En bonne voix

Présentatrice des flashs d’info sur France Inter, également chroniqueuse de bande dessinée, Laetitia Gayet se distingue par un style, un ton parfois chargé d’humour. Itinéraire d’une journaliste hors des clous.

Jean-Claude Renard  • 14 avril 2021 abonné·es
En bonne voix
© Radio France/Christophe Abramowitz

P laisanter sur un flash, ce n’est jamais facile, mais c’est l’une des voix les plus familières pour nos auditeurs, avec un talent pour l’humour, un vrai talent pour le sourire. » Le sourire, Frédéric Pommier en sait quelque chose, lui qui le cultive depuis des années à France Inter, de la revue de presse à ses multiples chroniques (« Le quart d’heure de célébrité », « C’est une chanson »). « Laetitia Gayet est aussi une très bonne camarade, ce qui n’est pas légion dans notre métier. » Les deux compères journalistes se connaissent depuis plus de vingt ans, exerçant alors du côté de Tours. Elle lui renvoie volontiers les éloges, guère avare d’adjectifs.

Aujourd’hui, outre quelques matinales du « 5/7 », Laetitia Gayet présente les journaux au quotidien, dans la semaine, à 10 heures, 11 heures, 12 heures, reprend à 14 heures jusqu’au journal de 17 heures, déclinant l’actualité (dans une période sans spectacle vivant ni cinéma, où l’on écoute beaucoup la radio). Avec exactitude, et toujours avec cet humour ponctuant ses flashs d’information de gaudriole, d’intonations ébouriffantes, se distinguant par une voix ragaillardissante et assurée, limpide, un timbre unique, une diction sculptée, une couleur, un rythme. D’une facilité – en apparence – déconcertante. Qui ne se travaille pas. Ou presque pas (modestie oblige).

Une facilité qui trouve peut-être ses origines dans la formation de la journaliste, nourrie de Molière, Beckett et Ionesco : « J’ai fait beaucoup de théâtre, adolescente puis jeune adulte, avant de continuer à travers l’improvisation, faute d’avoir le temps de suivre une création. C’est là, dans l’impro, où le cerveau doit être en adéquation avec la voix, sinon en avance, que j’ai compris qu’elle est un merveilleux instrument, d’où mon intérêt pour la radio. On peut dire une information d’une manière légère ou d’une façon grave. » On imagine quel camp Laetitia Gayet a choisi volontiers. Insistant aussi sur ce volet au sein de la Ligue d’improvisation de Touraine : « Avec la voix, on peut tout mettre dedans et tout faire passer. » Encore faut-il être douée, quand bien même elle refuse la prétention d’un don inné.

La radio, et non pas la presse écrite, parce que c’est un média qui me parlait.

« Quand j’ai commencé la radio, j’ai compris que pour être entendue il fallait une voix. J’ai d’abord beaucoup copié ce que j’entendais, beaucoup imité pour placer les bonnes inflexions au bon moment. Mes premières interventions étaient plus chantantes, mais elles passaient. Je me suis rendu compte également que je pouvais dire n’importe quoi avec une voix claire. On ne peut pas capter l’attention de quelqu’un sans rupture dans le texte. » Affaire de ponctuation, donc, pour éviter la fadeur. Avec l’éclairage, au début, d’Alain Passerel. Il existe pire modèle, avec un Passerel en passeur. « J’ai dû apprendre une certaine écriture, lire beaucoup à voix haute. Et quand on a la voix et l’écriture, cela donne une mélodie plutôt harmonieuse. C’est au présentateur de trouver une existence, de s’impliquer, avec une manière de dire qui lui est propre. Si vous lisez une histoire à des gamins et qu’ils ne vous écoutent pas, c’est que le ton n’y est pas. »

Professeur à l’École supérieure de journalisme de Paris (ESJ), ancienne grande voix de la radio publique, Alain Passerel se souvient de son ancienne élève. « Elle était déjà différente des autres. On l’observe encore maintenant dans la dimension qu’elle donne à son travail, avec son esprit d’équipe, son énergie, sa bonne humeur. » Autre compagnon de route, en cette période et dans cette histoire d’improvisation, Thomas VDB, avec lequel Laetitia Gayet a autant ri que travaillé. « On n’avait aucune limite ! »

Raconter des histoires

Un père employé à la Sagem, une mère directrice d’une maison de retraite, dans la région nantaise. Des parents qui écoutent la radio, suivent beaucoup l’information, poussent aux études par fierté pour leur progéniture. La jeune fille suit des copains en sciences éco, puis poursuit seule jusqu’à la licence. Avant de croiser une autre étudiante, qui rentre d’un stage dans un cabinet comptable. « Je me suis dit : ce n’est pas possible, je ne peux pas faire ça ! J’ai aussitôt bifurqué pour revenir à mes envies de départ et le métier de journaliste. » Un métier qui vous « oblige à apprendre, vous met en marche avec le monde ». Et d’entrer à l’ESJ Paris. Premier stage : radio Nostalgie, en 1995, au moment des mouvements sociaux contre la réforme des retraites. « La radio, et non pas la presse écrite, parce que c’est un média qui me parlait. Je pouvais raconter des histoires avec mes propres mots, je n’avais pas forcément l’énergie et le talent, ni les mots, pour écrire. » Elle revient de loin, ayant découvert la radio, et notamment France Inter, tardivement, autour de ses 18 ou 19 ans. « Je séchais les cours du matin pour écouter Claude Villers et son émission “Marchands d’histoires”, avant de tout écouter sur la chaîne. »

Plus on s’élève dans la hiérarchie, plus on atteint son niveau d’incompétence.

