Jean-Baptiste Djebbari : Le pilote de l’offensive anti-écolo du gouvernement
Dans la loi climat, Jean-Baptiste Djebbari défend bec et ongles le secteur aéronautique, dont il est issu. Quitte à orchestrer des polémiques ridicules pour mieux masquer les enjeux de la transition écologique ? Portrait d’un ambitieux, passé maître dans l’art de diaboliser ses opposants.
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Est-ce parce qu’il prend son rôle trop à cœur, ou qu’il s’en trouve grisé ? Ces temps-ci, Jean-Baptiste Djebbari dégaine à tout-va, sans sommation. Depuis quelques mois, le ministre délégué aux Transports a gagné ses galons au sein de la Macronie, au point d’en devenir l’un des porte-flingue les plus actifs. L’une de ses dernières cibles, Léonore Moncond’huy, la maire écologiste de Poitiers, en sait quelque chose, après avoir vu la polémique enfler le temps du week-end de Pâques.
En cause, la fin d’une subvention à deux aéroclubs de la ville – de l’ordre de 8 800 euros – et une petite phrase – « l’aérien ne doit plus faire partie des rêves d’enfants d’aujourd’hui » – que Jean-Baptiste Djebbari n’a pas manqué de qualifier d’« élucubrations autoritaires et moribondes » sur Twitter. Avant de tirer une cartouche du même calibre, quelques jours plus tard, sur son réseau social fétiche : « Aujourd’hui interdire l’avion, demain contrôler votre consommation Internet, après-demain maîtriser vos rêves : c’est un projet régressif et angoissant. » Vindicatif et accrocheur, caricatural pour ne pas dire outrancier : la séquence résume à elle seule le style et la rhétorique de Djebbari, le doigt toujours sur la gâchette.
Au risque, parfois, de tirer un peu trop vite ou de viser à côté ? Ces derniers jours, le ministre de 39 ans a surtout fait des trous à sa réputation, lui qui vient d’être rappelé à l’ordre deux fois. D’abord par sa ministre de tutelle, Barbara Pompili, obligée de le recadrer publiquement après sa proposition éhontée de décerner la Légion d’honneur aux deux présidents des aéroclubs poitevins. « Les décorations républicaines n’ont pas vocation à être attribuées dans le cadre de polémiques politiques », rappellera ainsi la ministre de la Transition écologique. Puis par le Premier ministre, la semaine dernière, après que Djebbari a annoncé le maintien de la liaison aérienne avec le Brésil, par « respect du droit » et en bon défenseur de la liberté de circulation. Quelques heures plus tard, Jean Castex annonçait pourtant la suspension de tous les vols en direction et en provenance du pays auriverde.
De fait, le rictus souriant de Jean-Baptiste Djebbari dissimule souvent un tempérament éruptif : « On a parfois l’impression que son cabinet peine à le maîtriser, il peut s’avancer beaucoup sur certains dossiers, sans considérer la dure réalité des arbitrages interministériels », témoignent différents habitués de son bureau du boulevard Saint-Germain, où trône une fausse plaque de métro à son nom.
Un envol politique rapide
Les sorties de piste, l’homme y est pourtant sensibilisé, lui qui vient de l’aviation. Il n’a pas fait l’ENA, mais l’Enac (École nationale de l’aviation civile), dont il sort major de promotion en 2007. De quoi faire décoller rapidement une carrière qui le verra passer de contrôleur aérien à pilote et faire plusieurs allers-retours entre l’administration (à la direction générale de l’aviation civile) et le privé, tout en intervenant comme expert judiciaire aéronautique près la cour d’appel de Paris. En 2017, il est directeur des opérations aériennes de la compagnie privée luxembourgeoise Jetfly (par ailleurs épinglée par Mediapart pour ses pratiques de contournement fiscal) lorsqu’il est élu député sous les couleurs de La République en marche, dans la deuxième circonscription de la Haute-Vienne. Un parachutage géographique qui lui permettra de se rapprocher de la fameuse « bande de Poitiers », l’influente pépinière macroniste des Sacha Houlié, Pierre Person ou Aurélien Taché, et lui vaudra une ascension fulgurante qui lui confère le profil type du « self-made-man », selon Alexis Corbière, son ancien voisin de vestiaire au sein de l’équipe de France parlementaire de rugby.
Voici donc Jean-Baptiste Djebbari, fils d’une mère au foyer et d’un employé à la Fnac, élevé dans un petit appartement de la région parisienne, propulsé « whip » de la commission du développement durable à l’Assemblée nationale. Un rôle de coordination autant que de contrôle (le mot veut dire « fouet », en anglais) institué par le groupe LREM, dont il a vite pris la mesure, à en croire Matthieu Orphelin, son ancien collègue, LREM à l’époque, au sein de cette commission : « Il y a beaucoup de cynisme chez Jean-Baptiste Djebbari. Au fond, il ne porte pas beaucoup de convictions ni d’émotions dans les sujets qu’il traite. Ce qui l’intéresse, c’est surtout la joute politicienne. C’est une sorte d’apparatchik 2.0, il peut avoir un côté robotique dans ce genre d’exercice. »
De fait, en bon habitué des turbulences, l’impétrant a vite goûté celles du monde politique. Il faut dire qu’il a rapidement plongé dans le grand bain : en mars 2018, il est nommé rapporteur du projet de loi pour un « nouveau pacte ferroviaire », sur la réforme de la SNCF. Les syndicats rencontrent alors un homme jugé plutôt accessible et travailleur, malgré la dureté des négociations. « Bien sûr que nous avons des désaccords sur la nécessité de libéraliser le ferroviaire, mais nous avons toujours senti une écoute très franche de sa part, sans langue de bois », témoigne Roger Dillenseger, ex-secrétaire général de l’Unsa. « Djebb’ », lui, se frotte à son premier mouvement social, comme un avant-goût : nommé secrétaire d’État aux Transports en septembre 2019, il se retrouve aux avant-postes face aux grèves historiques contre la réforme des retraites, à la RATP et à la SNCF.
