Delphine Batho : « Concilier productivisme et écologie n’est pas possible »

Pour la députée écologiste Delphine Batho, le projet de loi « Climat et résilience » proposé par le gouvernement n’est qu’un leurre politique et ne rompt pas avec le mythe de la croissance.

Vanina Delmas  • 7 avril 2021 abonnés
Delphine Batho : « Concilier productivisme et écologie n’est pas possible »
© Xose Bouzas / Hans Lucas / Hans Lucas via AFP

Selon les dires du gouvernement, le projet de loi « Climat et résilience » est le descendant direct des travaux de la Convention citoyenne pour le climat. Dans les faits, il est critiqué par de nombreuses ONG écologistes, par le Haut conseil pour le climat, et par des député·es, dont Delphine Batho. Dans cette séquence d’examen du projet de loi à l’Assemblée nationale, la députée du collectif Écologie, Démocratie, Solidarité (EDS) et présidente de Génération écologie fait preuve de pugnacité malgré un débat verrouillé par la majorité et l’omniprésence des lobbys.

Pourquoi affirmez-vous que ce projet de loi Climat et résilience est une « fausse loi » ?

Delphine Batho : Premièrement, le projet de loi tourne le dos aux propositions de la Convention citoyenne pour le climat (CCC) : Reporterre a relevé que seulement 10 % d’entre elles ont été reprises. Ensuite et surtout, le projet de loi ne permet pas à la France de respecter ses engagements dans la lutte contre le changement climatique, c’est-à-dire que son efficacité est inexistante ou presque. L’évaluation réalisée par Matthieu Orphelin [député écologiste de Maine-et-Loire], dont les compétences en la matière sont établies, montre que le projet de loi permet au mieux d’éviter six à dix millions de tonnes de CO2 par an en 2030, alors qu’il faudrait en éviter 112 millions a minima !

Quels reculs sont les plus dramatiques, selon vous ?

Ceux sur la rénovation énergétique des logements. Le secteur du bâtiment est un enjeu déterminant par rapport à la réduction des émissions de gaz à effet de serre et de la consommation d’énergie, mais aussi en termes de justice sociale. La lutte contre le changement climatique, la justice sociale et la réduction des inégalités fonctionnent ensemble puisque 6,7 millions de Françaises et de Français vivent en situation de précarité énergétique. Le projet de loi a été modifié par amendement de LREM et considère désormais qu’un logement rénové atteignant le niveau C ou D est très performant. Or, toute la stratégie bas carbone de la France est fondée sur des logements A ou B. En ne visant que le niveau C, on fige le parc à un niveau de performance qui n’est pas celui prévu pour respecter l’accord de Paris et la neutralité carbone en 2050. Cela signifiera des rénovations très performantes pour ceux qui en ont les moyens et une logique de rénovation bas de gamme pour les autres. D’autre part, le gouvernement passe son temps à répéter des mensonges sur cette question du logement, notamment en disant que « les passoires thermiques seront interdites à la location en 2028 ». Les logements passoires thermiques seront considérés comme indécents au regard de la loi, mais cela n’interdira pas la location, et les locataires seront toujours obligés de payer le loyer.

Quelques avancées tout de même ?

La ministre de l’Écologie a indiqué qu’elle n’accepterait aucun recul, or il y en a eu beaucoup ! Ils ont même rétabli les échantillons gratuits dans les magazines de presse, supprimé la généralisation de la consigne en vrac, et même la possibilité pour les maires d’autoriser ou pas les écrans publicitaires numériques…

La majorité se targue pourtant d’avoir durci le ton en interdisant la publicité pour la commercialisation et la promotion des énergies fossiles, et d’avoir renforcé la lutte contre le greenwashing.

La définition adoptée pour le greenwashing s’appliquerait parfaitement à ce projet de loi ! Il y a un choix assumé de protéger le secteur de la publicité et de considérer comme normal qu’il tienne les médias en France. Or, quand on regarde les budgets publicitaires et la part de la publicité pour les SUV, c’est considérable ! Je me suis replongée dans les débats sur la loi Evin et j’ai retrouvé les mêmes arguments : « Le monde de la pub va s’écrouler ! », « les Ayatollah de la santé publique, ça suffit ! ». À l’époque, les budgets publicitaires pour le tabac étaient loin d’être anecdotiques, et rien ne s’est écroulé. Je veux insister sur les écrans publicitaires qui sont partout (les gares, les métros, les vitrines des commerces) et se déploient à grande échelle dans les villes : c’est une hérésie. Ils sont énergivores, et sollicitent nos facultés cognitives sans qu’on le décide. Contrairement aux autres sujets liés à la publicité, nous sommes là au début d’une dérive que nous pouvons encore empêcher. Il y a sur ce sujet un renoncement spectaculaire…

Vous avez présenté la semaine dernière, avec d’autres député·es, une proposition pour « une vraie loi climat ». En quoi est-elle en rupture avec le projet de loi ?

