L’impossible sionisme de gauche
L’historien Thomas Vescovi dresse le bilan inédit d’une utopie qui a fini par succomber à ses contradictions internes.
dans l’hebdo N° 1653 Acheter ce numéro
L’histoire n’est jamais écrite d’avance, mais il arrive qu’elle soit prévisible. Avec le sionisme de gauche, l’échec semblait inscrit dans les mots. Dès les premières pages de son livre, Thomas Vescovi expose la contradiction : « Être de gauche peut renvoyer à une démarche universaliste […], la justice sociale pour tous […], l’accès des peuples à l’égalité et à la liberté », alors que le sionisme « n’entend défendre que les juifs ». Cette impossibilité originelle provoque rapidement une fracture au sein de la gauche israélienne qui allait mener le Parti communiste israélien à la scission et donner naissance, dès 1962, au Matzpen (La Boussole), seule organisation réellement antisioniste, partisan d’un État binational laïque. Le mérite de ce spécialiste de l’histoire contemporaine est de faire place à cette gauche « non sioniste », anticoloniale, minoritaire, mais qui n’a jamais été dans l’imposture et fut immédiatement la cible d’un déchaînement de haine, en premier lieu de la part de la gauche sioniste, celle du Mapaï, longtemps hégémonique dans le jeune État.
Un autre grand mérite du livre de Vescovi est de révéler ce qui nous paraît être aujourd’hui une évidence. Ce courant sioniste, celui de Golda Meir, de Shimon Peres et de Yitzhak Rabin, n’a jamais voulu la paix parce qu’il n’a jamais admis l’idée d’un véritable État palestinien. La guerre de 1967, présentée comme un acte de défense, fut en réalité le point de départ d’une intense colonisation de Jérusalem, de la Cisjordanie et de Gaza. Effet d’aubaine ou projet mûri en secret ? Vescovi incline vers la seconde hypothèse. La mainmise sur les Territoires palestiniens a été l’occasion pour la gauche sioniste de fusionner idéologiquement avec les droites, religieuse ou « révisionniste » (celle de Begin et de Netanyahou), jusqu’à être écrasée par ces courants qui avaient la logique sioniste pour eux. Au passage, l’auteur égratigne la légende Rabin. Jamais le Premier ministre assassiné en 1995 n’a mis un terme à la colonisation. Avec le processus d’Oslo, nous dit Vescovi, il a surtout cherché à « réformer les modalités d’une occupation qui suscite la révolte des Palestiniens, sans mettre fin pour autant à la présence israélienne dans les Territoires occupés ». Shimon Peres, qui lui succède, n’aura de cesse de donner des gages à la droite, jusqu’à favoriser son retour au pouvoir. Et c’est encore un « sioniste de gauche », Ehud Barak, qui portera le coup de grâce au processus de paix, avec la vraie-fausse négociation de Camp David (juillet 2000), qui provoquera la deuxième Intifada. Pour le parti des fondateurs d’Israël, ce sera un suicide politique. Le mérite de Vescovi est enfin de mettre en évidence la relation entre cette dérive politique et les évolutions de la société plongée dans un ultralibéralisme qui a emporté, en même temps que la paix, les valeurs collectives, celles des Kibboutzim, qui étaient au cœur de l’utopie de la gauche sioniste.
L’Échec d’une utopie. Une histoire des gauches en Israël Thomas Vescovi, La Découverte, 372 pages, 22 euros.