Pharoah Sanders et Sam Shepherd : La tentation du silence

Rencontre spatiale entre Pharoah Sanders et Sam Shepherd, alias Floating Points, dans un voyage onirique.

Jacques Vincent  • 7 avril 2021 abonnés
Pharoah Sanders et Sam Shepherd : La tentation du silence
Pharoah Sanders, une légende du jazz qui va bientôt fêter ses 81 ans.
© Torben Christensen / Ritzau Scanpix / Ritzau Scanpix/AFP

C’est un disque qui semble sans titre si on ne regarde pas attentivement le dos de la pochette, laquelle met d’abord en avant les noms des protagonistes : Pharoah Sanders, Floating Points et le London Symphony Orchestra. Soit une légende du jazz qui va bientôt fêter ses 81 ans, compagnon de route jusqu’au dernier souffle de John Coltrane, tenant historique d’un spiritual jazz depuis toujours à la recherche d’une connexion avec une entité supérieure, connu pour son lyrisme chaleureux et envoûtant, et un engagement musical qui le pousse à chercher à mettre le plus possible de lui-même dans chaque note. Un musicien expérimental anglais, Sam Shepherd, plus connu sous le nom de Floating Points, multi-instrumentiste qui semble jouer de tout ce qui porte un clavier – ici piano, clavecin, célesta, piano électrique, orgue… Et une institution dont la création remonte à 1904, le London Symphony Orchestra. Un attelage quelque peu insolite pour un résultat qui ne l’est pas moins : une seule composition de 46 minutes construite en neuf mouvements.

De mouvement, il en est question, au singulier et au pluriel. Au singulier si l’on observe de loin, au pluriel si l’on fait un focus sur une séquence particulière. Il est aussi question de temps, d’espace et de silence. Dès le court motif central répété tout du long, dans l’intervalle laissé entre chaque note, s’affirme l’intention de laisser au silence toute sa place dans la partition.

S’ajoutent au fil du temps des nappes légères plus ou moins mises en avant, certaines qui tissent la trame, d’autres en arrière-plan ou en filigrane. De fines bulles cristallines viennent éclater ici ou là. C’est sur ce canevas que vient se poser le saxophone ténor de Pharoah Sanders en une série de longues phrases brûlantes, aux notes étirées.

Au mitan, les cordes de l’orchestre, d’abord légères et dans le droit fil de ce qui se tisse depuis le début, enflent petit à petit jusqu’à totalement saturer l’espace, trop sans doute, brisant le subtil équilibre et transformant une vision onirique en atmosphère tourmentée. La fin de la séquence arrive alors comme un soulagement dans un retour au calme. Le doux voyage reprend. Le saxophone qui s’était tu réapparaît. Il a la douceur et le frémissement d’une aube que sa récente naissance rend encore incertaine. Des myriades de fines lignes sonores virevoltent et s’enchevêtrent, densifient l’espace. C’est comme une toile de Jackson Pollock traduite en sons. Le saxophone retrouve du mordant, un feu intérieur. Puis, annonçant le final, les mouvements ralentissent, les instruments s’absentent les uns après les autres, ne laissant que le souffle de braise crépusculaire de l’orgue. Le long silence qui suit ne marque pas encore la fin, laquelle vient sous forme d’un épilogue confié à l’orchestre.

Suscitant une certaine perplexité à la première écoute, cette musique s’apprivoise rapidement si l’on trouve le mode d’approche : une écoute à plein volume et une totale disponibilité. On en goûte alors toute la substance et le -plaisir de se laisser envelopper dans ce cocon musical.

Promises, Floating Points, Pharoah Sanders & The London Symphony Orchestra, Luaka Bop.

Musique
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