement d’occupations des 100 théâtres qui le rappelle tous les jours.
Mais ce que Mathieu Grégoire, sociologue, vient de démontrer va beaucoup plus loin. Graphiques et chiffres à l’appui, le résultat est implacable : cette réforme est une pure loterie.
Ce qui suit vous paraîtra irréel, et pourtant tous ces cas exposés par Mathieu Grégoire sur la revue Salariat ont été vérifiés.
Loterie pour les malades et les femmes enceintes
Contrairement à ce qu’affirme le gouvernement, chômeuses et chômeurs pourront être lésés par la réforme simplement parce qu’elles seront enceintes ou malades au mauvais moment. Contester ces nombreux cas est un mensonge. Ces faits sont vérifiés.
Loterie due à l’effet papillon : une journée de travail supplémentaire pour 10.820 euros de perdu !
Le cas de Julien est emblématique : À cause d’un seul contrat d’une seule journée à 180 euros 12 mois avant, Julien percevra 11.000 euros en moins d’Assurance Chômage sur une année !
Autrement dit, si Julien n’avait pas travaillé cette journée un an avant, il aurait perçu 11.000 euros en plus. À cause de cette petite journée isolée effectuée 12 mois avant, Julien a perdu 11.000-180 = 10.820 euros.
Autrement dit, on pourrait croire que ce gouvernement incite Julien à ne pas travailler ou à ne surtout pas déclarer cette seule petite journée isolée tant les conséquences financières sont importantes. C’est le travailler plus pour gagner beaucoup beaucoup moins !
Le cas de Julien (un exemple parmi beaucoup d’autres) est incontestable. Ces faits sont vérifiés.
Loterie due à la répartition des périodes d’emploi : emploi égal, salaire égal, un rapport de 1 à 24 !
C’est le plus grand scandale de ce dossier et le mot loterie doit être pris au premier degré. Pour rappel, la période de référence à partir de laquelle est calculée l’indemnité journalière est de 24 mois.
Comparons deux parcours : celui de Félix et Marjorie.
Pendant sa période de référence de 24 mois, Félix est d’abord en inactivité totale pendant 12 mois puis a un premier CDD de 2 mois et immédiatement un second CDD de 10 mois, au même salaire mensuel. Félix a donc déclaré 12 mois de travail en 24 mois. Félix ouvre des droits au chômage et travaille 1 mois sur 2 à partir du 1er janvier.
Pendant sa période de référence de 24 mois, Marjorie a d’abord un CDD de 2 mois, une période de chômage de 12 mois, puis un CDD de 10 mois, au même salaire mensuel que Félix. Marjorie a donc comme Félix déclaré 12 mois de travail en 24 mois pour exactement le même salaire. Marjorie ouvre des droits au chômage et comme Félix travaille 1 mois sur 2, mais à partir du 15 janvier.
Pour résumer, Félix et Marjorie ont déclaré exactement le même nombre de mois de travail (12 mois) pour exactement le même salaire avant d’ouvrir des droits. Félix travaillera du 1 au 30 du mois, un mois sur deux et Marjorie du 15 au 15 du mois suivant, un mois sur deux.
Félix percevra 19.000 euros d’indemnisation sur deux années. Marjorie percevra 800 euros d’indemnisation sur deux années.
Alors que leurs emplois et leurs salaires sont strictement identiques et ne différent que par leur répartition dans les 24 mois de la période de référence et par les dates de leurs contrats, Marjorie percevra 24 fois moins que Félix. Les cas de Félix et Marjorie sont incontestables. Les faits sont vérifiés.
Pour les intermittents du spectacle qui me lisent, imaginez que votre indemnisation puisse être 24 fois moins importante selon la répartition de vos contrats dans l’année ! Selon que vous ayez des dates en janvier et pas en mars !
Messieurs Macron, Castex, madame Borne, les faits ci-dessus sont incontestables. Si vous continuez à les nier alors que les preuves sont faites, cela relève du mensonge et nous vous attaquerons. Si ce que nous disons est faux, attaquez-nous tout de suite en diffamation.
Continuer de défendre cette réforme, c’est non seulement assumer une casse sociale sans précédent mais c’est aussi défendre un principe de loterie et d’inégalité de traitement que le conseil d’État a déjà relevé lors d’un précédent jugement.
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Saluons les chercheurs, cibles du gouvernement, pour leur formidable travail. Merci en particulier à Mathieu Grégoire qui ne cesse de rétablir des vérités par ses travaux éclairés et éclairants. Merci à Mediapart pour son travail d’information sur ce dossier depuis le début.
À nous de tout faire pour révéler ces faits partout, que cela devienne pandémique, afin que les médias enfin dénoncent les mensonges répétés de ce gouvernement, leur demandent de s’expliquer. À nous de les mettre hors d’état de nuire, il y a non-assistance à personne en danger.
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