Le roman de Dietrich
Camille Larbey relate avec enthousiasme la vie rocambolesque de cette actrice fougueuse et versatile.
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Cela aurait pu être son dernier film. En 1994, Louis Malle travaille à la préparation d’un biopic consacré à l’actrice allemande Marlene Dietrich. Le scénario, conçu par John Guare, figure incontournable du théâtre contemporain américain, s’inspire du livre récemment publié par la fille de Dietrich, Maria Riva. Le texte se concentre sur une semaine dans la vie de l’actrice. Celle-ci est alors sur le tournage de La Femme et le Pantin, sa relation avec le réalisateur Josef von Sternberg sent le roussi, et sa fille est victime d’un enlèvement.
Malle et Guare avaient décidé de raconter Marlene du point de vue de son enfant, appuyant sur le regard sans filtre qu’elle pose sur sa mère, plein d’admiration, d’humour et de détestation. -Dietrich y était décrite comme imprévisible, tantôt indifférente, tantôt surprotectrice, violente, extrême et toujours obsédée par son image. Lorsque Malle décède, le film a dépassé le stade du scénario. Uma Thurman, qui devait interpréter Marlene, envoie le texte à Pedro Almodovar ; John Guare raconte qu’il l’a fait suivre à Bertrand Tavernier. Pourtant, aucun réalisateur ne veut s’en saisir. Le scénario, peut-être l’une des plus belles œuvres de John Guare, est archivé sur les étagères de la cinémathèque à Paris, un cœur à prendre.
Dans Marlene Dietrich. Celle qui avait la voix, Camille Larbey retient de l’actrice cette même substance romanesque qui fascinait tant Louis Malle et John Guare. Chez lui aussi, Dietrich est montrée comme une héroïne aux mille aventures, excessive et imprévisible, et l’auteur multiplie les anecdotes rocambolesques et les rebondissements. Le texte suit le parcours de l’actrice depuis ses premiers essais, apparemment risibles, en Allemagne, jusqu’à son décès, à Paris. Marlene résiste aux nazis, refuse les propositions que lui adresse Goebbels, devient citoyenne américaine, déjoue les charges de fraudes au fisc dont elle est l’objet à coups de diamants et d’émeraudes, dément les accusations de l’acteur Charles Boyer qui la décrit comme une espionne, s’en prend à Fritz Lang, qu’elle nomme « Hitler », multiplie les relations amoureuses, avec des hommes et des femmes, s’amourache de Jean Gabin, devient une experte en pot-au-feu, se vexe quand l’actrice Gloria Swanson refuse de goûter sa spécialité, s’imbibe d’alcool et tyrannise sa fille, devenue son assistante.
Chemin faisant, Larbey dresse un portrait habile des lieux habités par Dietrich, dont il capte certains des enjeux historiques. On traverse le Berlin décadent des années 1920, où, armée de sa scie musicale et parée de sa voix lancinante, Marlene devient une figure du music-hall ; Hollywood, où, de star étincelante, en concurrence avec Greta Garbo, Dietrich intègre, avec Fred Astaire et Joan Crawford, la liste compromettante des acteurs trop payés pour les recettes qu’ils engendrent ; Paris, où, après une chute dans sa salle de bains, l’actrice décide de ne plus quitter son lit, les yeux rivés sur l’actualité et sur ses stars féminines, qu’elle trouve vulgaires.
Le livre de Camille Larbey s’achève sur de belles pages consacrées aux séances d’entretiens avec l’actrice effectuées par le réalisateur Maximilian Schell, qui prépare un documentaire. Dietrich est une vieille dame se déplaçant en fauteuil roulant. Mais, particulièrement remontée, sans raison apparente, elle a décidé de saboter le travail de son interlocuteur. Marlene ne répond pas à ses questions, se moque de lui. Schell est désemparé, pense un temps abandonner, puis accepte le combat auquel l’invite l’actrice. Le réalisateur rend les coups, place Dietrich face à ses mensonges, la contredit, preuves à l’appui. Il décide aussi de garder dans le montage final certaines des altercations qui ont pimenté sa rencontre avec l’actrice. Un documentaire sur Dietrich, pense-t-il, ne peut que rendre compte de son tempérament fougueux.
Cette fougue est au cœur du livre de Larbey, un texte plaisant qui dépeint avec enthousiasme la versatilité de son héroïne.
Marlene Dietrich. Celle qui avait la voix, Camille Larbey, Capricci, « Stories », 112 pages, 11,50 euros.