Transition écologique ou transition numérique ?
La digitalisation des sociétés construit un monde désincarné.
dans l’hebdo N° 1653 Acheter ce numéro
Croissance verte, Green New Deal, Pacte vert européen, l’horizon vert du « monde d’après » est proclamé partout. À la faveur de la crise sanitaire, la transition écologique s’est vu adjoindre le qualificatif « numérique », laissant entendre que la digitalisation généralisée de nos économies et de nos sociétés était la voie de sortie de l’impasse actuelle, qu’elle allait permettre de « découpler » la croissance de ses effets physiques sur la planète. Dans le plan de relance européen de 750 milliards d’euros figurent même des objectifs chiffrés : au moins 37 % des financements concernant des objectifs environnementaux, surtout climatiques, et 20 % au moins consacrés à la numérisation des économies. Le plan présenté par la France dans ce cadre se veut plus ambitieux : 50 % pour l’environnement et 25 % pour la numérisation. Il s’agit d’automatiser les chaînes de production via la généralisation de l’Internet des objets, ainsi que les services publics : éducation, justice, santé se dérouleront de plus en plus par écrans interposés. Une bonne part des financements ira à la 5G, nécessaire pour faire circuler des flux de données toujours croissants, au cloud computing, à l’intelligence artificielle, à l’informatique quantique, à la blockchain, qui permettront de traiter ces monceaux exponentiels de données.
Ce choix montre que le monde d’après ressemblera au monde d’avant, en pire. D’abord, les conséquences matérielles de cette « dématérialisation » sont bien réelles. Ensuite, des objets « intelligents » aux smart cities, de la « mobilité durable » à l’« e-santé », la digitalisation des sociétés construit un monde de plus en plus artificiel et désincarné.
Le cabinet GreenIT estime que, en 2019, il y avait environ 34 milliards d’équipements informatiques dans le monde : téléphones, télévisions, ordinateurs, objets connectés (1). Ces derniers connaissent une croissance notable. Les estimations de leur nombre varient de 8 milliards à 22 milliards pour 2019, mais toutes les sources s’accordent à prévoir un doublement entre 2020 et 2025. Outre le développement de l’Internet des objets dans la sphère de la production, les objets de consommation prolifèrent, domotique, wearables, c’est-à-dire les objets que l’on porte sur soi (montres, lunettes, vêtements…), tous assortis des nanocapteurs adéquats. Toujours selon GreenIT, l’empreinte écologique du secteur numérique mondial équivaudrait aujourd’hui à deux à trois fois celle de la France, en termes d’émissions de gaz à effet de serre, de consommation de minerais, d’eau et d’énergie. La course à la puissance, avec le passage à la 5G et le développement de la blockchain et de l’informatique quantique, ne peut qu’accroître toujours plus cette empreinte. Le monde d’après ne sera pas vert.
Quant au mode de vie qui se profile, il promet à chacun de rester enfermé chez soi devant ses écrans, télécommandes à la main, occupé à faire obéir ces multiples prothèses électroniques, sans n’avoir plus rien à faire ni plus personne à rencontrer et avec qui échanger. Le confinement nous en donne un avant-goût. Un changement de cap radical est urgent.
(1) Frédéric Bordage, « Empreinte environnementale du numérique mondial », 2019, www.greenit.fr
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