Quand tout le monde se ligue contre la super ligue

La super ligue est devenue le super flop. Mais ce n’est peut-être qu’un sursis. Depuis le temps qu’ils en parlaient : une compétition hors UEFA réunissant l’élite du foot européen (12 clubs en attendant les 15 requis) où les droits télé comme les droits marketings seraient multipliés par au moins trois et où la noble incertitude du sport ne serait plus qu’un lointain souvenir. Petite histoire d’une tentative de schisme dans le monde du foot.

Didier Delinotte  • 22 avril 2021
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Quand tout le monde se ligue contre la super ligue
© Photo : Manifestation des supporters de Chelsea contre le projet de leur club de rejoindre la Super Ligue, le 20 avril 2021 (Rob Pinney / GETTY IMAGES EUROPE / Getty Images via AFP).

On n’en parlait pas seulement dans les pages sportives des quotidiens ou dans l’Équipe, le foot a fait les gros titres des journaux télévisés et de la grande presse ce week-end. La raison ? 12 clubs qui ont voulu faire sécession et qui, sans l’accord de l’UEFA et de la FIFA (les instances internationales du football « association », pour le différencier du football américain) ont souhaité créer une coupe à leur main, sans risque de surprises, et avec des éventuels nouveaux entrants triés sur le volet. Incroyable ce que les capitalistes supposés « risquophiles » craignent le risque, pas bon pour les affaires.

Le but était d’arriver à 15 clubs inamovibles puis de passer à 20 clubs (en fonction des résultats sportifs ? Même pas, cooptés) répartis en 2 groupes de 10 avec une première phase de 18 matchs aller et retour par poules. Les 3 premiers de chaque groupe se seraient vus qualifiés pour les quarts de finale avec deux autres clubs sortis des barrages entre les 4° et les 5°. Super simple, la super ligue.

Une usine à gaz qui n’avait rien à envier avec la réforme de la coupe d’Europe, dite Champions League voulue par l’UEFA, soit 36 clubs engagés dans 4 poules de 9, sans match aller et retour. Les 8 premiers (2 par groupe) seraient qualifiés pour les 1/8° et les clubs arrivés entre la 25° et la 36° place seraient éliminés. Les autres clubs compléteraient les 1/8° par des play-offs, là aussi, pour ceux classés entre les 9° et 24° places. Vous suivez ?

Un bricolage infernal, le but étant de multiplier les matchs, donc les droits télé, la publicité et la billetterie. Cerise sur le gâteau, et c’est peut-être pourquoi la quasi-unanimité des clubs français a condamné cette super ligue, 3 clubs français seraient qualifiés d’office et n’auraient plus à disputer des matchs de barrage. Cocorico ! En fait, on veut faire comme au basket avec la NBA ou comme pour les compétitions de football américain ou de base-ball.

L’alliance feutrée de quelques fils de famille

L’UEFA, et la FIFA, étaient déjà vent debout contre cette auto-baptisée « Super League » issue des cogitations, jamais très éloignées du tiroir-caisse et des cours de bourse, des patrons respectifs du Réal Madrid et de la Juventus de Turin. Soit respectivement messieurs Florentino Perez, ex-politicien centriste et conseiller d’Aznar désormais à la tête de l’entreprise de construction ACS impliquée dans un scandale de corruption au profit du Partido Popular comme de désastres écologiques en Amérique centrale, et Andrea Agnelli, le petit-fils de l’avvocato Gianni Agnelli, ex-patron de Fiat. Le petit-fils Agnelli qui a gardé un œil sur l’automobile tout en émargeant comme cadre dirigeant de Philip Morris avant que de plastronner à la tête de la fédération italienne de golf. Bon sang ne saurait mentir.

Juste derrière ce duo de choc, on trouvait les frères Avram et Joel Glazer, présidents américains du Manchester United, fils du milliardaire Edward Glazer, patron d’une entreprise de BTP en Floride, et Paolo Scaroni, digne successeur du cavaliere Berlusconi et ci-devant patron du groupe pétrolier ENI. L’alliance feutrée de quelques fils de famille devenus des capitaines d’industrie politiquement influents et avides de pouvoir ; le football étant le dernier domaine de leurs ambitions.

Le projet avait été confié à la banque J.P Morgan pour les montages financiers, qui impliquaient des fonds de pension restés un peu frileux. Gourmands, les 12 clubs, ou les 12 salopards selon les adversaires du projet (6 clubs anglais : Liverpool FC, Manchester United, Manchester City, Tottenham, Arsenal et Chelsea ; 3 clubs italiens : Juventus donc, Milan AC et l’Inter ; trois clubs espagnols : le Real donc, l’Atletico et le Barça) comptaient bien faire passer les 2 milliards d’euros que rapporte globalement la compétition actuelle à 6, 7, voire 8 milliards avec la super ligue. Déjà, les cours boursiers de la Juventus et de Manchester United s’envolaient. Mais il y avait loin de la coupe (d’Europe) aux lèvres car les rares tentatives de ligue fermée comme celle-ci, quel que soit le sport, n’ont jamais vraiment pris en Europe où on a encore la mentalité du petit contre les grands et de la surprise toujours possible dans des compétitions déjà verrouillées par le marché des transferts et les moyens financiers.