Suivent un CDD à Radio France à Nantes, un autre à Lyon en janvier 1996, des postes à Euronews, RTL9, sur une émission de sport, à Nancy, en décrochage local, gardant cependant un pied à Radio France. Avec une autre case encore, celle des sports en région tourangelle, à commenter en direct les matchs, les compétitions. « Un vrai régal ! » De cette expérience fondatrice, « cette matrice de base », elle a gardé quelques traces. « Le premier journal que je lis, c’est L’Équipe ! » On saisit mieux son intérêt affiché oralement pour le volley et le Vendée Globe (surtout quand il s’agit de saluer le dernier ou l’anté-pénultième concurrent au classement !), pour des disciplines dont on ne parle jamais, ou peu.

Couteau suisse

An 2001. Le rêve d’exercer à la Maison ronde s’accomplit. Laetitia Gayet est embauchée à la rédaction de France Inter « en joker », avec l’obligation et la capacité de remplacer tout le monde. Vont s’enquiller les tâches et les fonctions. Le reportage, la matinale du week-end, le 13 heures/19 heures du week-end, la revue de presse. Que n’a-t-elle pas fait, pas dit, avec ce phrasé si particulier ? Laetitia Gayet, c’est un peu le Robert Doisneau de la radio. Un côté couteau suisse. « On est plusieurs à l’être. C’est peut-être une qualité ou un défaut, mais j’aime bien faire des choses différentes, multiplier les horizons », en restant mesurée, à sa place, sans regret, sans animosité. Sachant ce principe : « Plus on s’élève dans la hiérarchie, plus on atteint son niveau d’incompétence. Ce n’est pas linéaire. Je vais là où l’on me propose d’aller, j’essaye, je tente. »

Jusqu’aux flashs aujourd’hui, donc, des journaux de trois à cinq, voire six minutes. Qu’elle rédige elle-même, piochant dans le tout-venant des dépêches, hiérarchisant l’information. Exercice délicat. « Je n’avais pas mesuré la dimension du flash. Ce n’est pas seulement de l’info recrachée en trois minutes et basta ! On ne peut pas se répéter. On doit trouver ce qui se passe dans l’heure. Il faut chercher, fouiner, même si certaines infos sont récurrentes, et se réécrire. Il existe aussi ces moments, comme les attentats, où les flashs ont une importance particulière, où il faut pouvoir digérer, résumer ce qui tombe, comprendre avant de retranscrire, en connaissant la charte éditoriale de la maison. »

Quand la disparition de Charles Aznavour ou celle de Jean-Pierre Bacri est annoncée par l’AFP, à une ou deux minutes du flash, il faut savoir réagir, « avec un cerveau en ébullition ». L’ébullition, elle sait. « Le flash, c’est court et répétitif, et pourtant crucial pour une grande radio. Tout l’art de la Gayette, comme la surnomme Mickaël Thébault, rédacteur en chef de la matinale de France Inter, qui se plaît à chahuter avec elle, est de réussir à se renouveler d’heure en heure, avec toujours la même rigueur informative, la même clarté et la même concision, et surtout avec cette touche d’humour qui dédramatise l’actu sans jamais l’appauvrir ! Elle réussit l’impensable : donner une identité, une personnalité à un exercice qui n’en a, a priori_, aucune. C’est aussi le bon copain qu’on rêve tous d’avoir. Elle a une folie d’adolescente attardée qui n’appartient qu’à elle. »_ Comme ses passages d’antenne, souvent hilarants. Charline Vanhoenacker en témoigne : « C’est la seule journaliste qui ose, quand d’ordinaire la profession n’ose pas sortir de son périmètre. Elle n’a pas peur de plonger. Des fois, ça dépasse même ce qu’elle avait prévu ! Et elle en rit ! »

Pot-au-feu

Et comme l’info ne suffit pas à Laetitia Gayet, elle signe également, depuis 2015, une chronique sur la bande dessinée, chaque mercredi, dans la matinale du 5/7. « C’est un médium que je pensais connaître et que j’ai redécouvert, infini quand on aime le dessin, le roman graphique, le trait. C’est un genre, particulièrement riche et foisonnant, qu’on a mis en avant pour les enfants mais qui s’adresse, selon les œuvres, à tout le monde. » Marquée par Thorgal (scénarisé par Jean Van Hamme et dessiné par Grzegorz Rosinski), qu’elle a découvert en commençant par le tome V de la collection, la chroniqueuse apprécie d’autant plus l’exercice qu’elle est entièrement libre de ses choix. « Je vais donc traiter très peu les bédéistes connus parce que, mon truc, c’est d’aller vers la bande dessinée qu’on n’aurait pas imaginé lire. » Seule ambition : le plaisir. Le goût de découvrir, de transmettre ses curiosités, sa pleine musette d’expériences, en réserviste citoyenne (également), jusqu’à l’éducation aux médias.

Autre marotte, la bonne chère. Elle qui se souvient du fameux pot-au-feu de sa grand-mère, qui s’amuse, sans maîtriser les tours de main en cuisine, à brosser, reproduire le repas idéal en fonction des meilleures assiettes dégustées en caboulots dans l’année, plat après plat. Avec, mine de rien, l’air de ne pas y toucher, tout se passe comme s’il fallait faire les choses sérieusement, sans se prendre au sérieux. À l’image de son mode de déplacement dans Paris : en trottinette.

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