Ne transitons pas, désindustrialisons !
Il faut une transformation radicale de l’organisation productive.
dans l’hebdo N° 1649 Acheter ce numéro
Tout le monde souhaite une transition. C’est devenu un lieu commun dans ce monde intenable. Mais transiter vers quoi ? La réponse dépend de ce qu’on définit comme intenable. C’est là que la direction du transit diffère. Pour s’opposer à la transition du capitalisme vers sa forme numérique et verte, la gauche propose souvent une transition vers moins d’inégalités à l’aide de politiques de redistribution et de solidarité et vers une nouvelle pondération des productions sectorielles de biens et services. Certains secteurs doivent croître et d’autres doivent décroître. Les premiers répondraient à des besoins sociaux utiles et durables, et les seconds ne permettraient qu’une consommation superficielle, ostentatoire et non écologique. Moins de smartphones et plus de légumes bio. C’est la transition en surface.
Mais cette transition comme une nouvelle pondération des productions finales pilotée par des politiques publiques industrielles et le développement des services publics reste dominée par une vision bourgeoise de la production. Elle occulte les conditions et organisations productives concrètes en ne voyant que les biens et les services produits et leur répartition. Or la caractéristique centrale du capitalisme, à la source de l’accumulation du profit, des inégalités et de la destruction de la nature, c’est son organisation productive instituée. Cette organisation est fondée sur l’industrialisation et ses corollaires : la division du travail et ses réseaux de transport, d’énergie et de communication.
Les hauts niveaux de productivité horaire que nous connaissons sont déterminés socialement et matériellement par la division, voire la pulvérisation du travail que le néolibéralisme a étendue à l’échelle de la planète. Cette pulvérisation du travail a comme corollaires, d’une part, l’extension des transports fondée presque exclusivement sur l’énergie fossile et, d’autre part, l’extension des systèmes d’information et de numérisation, toujours plus grands et envahissants.
Il faut d’abord une transformation radicale de l’organisation productive spécifique au capitalisme, c’est-à-dire une désintégration globale des chaînes productives mondiales, des grands systèmes productifs intégrés, permettant une forte diminution de la division du travail, seule condition pour allier les dimensions sociales et écologiques. Ce qui explique que nous ayons très fortement augmenté les émissions de gaz à effet de serre par habitant (1) en France entre 1960 et 2020, ce n’est pas uniquement l’augmentation des quantités consommées, mais l’organisation productive des biens. Pour le dire autrement, nous consommons plus ou moins la même quantité de denrées alimentaires, mais ces denrées sont produites avec beaucoup plus de transport, de pétrole, d’informatique, d’électricité, de chimie, de plastique et de publicité et beaucoup moins d’agriculteurs. Il ne suffira pas de consommer moins de biens inutiles, il faudra surtout transformer radicalement notre organisation productive en la désindustrialisant dans son ensemble. C’est remplacer tout ce qui permet socialement et matériellement la division du travail par du travail vivant. Ne transitons pas, désindustrialisons !
(1) Produites ou importées.
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