François Chartier : « La transition écologique est créatrice d’emplois »

Relocalisations, restructurations industrielles, pôles publics… François Chartier détaille les pistes sociales-écologiques développées par le collectif Plus jamais ça.

Vanina Delmas  • 12 mai 2021 abonné·es
François Chartier : « La transition écologique est créatrice d’emplois »
Pendant le confinement du printemps 2020, Bio Culture, coopérative de livraison de paniers bio, a multiplié ses ventes par 5.
© Daniel Pier/NurPhoto/AFP

François Chartier, chargé de campagne océans et pétrole chez Greenpeace, détaille les propositions collectives du nouveau rapport du collectif Plus jamais ça, qui pourraient servir d’outils aux militants et aux pouvoirs publics.

Le titre de votre rapport, « Pas d’emplois pour une planète morte », était un slogan porté par la Confédération syndicale internationale en 2015. En quoi marquez-vous une rupture avec les réflexions précédentes ?

François Chartier : Effectivement, ce sont des réflexions menées depuis longtemps dans chaque organisation. Le fait d’imposer à l’État une trajectoire plus stricte en matière -d’émissions de gaz à effet de serre a été soulevé avec l’Affaire du siècle, l’idée d’un ISF climatique est portée par Greenpeace depuis un moment, la réduction du temps de travail à 32 heures est en discussion dans les organisations syndicales… Aujourd’hui, ce qui compte, c’est la mise en cohérence de toutes ces idées et de sortir des silos.

Nous avons réalisé que des revendications sur le temps de travail, de meilleures rémunérations ou la réduction des écarts de richesse doivent aussi se penser dans une perspective de lutte contre le changement climatique. De même, la question de la transition écologique doit permettre d’anticiper les changements structurels d’un certain nombre d’industries, créer des emplois, et non être brandie comme la cause de leur déclin. C’est bien le modèle libéral qui a entamé leur déclin à coups de délocalisations et par les logiques de restructuration, et qui accélère le changement climatique.

Cette crise sanitaire et les plans de relance économique sont-ils des occasions ratées pour mettre en œuvre efficacement cette transition écologique ?

Les différents plans de sauvetage ont montré qu’il est possible d’injecter de l’argent et de prendre des décisions politiques fortes en cas de situation d’urgence. Cela démontre que la logique de la « main invisible du marché », de la régulation par le libéralisme, n’est pas inéluctable. La crise sanitaire est une situation d’urgence, mais la crise climatique, la crise sociale actuelle, l’augmentation des inégalités aussi ! C’est une question de volonté politique. Le rapport du -Programme des Nations unies pour l’environnement publié en décembre 2020 affirme qu’il s’agit d’une opportunité pour lancer cette réorientation. D’où l’idée prioritaire d’imposer des conditionnalités écologiques et sociales pour toucher les aides publiques, notamment pour les multinationales, et ainsi éviter de simplement réinjecter de l’argent dans le modèle d’avant.

Vous mentionnez les travaux de l’Organisation internationale du travail, qui assuraient en 2012 que la transition écologique pourrait créer entre quinze millions et soixante millions d’emplois d’ici à 2030. Où se trouvent-ils ?

Il y a tous les emplois liés à la transition au sens propre, notamment dans la rénovation des bâtiments. Sur ce point, la loi climat, en France, est une autre occasion ratée alors que le potentiel est énorme et qu’il s’agit d’emplois non délocalisables. Tout comme ceux qui relèvent de la transition énergétique, notamment avec l’idée de développer des modèles décentralisés de production d’énergies renouvelables. Nous proposons la création de pôles publics de l’énergie, de l’eau et des transports pour une meilleure gestion des biens communs, avec une stratégie misant sur des déclinaisons locales, des interventions citoyennes, des modèles plus coopératifs…

Il faut aussi pousser l’idée de relocaliser un certain nombre de besoins industriels. Si vous donnez plus de place à la pêche artisanale, vous créez beaucoup plus d’emplois par tonne de poissons débarqués par rapport à des flottes industrielles où quelques dizaines de marins vont débarquer des centaines de tonnes. Même logique dans l’agriculture : une agriculture relocalisée, désindustrialisée, qui n’est plus tributaire du soja du Brésil, sera créatrice d’emplois. La Confédération paysanne parle de centaines de milliers d’emplois potentiels dans une paysannerie durable.

Et concernant les reconversions professionnelles pour les salarié·es de secteurs polluants ?

C’est le cœur du sujet, car une fois qu’on a dit qu’il y a du potentiel, qu’il faut sortir du pétrole et changer de mobilités, il faut s’attaquer à cette question. Comme le dit Adrien Cornet, délégué CGT de la raffinerie Total de Grandpuits (Seine-et-Marne), il n’est pas sûr qu’un raffineur saute de joie si on lui propose de devenir agriculteur en permaculture ! Il faut le faire sujet par sujet, car chaque site industriel a ses spécificités, ses potentiels et ses complexités. On le voit notamment avec le travail réalisé par le collectif et les salariés autour du plan alternatif à Grandpuits : Total envisage de convertir le site en « plateforme zéro pétrole » consacrée à la production de biocarburant, mais c’est une fausse transition écologique et cela engendre de la casse sociale. Or il faut produire une véritable énergie verte. Pour l’automobile, on ne réglera pas le problème des mobilités juste en remplaçant des voitures thermiques par des électriques. Dans le secteur aérien, si on parvient à partager le constat que la croissance infinie du trafic aérien arrive à son terme, il faut enclencher les discussions sur les alternatives, car on ne souhaite pas un plan social pour finalement se réadapter à l’échelle des commandes ! La véritable question est : est-il possible de transférer les savoir-faire techniques mis en œuvre dans le secteur aérien vers d’autres secteurs participant à la transition énergétique ? Et ces décisions ne doivent pas être prises exclusivement par le conseil d’administration ou de surveillance de l’entreprise, elles doivent être collectives.

