Algérie : Quand les Kabyles relèvent la tête
L’historien Ali Guenoun retrace la place des contestations « berbéristes » dans le mouvement national algérien, depuis l’après-guerre jusqu’au récent mouvement du Hirak.
dans l’hebdo N° 1652 Acheter ce numéro
C’est peu de dire que l’ouvrage d’Ali Guenoun sur « la question kabyle dans le nationalisme algérien » est une recherche particulièrement fouillée. L’auteur mêle des sources – « exceptionnelles », selon son préfacier et directeur de thèse, l’anthropologue Omar Carlier – orales et écrites, aussi bien côté nationaliste que tirées des archives coloniales, renouvelant en profondeur la compréhension d’une thématique ancienne pour la nation algérienne. Non sans oublier ses conséquences contemporaines dans la contestation du pouvoir à Alger au sein du Hirak, où le drapeau amazigh fut, comme rarement, bien visible, suscitant un réflexe répressif chez les autorités.
Mais l’ouvrage d’Ali Guenoun vient surtout défricher un épisode important quoique mal connu de l’histoire du nationalisme algérien : celui de la crise dite « berbériste » en 1949 au sein de la principale organisation politique nationaliste à l’époque, le Parti du peuple algérien/Mouvement pour le triomphe des libertés démocratiques (PPA/MTLD), sous l’égide de Messali Hadj. Le qualificatif de « berbériste » se voulait dépréciatif dans l’esprit de la direction du mouvement, partisane d’une conception unitaire de la nation algérienne, marquée par son seul caractère « arabo-musulman » depuis le VIIe siècle, à la suite de la conquête musulmane par les disciples du prophète Mahomet.
L’apport central de cet essai dense (parfois même touffu pour un lecteur peu au fait des soubresauts du mouvement national algérien et des spécificités identitaires au sein de l’importante population « indigène » de cette colonie française de peuplement de 1830 à 1962) est de documenter avec force détails cette crise largement partie de Kabylie. Contestation interne d’une direction centralisatrice se refusant à considérer les diversités régionales face à l’oppression coloniale, elle s’étend rapidement parmi les militants, surtout dans les zones où les Kabyles sont nombreux, dans leur région d’origine bien sûr, mais aussi à Alger, dans l’Oranais et jusqu’en France, où leur immigration était déjà importante. Mais c’est aussi une lutte pour les postes de décision au sein du parti, pourtant toujours fortement réprimé et semi-clandestin.
Mettant au jour le rôle de nombreux militants – dont certains, toujours vivants, craignent aujourd’hui encore de témoigner en raison de la répression de la Sécurité militaire –, l’auteur pointe la méfiance incessante de la direction du FLN, depuis la guerre d’indépendance jusqu’au tout récent Hirak, vis-à-vis de toute expression identitaire et linguistique des Kabyles. Mais aussi ses méthodes, pour le moins autoritaires, de gestion de l’« ethnicité » depuis 1962. Le livre d’Ali Guenoun fera certainement date.
La Question kabyle dans le nationalisme algérien (1949-1962). Comment la crise de 1949 est devenue la crise « berbériste » Ali Guenoun, préface d’Omar Carlier, postface de Mohammed Harbi, Éditions du Croquant, 512 pages, 20 euros.