L’occasion pour le grand public de découvrir un (très) bon client des plateaux des chaînes d’info – mais un peu moins de Politis, à qui il a refusé de répondre –, omniprésent au point de glaner le surnom de « ministre auprès de BFM ». L’occasion, aussi, de révéler un peu plus sa vraie nature lorsqu’il soutient la décision de la SNCF d’accorder une prime aux non-grévistes. Ou lorsqu’il s’affiche, fier et combatif, presque front contre front, face à des cheminots en grève. Un sens de la -provocation qui n’est pas sans rappeler celui de Nicolas Sarkozy, pour lequel il ne cache pas son admiration : « Un personnage extraordinaire, comme il n’en existe plus beaucoup en politique (1). »
technologie contre « décroissance »
Après la bataille du rail, Jean-Baptiste Djebbari s’est donc attaqué, ces dernières semaines, à celle du ciel. La loi climat et résilience, dont les débats animés en première lecture se sont achevés le 17 avril, lui a offert un retour à ses premières amours : l’avion. La Convention citoyenne pour le climat, censée préfigurer le texte de loi, en avait fait l’un des grands enjeux de régulation, avec plusieurs propositions importantes (2) en la matière. C’était sans compter celui qui est passé au rang de ministre délégué à l’arrivée de Jean Castex, et qui est monté en première ligne pour vider toutes ces mesures de leur caractère jugé « liberticide ». « Nous défendons des choses différentes : vous voulez organiser à tous crins la décroissance du secteur, nous voulons décarboner le secteur et préserver nos libertés ! » arguait-il ainsi à l’Assemblée nationale, le 14 mars.
La « décroissance », le terme répété à l’envi, à longueur de tweets et de discours, est devenu son argument favori pour discréditer toute revendication écologiste. Comme lorsqu’il invitait, en septembre 2020, à « faire la distinction [entre] des écologistes progressistes et une frange qui est réfractaire à la technologie et décroissante par principe ». À la faveur des débats sur l’avion, c’est bien une controverse plus fondamentale que Jean-Baptiste Djebbari cherche à orchestrer, sous un certain angle : « Le débat est toujours présenté de façon très binaire : d’un côté, la bonne écologie des solutions technologiques dont il se veut le garant ; de l’autre, la caricature de la “décroissance”, dans laquelle il enferme tous ses adversaires, dans une sorte de stratégie de “cornerisation” », décrypte Sarah Fayolle, chargée de campagne à Greenpeace.
Ce qui reflète par ailleurs une certaine vision des transports, à l’œuvre également dans le plan de relance Covid de l’été 2020, qui a permis la recapitalisation des industries automobile et aéronautique, pendant que la SNCF voyait sa dette continuer à gonfler. Des choix politiques symptomatiques, abonde Bruno Gazeau, président de la Fédération nationale des associations d’usagers des transports (Fnaut) : « Le ferroviaire n’est pas bien traité, Jean-Baptiste Djebbari lui préfère la voiture électrique ou autonome, ou le développement de la filière hydrogène. C’est un vrai technophile, persuadé que le progrès technologique va résoudre les problèmes du changement climatique. »
Le ministre des Transports a-t-il seulement les coudées franches ? En dépit des postures volontaristes et des effets d’annonce, nombreux sont ceux qui rappellent que, en matière de transports, les grands dossiers (train, automobile) s’arbitrent d’abord du côté de Bercy.
Le nouveau troll anti-écolo
C’est que le soldat Djebbari a peut-être une autre vocation, au sein de ce gouvernement. Si son tropisme pour l’aéronautique tient évidemment à son passé dans cette industrie, il n’en est pas moins lourd de sens : « Comme avec Emmanuelle Wargon, Macron a fait le choix de placer les lobbys à l’intérieur même du gouvernement, en constituant sur l’écologie une équipe de ministres qui viennent directement du privé. C’est une façon d’anticiper la conflictualité de plus en plus forte avec la société civile autour de ces questions », analyse Clément Sénéchal, porte-parole climat à Greenpeace. L’ONG avait d’ailleurs nominé le ministre à son Prix des boulets du climat pour l’ensemble de son œuvre, en fin d’année passée. Ce qui lui avait valu une réponse acerbe du ministre, piqué au vif, sur le plateau de BFM TV (encore), dénonçant « la pauvreté intellectuelle et l’idéologie » de Greenpeace.
Comme à Poitiers dernièrement, ce sont les mêmes éléments de langage – procès en dogmatisme et en radicalité – assénés avec la même volonté de surenchérir pour mieux évacuer les enjeux de fond. Un mode d’emploi qui fait aujourd’hui de Djebbari le principal artificier dans l’offensive de diabolisation lancée contre les écologistes. « Hystériser le débat au moyen de polémiques politiciennes, cela permet de créer de la confusion en brouillant la réalité du clivage qui se dessine. Or le gouvernement sait bien qu’une représentation commune autour de l’écologie est en train de se dessiner, et qu’il en est bien loin », décrypte Clément Sénéchal. Jean-Baptiste Djebbari, nouveau troll anti-écolo du gouvernement ? Pas de doute, il excelle à ce petit jeu. Au risque, parfois, de quelques atterrissages forcés.
(1) Le Parisien, 6 décembre 2019.
(2) Telle que la suppression des vols intérieurs dont le trajet est réalisable en moins de quatre heures de train, une proposition finalement ramenée à deux heures trente.