Avec « 2022 ou jamais », la société civile veut faire pression sur la gauche
Lancée en début d’année, l’association veut organiser une primaire populaire à l’automne pour désigner un candidat commun à la gauche et aux écologistes. Et compte bien sur le soutien des électeurs pour dépasser les réticences actuelles des partis politiques.
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Le nom de la démarche, « 2022 ou jamais », dit tout de l’urgence qui la guide. Ou plutôt de la multiplication des urgences – écologique, sociale, économique – et, au premier rang de celles-ci, de l’urgence politique à pouvoir offrir une alternative à la perspective d’un nouveau second tour Macron-Le Pen lors de la prochaine élection présidentielle. Or « aucune force portant actuellement les valeurs de l’écologie et la justice sociale n’est en mesure, seule, de gagner », énonce ce collectif apartisan sur son site Internet. Une alternative sans alternative, en somme : il faut une candidature unique, condition sine qua non – bien qu’insuffisante – pour une victoire de la gauche en 2022. Voilà donc pour l’objectif affiché.
Mais il n’a pas échappé à ces défenseurs de l’unité que les boussoles actuelles des partis politiques rendent pour l’heure cet horizon très incertain. Raison pour laquelle « 2022 ou jamais » a conçu ses propres règles du jeu pour y parvenir, autour d’une méthode bien particulière : celle d’un grand scrutin populaire qui doit permettre de désigner, à l’automne prochain, le candidat du rassemblement des gauches et des écologistes. Les agitateurs ont pour cela prévu un plan en trois étapes. D’abord, l’écriture d’un socle programmatique commun, avec le concours de toutes les forces de gauche, dont les premiers résultats sont attendus prochainement. Ensuite, un temps de parrainage en ligne, à l’été, permettant à tous les citoyens de nommer un candidat qu’ils souhaiteraient voir concourir. _« Afin d’éviter que ce soient les partis politiques qui imposent, seuls, les noms de leurs candidats », souligne Mathilde Imer, la coprésidente de « 2022 ou jamais », ancienne membre du comité de gouvernance de la Convention citoyenne pour le climat et l’une des principales têtes pensantes du dispositif. Enfin, les dix candidats les plus plébiscités s’affronteront dans le cadre d’une primaire, départagés en un tour unique selon les règles particulières du « jugement majoritaire » : « le moyen le plus précis et le plus efficace de connaître l’opinion d’un groupe, en évitant les écueils du vote utile et des dynamiques de négociation », défend Samuel Grzybowski, président fondateur du mouvement Coexister, l’autre pilote majeur de cette sorte de lobby citoyen pro-union de la gauche. Le verdict serait alors connu à la fin octobre (la date du samedi 23 est envisagée pour ce scrutin).
Un processus audacieux, et pour le moins exigeant, auquel croit l’historienne Laurence De Cock : « Cela a le mérite d’inverser totalement l’ordre des choses instauré par le rituel présidentiel : il ne s’agit plus de se laisser séduire par des promesses électorales qui risqueraient de ne pas être tenues, mais bien d’imposer préalablement des idées et un projet collectivement formalisés, conçus comme le produit d’attentes et de demandes populaires, au nom desquels un candidat pourra se présenter. Dès lors, l’identité de ce candidat devient secondaire puisqu’il n’est plus qu’émissaire, et non l’émetteur du programme. C’est aussi une façon de court–circuiter les ego et la cuisine interne aux partis. » Avec d’autres, parmi lesquels le réalisateur Cyril Dion, le climatologue Jean Jouzel ou le philosophe Abdennour Bidar, elle fait partie de la dizaine de parrains et de marraines issu·es de la société civile qui soutiennent le projet. On y retrouve également la sociologue Dominique Méda et le journaliste Guillaume Duval, qui avaient entrepris une démarche similaire en 2016 avec l’« Appel pour notre primaire ». Sans succès. « La différence, c’est qu’à l’époque nous n’étions qu’un tout petit noyau à pousser derrière. Cette fois, nous sommes vraiment enracinés dans les associations de la société civile et il y a bien plus de moyens », compare ainsi Dominique Méda.