Vous prônez une « relocalisation solidaire ». Comment y parvenir sans sombrer dans le repli sur soi ?

Nous ne sommes pas dans du localisme, ni dans une vision nationaliste qui peut parfois apparaître dans certains aspects du « made in France ». Nous ne voulons pas relocaliser pour créer une industrie forte qui va exporter et écraser les autres. À la place du libre-échange, nous visons la mise en place d’un multilatéralisme solidaire, que ce soit dans le domaine du climat, de la biodiversité, du travail, des échanges, de la santé… D’ailleurs, on constate que ça commence à prendre avec l’appel à la levée des brevets, idée que le collectif portait dans son plan de sortie de crise, l’année dernière.

Quand on entend « relocalisation », on pense souvent à l’industrie, mais il faut aussi relocaliser nos besoins en ressources, en matières premières, etc. D’une certaine manière, sortir du pétrole et du gaz, c’est relocaliser notre énergie. Et le rôle de l’État est important, tant dans l’encadrement du commerce que dans les relations internationales. En abandonnant les traités de libre-échange, on met enfin un terme aux tribunaux d’arbitrage internationaux, qui sont inadmissibles et mettent des États à la merci de multinationales.

Un chapitre important dénonce la « techno-science sans conscience ». À quoi cela fait-il référence ?

Il est primordial de démontrer que les approches technologistes ne permettent pas de résoudre ces crises et ne servent qu’à détourner l’attention des vraies solutions, à savoir consommer moins de pétrole et de gaz pour le secteur des hydrocarbures. Or Total construit sa communication et ses plans pour la réduction des émissions de gaz à effet de serre sur des émissions négatives, comme planter des arbres ou capturer le carbone et le séquestrer dans les anciens gisements. C’est du greenwashing ! Ces idées présentées comme des solutions pour la transition écologique vont jusqu’à vouloir fertiliser les océans ou mettre des miroirs géants dans l’espace.

L’autre aspect à contrer, c’est le productivisme et l’idée que seule une croissance de la production est créatrice d’emplois, qu’un modèle de sobriété est forcément destructeur d’emplois et qu’en produisant davantage on réglera les problèmes environnementaux. Exemple : la production industrielle de viande artificielle. Toutes ces idées sont les sources du problème, pas les solutions.

L’énergie nucléaire est clairement identifiée comme un point de débat au sein du collectif. Comment vous en arrangez-vous ?

Notre principe est de construire dans un premier temps autour des sujets qui nous rassemblent. Nous n’avons pas décidé de nous mettre autour de la table pour imposer chacun ses points de vue sur le nucléaire, sinon tout aurait explosé instantanément et nous serions revenus au mode de fonctionnement du monde d’avant. En revanche, nous disons honnêtement que des sujets font débat entre nous, sur lesquels nous n’avons pas d’accord aujourd’hui, et la place du nucléaire dans la transition écologique en est un.

Vous ne prenez pas directement position sur le renforcement de « taxes carbone » et la fiscalité écologique reste limitée dans vos propositions : est-ce un autre point de désaccord entre vous ?

C’est plutôt un questionnement sur ce que devrait être la taxe carbone. L’échec de ce sujet et l’éclosion des gilets jaunes montrent que ce n’est pas juste en augmentant le prix du carburant qu’on changera les choses. Ce questionnement va même au-delà de la seule taxe carbone et porte sur le modèle de fiscalité carbone. Les industries d’hydrocarbures s’intéressent beaucoup au prix de la tonne de carbone. Total, par exemple, défend un prix élevé afin d’obtenir des subventions publiques pour ses activités, mais de façon déguisée.

Vous détaillez également des idées sur le sens du travail et la démocratie dans les entreprises. Tout est donc lié ?

Sur ce point, l’apport des organisations syndicales est précieux car ce sujet est assez nouveau pour les organisations écologistes, mais cela a du sens ! Quand on s’interroge sur la façon de gérer la transition écologique et les reconversions, il faut que cela soit intégré dans des décisions prises collectivement, et pas seulement dans les conseils d’administration. C’est un partage équitable du pouvoir de la décision qui injecte directement plus de démocratie dans l’entreprise. L’idée est aussi de soutenir davantage des modèles proches de l’économie sociale et solidaire (Scop, coopératives, mutuelles). C’est ce qui s’est passé avec l’usine de fabrication de masques Honeywell, près de Guingamp, abandonnée par la multinationale. C’est devenu la Coop des masques, bretonne et solidaire, qui a commencé à produire des masques de protection en janvier pour un marché local.

François Chartier Chargé de campagne océans et pétrole chez Greenpeace.

Travail
Temps de lecture : 9 minutes

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