Un désastre pour le lien entre les clubs et leur ville

Est-ce la raison pour laquelle les clubs français et allemands contactés n’ont pas donné suite ? Pas sûr, et on voit bien le Paris Saint-Germain, le Bayern de Munich ou le Borussia Dortmund recoller un jour à cette super ligue remise à plus tard. Le FC Porto, lui, a dit fermement non et a sauvé l’honneur du foot européen. Cela aurait aussi été un désastre pour le supportérisme et le lien entre les clubs et leur ville, avec un foot tourné vers le monde et ses marchés, sans plus de base sociale.

En tout cas, l’UEFA a vu rouge. Pas question pour les clubs de jouer sur les deux tableaux (Super league et Champion’s League), comment le pourraient-ils d’ailleurs ? Et, pire, tous les joueurs des clubs participant à cette super Ligue auraient été interdits de sélection en équipe nationale. Ce qui a fait pleurer Vikash Dhorasoo, qu’on a connu plus inspiré, interviewé par L’Humanité (20 avril) :

Les footballeurs ne sont responsables de rien, pourtant ce sont eux qui vont être punis.

Responsables de rien sauf quand même d’être solidaires de fait de leur patron, d’autant qu’ils peuvent fort bien changer de club, ça se fait couramment.

« Les joueurs doivent prendre le pouvoir », titre le même quotidien avec une autre phrase empruntée à Dhorasoo. Même si on s’est toujours attaché à l’autonomie des joueurs et que l’exemple de l’autogestion dans un club comme les Corinthians de Sao Paulo de l’ère Socrates nous a toujours émerveillé ; quand bien même si le triste marché aux esclaves que constitue les transferts nous a de tout temps indigné, ce n’est certainement pas avec cette super ligue que les joueurs se seraient affranchis. Ils auraient juste été un peu plus riches. Si c’est ça qu’on appelle « prendre le pouvoir »…

Faire raquer le téléspectateur cochon de payant

« Ces gens-là se moquent de la solidarité entre clubs, de la formation des joueurs, de tout ce qui est invoqué par les États ou la commission européenne sur la fonction sociale du sport. Ils sont là pour gagner de l’argent », avait déclaré Jean-François Brocard, économiste du sport et spécialiste des droits TV toujours dans l’Humanité du 20 avril. Pour lui, aucune chaîne, aucun groupe n’aurait pu aligner les 3,5 milliards et demi d’euros minimum exigés par JP Morgan pour les clubs engagés dans la super ligue. D’autant qu’on l’a dit, il n’est pas prouvé que cette formule ferait courir les foules et raquer le téléspectateur cochon de payant pas forcément adepte du foot business.

Il y a 66 ans, Gabriel Hannot à travers l’hebdomadaire France Football créait cette coupe « à grandes oreilles » où se sont d’abord illustrés des clubs comme le Réal Madrid ou le Stade de Reims. Le même Réal Madrid qui mène le bal pour en terminer avec les fondements humanistes et sportifs de cette compétition où tout le monde avait sa chance et où participaient aussi bien des clubs champions du Luxembourg, de Malte ou de Chypre. Les choses ont déjà bien changé depuis, où tout est mis en œuvre pour retrouver au final les 16 clubs les plus huppés – les grands d’Europe – tout en contraignant les petits à un parcours de combattant avec des barrages et des matchs de qualification.

On pariait à l’époque sur le fair-play, la sportivité, l’amitié entre les peuples européens qu’il s’agissait de rapprocher par la discipline sportive la plus populaire.

C’était bien avant la finale de la coupe intercontinentale de 1969 entre le Milan AC et Estudiantes de La Plata avec une dizaine d’expulsions et un joueur argentin radié à vie, bien avant le drame du Heysel et l’interdiction des clubs anglais pour 10 longues années (1985), bien avant l’arrêt Bosman et l’absence de limite aux joueurs étrangers par clubs (1995) et, surtout, bien avant le triomphe définitif du foot business et l’arrivée d’hommes d’affaire et de financiers à la tête de grands clubs et qu’ils dirigent comme des multinationales.

Lire aussi > Le foot, bal des hypocrites

En France, il a été de bon ton de s’indigner dans les médias comme au gouvernement, au nom de l’esprit sportif et de l’égalité des chances, et la ministre des sports, Roxana Maracineanu, n’a pas eu de mots assez durs pour condamner l’initiative hasardeuse. Jean-Michel Aulas (Olympique Lyonnais) a fait sagement chorus avec Nasser El Khalaïfi, du PSG en attendant leur heure. Des dirigeants qui aimeraient pourtant avoir un championnat de France à leur main où, quels que soient les résultats sportifs, les toutes premières places leur reviendraient de droit.

Gageons, comme disait le regretté Roger Couderc, que les mouches changeront d’âne si la super ligue venait à resurgir dans des conditions mieux négociées et avec une stratégie plus fine. Car, qu’on ne s’y trompe pas, la Super Ligue n’est qu’ajournée et la guerre du foot finira bien par avoir lieu.

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