De fait, la structure, constituée en association en février, jouit d’un budget de départ de 300 000 euros levé auprès de quelques mécènes privés – dont l’ancien résistant Claude Alphandéry, également parrain – et s’apprête à lancer une campagne de financement participatif. Ce qui lui permet déjà, en attendant, de s’appuyer sur une jeune équipe de six salariés que dirige Martin Rieussec, qui fut cofondateur du collectif Les Jours -heureux. Sans compter l’écosystème associatif qui s’affiche en soutien de l’initiative et où cohabitent des organisations telles que le collectif Pas sans nous, le réseau d’entrepreneurs Make Sense, le mouvement Youth for Climate ou encore l’Institut Rousseau. « 2022 ou jamais » hérite en cela d’un long processus d’échanges et de rencontres, qui s’était cristallisé l’année dernière autour des « Rencontres des justices », mélangeant activistes, entrepreneurs et responsables politiques.
Il n’en reste pas moins que, pour fonctionner, le projet suppose que tous les partis politiques s’associent à la démarche. Une sacrée gageure dans l’état actuel des choses : joints par Politis, les états-majors du Parti socialiste, d’Europe Écologie-Les Verts ou de La France insoumise expriment tous, -officiellement, la plus grande réserve. « On n’a jamais dit qu’on confiait à “2022 ou jamais” la rédaction d’un programme commun, ils n’ont pas été mandatés par les partis pour cela. Le but de cette organisation, c’est d’abord d’organiser la primaire de la gauche », estime Laurent Baumel, du côté du PS. Un objectif que réfute justement Sarah Legrain, à LFI : « On n’a jamais topé pour une primaire ! On ne renonce pas aux discussions, mais si l’objectif du commun, c’est de faire de l’eau tiède, ça ne nous intéresse pas… De manière générale, il faut arrêter avec l’obsession de l’unité à tout prix comme seule solution. C’est un discours démoralisant et je ne suis pas sûr que ce soit vrai. » Pendant ce temps, EELV ne veut parler que d’une seule primaire, la sienne, prévue en septembre : « Il faut une candidature de l’écologie politique à la prochaine élection présidentielle, et je n’ai ni l’envie ni le mandat de la jouer aux dés », justifie le chef des écolos, Julien Bayou, qui renvoie la balle à « 2022 ou jamais ». « Nous sommes le seul parti à nous engager déjà dans un processus de primaire, tous les autres l’ont refusé. Soit il s’agit bien de désigner une candidature écologiste, auquel cas fusionnons et organisons-la ensemble ! Soit c’est ouvert aux quatre vents, au risque de se retrouver avec un candidat social–démocrate, auquel cas c’est sans nous. »
Définitivement irréconciliables ? Ce n’est pourtant pas ce que laissent entrevoir, derrière ces postures, toutes les discussions menées plus discrètement, ces dernières semaines, sous l’égide, déjà, de « 2022 ou jamais ». Depuis le mois de mars, un bien nommé « conseil des partis » réunit même chaque semaine la totalité des forces – jusque dans leurs plus subtiles nuances et chapelles – de l’arc politique de la gauche française. Tous les jeudis, de 11 heures à 13 heures, ce sont ainsi une cinquantaine de participants qui phosphorent autour de dix mesures fortes qu’ils pourraient partager. Si leur nature exacte est encore tenue secrète, des propositions ambitieuses seraient à attendre sur la fiscalité, la réforme institutionnelle (les débats ont notamment porté sur la proportionnelle et le droit de vote à 16 ans) ou encore la Sécurité sociale. « On travaille sur une ossature de projet, et chacun fait des efforts – on a par exemple acté qu’on utiliserait le terme de VIe République. Et tout le monde participe par peur, autrement, de se prendre un retour de volée politique », témoigne le député Aurélien Taché, ex-macroniste.
De quoi offrir un peu d’espoir pour la suite des opérations ? C’est le pari fait par les animateurs, qui veulent accélérer dans les tout prochains jours, en lançant une pétition de soutien. « Une sorte de concours de la plus grosse base mail, ironise une membre de “2022 ou jamais”. Les partis nous l’ont dit clairement : pour l’instant, ils ne croient pas en nous tant qu’on ne leur montre pas concrètement que la société civile est capable de se mobiliser pour leur foutre la pression. »
Objectif annoncé : 500 000 signatures à la fin juin, au lendemain des régionales. Une façon d’engager le rapport de force plus concrètement auprès des partis réfractaires, résume Mathilde Imer. « Car il n’y a que ça qui pèse à la fin : les partis restent des machines qui comptent leurs millions d’électeurs en regardant ce que cela rapporte en financement électoral. »