Caroline Janvier : « Les gens qui connaissent le sujet sont pour la légalisation du cannabis »
La députée LREM Caroline Janvier, coautrice d’un rapport parlementaire, pousse au débat pour 2022.
dans l’hebdo N° 1654 Acheter ce numéro
Nous avons souvent, dans Politis, documenté l’impasse de la prohibition des drogues, en particulier du cannabis. La France, l’un des pays les plus répressifs d’Europe, compte aussi le plus grand nombre de consommateurs. Ces dernières semaines, Gérald Darmanin et Emmanuel Macron sont apparus comme les champions de la démagogie des coups de menton et du tout-répressif en la matière, au contraire de plus de cinquante États, dont la moitié aux États-Unis. Le rapport d’une mission parlementaire de députés de la majorité (1) fait à nouveau le constat du coût démesuré et de « l’échec de la politique répressive » à l’œuvre depuis 1970. Après les prises de position en ce sens de maires de grandes villes (de droite), une partie de la Macronie semble aujourd’hui évoluer sur ce sujet, tout comme une nette majorité de Français. Députée du Loiret (LREM) et rapporteuse thématique de ce document très fouillé, Caroline -Janvier revient sur l’analyse qui y est proposée et l’origine de ses positions.
Vous exprimez des positions assez audacieuses dans ce rapport – notamment au sein de la majorité – sur la légalisation du cannabis et l’échec de sa prohibition. Défendiez-vous ces positions depuis longtemps, ou bien est-ce en travaillant sur le sujet que vous avez évolué ?
Caroline Janvier : Je me suis toujours exprimée en faveur d’une légalisation encadrée du cannabis, notamment lorsqu’on m’a posé la question en tant que députée il y a trois ou quatre ans déjà. J’avais donc acquis cette conviction-là depuis un certain temps. On peut dire qu’il y a aujourd’hui un consensus en faveur de la légalisation du cannabis parmi les gens qui connaissent le sujet et s’y intéressent. Aussi, la question qui se pose aujourd’hui est plutôt de savoir de quelle manière et avec quelles modalités cette légalisation devrait être mise en œuvre. Car il me semble qu’il y a un immense décalage entre la réalité et la classe politique. Un tabou, en somme.
Quels sont vos espoirs de voir mises en œuvre les préconisations de votre rapport – et non qu’il finisse dans un tiroir ?
J’ai bon espoir. J’ai le sentiment que ce sujet commence à susciter l’intérêt, qu’on en parle de plus en plus, que beaucoup de médias s’y intéressent désormais, avec la publication de ce travail. Une sorte de débat public émerge, et c’est d’ailleurs une première victoire que de pouvoir en parler de façon moins dogmatique, moins manichéenne, comme ce fut longtemps le cas.
Récemment, des maires de grandes villes françaises, membres des Républicains, se sont prononcés peu ou prou pour les mesures que vous prônez dans ce rapport. Pensez-vous que la prise de conscience s’élargit sur le sujet, y compris à droite ?
En effet, les maires (LR) de Reims, de -Charleville-Mézières et de Châteauroux ont signé une tribune en faveur de la légalisation du cannabis, pointant l’échec de la répression et les graves problèmes induits par les trafics. De même, Rachida Dati, ancienne garde des Sceaux et maire du VIIe arrondissement de Paris, a reconnu lors d’une audition au Palais-Bourbon avoir « évolué sur ces sujets » – ce qui est assez inédit. Romain Reda, qui a dirigé notre rapport et qui est un proche de Valérie Pécresse, a aussi donné un avis clair sur la question. Enfin, un sondage auprès des maires franciliens a montré qu’une majorité d’entre eux sont favorables à la légalisation, toutes couleurs politiques confondues. Plus généralement, les récents sondages ont montré que, contrairement aux années passées, une majorité de Français sont désormais favorables à la légalisation, et que 80 % environ jugent inefficace la politique répressive mise en œuvre.
Vu les déclarations d’Emmanuel Macron et de Gérald Darmanin « contre le trafic de drogues », comment expliquer un tel blocage de la part de l’exécutif ? Et comment ont réagi vos collègues de la Macronie à votre rapport ?
Il n’y a certes pas de consensus en la matière. Je pense qu’une (petite) majorité parmi mes collègues est en faveur de la légalisation, mais je n’en suis pas certaine d’un point de vue arithmétique. Toutefois, le mouvement des Jeunes avec Macron s’est clairement positionné en sa faveur. Le sujet fait en tout cas débat. Je travaille d’ailleurs à l’écriture d’un livre sur le cannabis, qui doit paraître prochainement aux éditions Point d’orgue (2), avec pour objectif d’alimenter les débats en 2022. Ce qui montre que l’actuelle majorité s’y intéresse.
Je crois que c’est le rôle des parlementaires, en toute indépendance, que d’évaluer l’action publique et de faire des propositions. Les arbitrages politiques sont faits ensuite et notre agenda n’est pas forcément le même que celui de l’exécutif. Nous souhaitons porter ce débat dans l’année qui vient, même si je ne crois pas qu’il s’agisse de changer la loi au cours de la dernière année du quinquennat. On espère qu’en 2022 l’ensemble des familles politiques pourront se positionner sur le sujet et que celui-ci pourra être abordé comme un sujet complet, un sujet de société. Et je travaille à faire en sorte qu’il puisse être présent dans le projet d’Emmanuel Macron.
(1) « Rapport d’étape sur le cannabis récréatif », Jean-Baptiste Moreau, rapporteur général, Caroline Janvier, rapporteuse thématique.
(2) Création « made in LREM » pilotée par le député macroniste Bruno Bonnell, cette maison d’édition naissante doit nourrir les débats chers à la future candidature d’Emmanuel Macron en 2022, comme le souligne un article de L’Express du 29 avril.
Caroline Janvier Députée LREM du Loiret.