Le cinéma redevient permanent
Quelles sont les perspectives des salles qui rouvrent leurs portes ? Des réponses avec deux exploitantes, à Bayonne et à Loudéac.
dans l’hebdo N° 1654 Acheter ce numéro
Enfin ! Alors que les cinémas, avec tous les autres lieux culturels, rouvrent leurs portes ce 19 mai, l’émotion est grande, partagée par les spectateurs et les exploitants. Une joie qui n’est pas sans un fond d’inquiétude. Chacun a conscience que la situation reste fragile et que les pouvoirs publics peuvent à tout moment opter pour des mesures de restriction en fonction des aléas de la pandémie. L’expérience vécue en décembre 2020 a laissé des souvenirs amers. Après six semaines de confinement, les salles étaient fin prêtes pour rouvrir le 15 décembre, ainsi que l’exécutif l’avait laissé entendre. Las, le redémarrage n’eut pas lieu, coupant net toutes les énergies remobilisées. La longue période qui s’est alors ouverte fut pleine d’incertitude et dénuée de perspectives, c’est-à-dire foncièrement décourageante.
« On a connu une forme d’usure. Les liens avec le public ont été plus difficiles à maintenir. De même que les relations professionnelles », témoigne Sylvie Larroque, codirectrice et programmatrice de l’Atalante, à Bayonne (Pyrénées-Atlantiques), l’une des deux salles de cinéma, différentes dans leur profil, auxquelles nous nous sommes adressés pour savoir comment elles envisagent la reprise.
Dans une ville de plus de 50 000 habitants (agglomération de 250 000 habitants), l’Atalante est une salle associative art et essai, dotée de trois écrans, très cinéphile, avec une équipe particulièrement dynamique. Tout comme l’est celle du Quai des images, dirigée par Isabelle Allo, cinéma municipal et généraliste, projetant sur deux écrans des films art et essai et grand public, situé à Loudéac (Côtes-d’Armor), ville de près de 10 000 habitants dans un environnement rural.
Garder le lien avec les spectateurs était essentiel : les initiatives n’ont pas manqué. Outre les messages postés sur différents canaux (les réseaux sociaux notamment) et la diffusion de courts métrages sur son propre site pour le Quai des images, les deux cinémas ont eu recours à la salle virtuelle La Vingt-cinquième Heure, mais n’ont pas prolongé longtemps l’expérience, peu convaincante.
Malgré sept mois de fermeture, une jauge à 35 % pour commencer et un couvre-feu à 21 heures, Isabelle Allo et Sylvie Larroque sont optimistes quant au retour du public dans leurs salles. La seconde a pu s’en persuader grâce au petit film que l’équipe de l’Atalante a récemment réalisé avec des spectatrices et des spectateurs, qui leur ont dit leur attachement profond à leur salle (« Ma seconde maison », a confié l’une d’elles). « Ils nous ont dit : “Vous pouvez compter sur nous.” J’ai perçu leur émotion à retrouver la salle de cinéma à l’occasion de cet enregistrement ; c’est un sentiment physique et intime. J’ai aussi senti leur proximité avec nous », dit Sylvie Larroque. Des propos que confirme la vision de cette vidéo, intitulée Vivement ma prochaine séance !, accessible sur le site de l’Atalante.
Des témoignages directs, glanés çà et là au gré des rencontres devant le cinéma ou dans la ville, ont aussi convaincu Isabelle Allo que « les cinéphiles ont soif de retourner en salle. » « Je n’ai pas d’inquiétude pour les films art et essai, dit-elle. En revanche, je m’interroge davantage sur le public familial, qui s’est habitué aux plateformes, celle de Disney en particulier. » Sans en être sûre, elle parie cependant sur un bon niveau d’entrées retrouvé à la mi-septembre, comme l’an dernier à la même époque.
En régie directe, le Quai des images n’a pas de fortes contraintes financières. La ville de Loudéac, qui soutient pleinement sa salle, a dû toutefois faire un effort important, notamment quand les cinémas municipaux ont été absurdement écartés de tous les plans d’aide lors du premier confinement.
L’encombrement des films qui attendent une sortie – environ 400 –, non régulé par un accord entre distributeurs, qui n’ont pas réussi à s’entendre, est une préoccupation centrale.
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Pour Sylvie Larroque, la difficulté sera de tenir ce qui constitue l’engagement de l’Atalante : trouver un équilibre entre les impératifs économiques, la défense de la diversité cinématographique et le soutien aux distributeurs indépendants. « Face à un afflux de propositions, nous craignons de ne pouvoir défendre suffisamment bien les films, explique-t-elle. Je pense en particulier aux premières œuvres et à ces films qu’on dit forts esthétiquement mais économiquement plus fragiles, comme ceux de l’Acid, par exemple, dont Si le vent tombe et The Last Hillbilly, qui seront très prochainement à l’affiche (1)_. Je ne suis pas du tout dans l’état d’esprit d’en programmer moins. Mais c’est un risque. Comment accompagner ces films pour qu’ils ne soient pas perdus dans la masse ? Nous pouvons les mettre en avant dans notre programme, en souligner la programmation dans notre éditorial, organiser des rencontres… Nous avons une vraie responsabilité en tant qu’exploitants pour que ce cinéma-là ne disparaisse pas. »_
Isabelle Allo confirme : « Il va falloir qu’on se réinvente. Que nous imaginions autre chose, dans nos salles et en dehors. » Le travail envers le jeune public étant une des priorités du Quai des images, des initiatives nouvelles ont été prises pendant la fermeture, comme un « atelier doudounes » en février, avec des groupes de six enfants qui devaient fabriquer un film à énigmes dans les rues de Loudéac. Isabelle Allo songe en outre à faire l’expérience d’un ciné-drive en septembre. Elle aussi tient à « offrir le plus large choix, la plus grande diversité de films possible. Cela relève pour nous d’une mission de service public, assure-t-elle_. Heureusement, il y a plein de bons films à venir. Nous avons de quoi faire… »_
(1) Films dont nous parlerons également dans ces pages.