Le gouvernement a un texte de 126 articles qui a pour effet seulement six millions de tonnes de CO2 évitées en 2030. Le nôtre montre qu’en 17 articles, on peut atteindre facilement 50 millions de tonnes de CO2 en moins dans les transports et le bâtiment, et les 112 millions en organisant la sortie des énergies fossiles. Notre proposition de loi se fonde sur l’efficacité carbone. Elle cible les leviers les plus efficaces de changement comme l’écoconditionnalité des aides aux entreprises. Sans ces mesures de régulation, il sera impossible à la France d’atteindre ces objectifs à l’horizon 2030.

Comment décrire la stratégie mise en place par la majorité pour édulcorer cette loi ?

La logique est d’opposer au dispositif inédit de démocratie délibérative qu’est la CCC toute la brutalité de la Ve République. Le subterfuge de l’article 45 de la Constitution a permis de considérer hors sujet des propositions de la Convention : elles ne sont soumises ni au débat ni au vote, et la majorité évite ainsi de voter contre. C’est une stratégie de camouflage. La procédure du temps législatif programmé prive les députés écologistes du temps de parole dans les débats. Je regrette que les groupes d’opposition n’aient pas fait usage des prérogatives qu’ils ont pour allonger le temps de débat. Nous n’avons eu que quelques minutes dans la discussion générale, mais aucun temps de parole sur les amendements et l’absence d’argumentation étayée se ressent énormément dans le déroulement du débat.

Vous ripostez avec des rendez-vous quotidiens sur la plateforme de vidéos en direct Twitch.

C’est une façon de poursuivre le combat pour la loi climat, de donner la parole à tous ceux et toutes celles qui ne l’ont pas (les membres de la CCC, des ONG, des experts, etc.) et de montrer que ce texte de loi ne referme pas le chapitre des propositions de la Convention citoyenne. Nous parlons du fond en défendant les amendements que nous ne pouvons pas défendre dans l’Hémicycle, mais nous parlons aussi du fonctionnement du Parlement. C’est l’occasion de transformer les débats de l’Assemblée nationale en débat citoyen et démocratique.

Cette loi est-elle l’aboutissement de « l’écologie pratique, de bon sens », défendue par Macron et la majorité depuis le début du mandat ?

Nullement. En revanche, elle résume le comportement politique du pouvoir, et même des autres forces politiques à l’égard de l’écologie. La seule chose qui intéresse le pouvoir dans ce projet de loi, ce sont les apparences. Le gouvernement veut faire croire qu’il est le juste milieu entre ceux qui ne veulent rien faire et ceux qui seraient trop radicaux. Or la vraie question est : sommes-nous efficaces pour le climat ? Ce n’est pas en faisant seulement 10 % de l’action que nous serons efficaces face aux tempêtes, aux ouragans, ou aux sécheresses à répétition. Le pouvoir prétend incarner la conciliation entre le productivisme et l’écologie mais ce n’est pas possible. Son choix principal reste celui de la croissance économique et du consumérisme contrairement à la CCC qui s’inscrit dans une démarche de rupture avec la société de consommation. Cela explique les arbitrages sur de nombreux enjeux : la régulation de la publicité, tout ce qui concerne les énergies fossiles, le secteur aérien, automobile, mais aussi le modèle agricole dominant, et la sobriété numérique… Depuis la pandémie de Covid-19, le débat politique se structure entre reconstruire ou réinventer. La volonté du gouvernement est clairement de reconstruire le modèle économique à l’identique.

Comment les écologistes peuvent-ils faire bouger les lignes dans la société et remporter la bataille culturelle ?

En se préparant à exercer les responsabilités, en affirmant une volonté de conquête du pouvoir. La suite est à construire en donnant un débouché aux mobilisations de la jeunesse, et en ayant des élus écologistes à tous les échelons politiques : le local est primordial, mais aussi au plan national et international ensuite. La rupture avec le consumérisme est une énorme bataille culturelle qui nous ramène aussi à une question fondamentale : la seule politique économique possible repose-t-elle sur la relance du consumérisme ? La réponse est non. Un autre chemin existe. Mais il n’y aura pas de politique climatique ou écologique sérieuse tant que l’écologie ne gouvernera pas.

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