À Briançon, solidarité en bande organisée
La justice maintient la pression sur les solidaires des exilés dans les Hautes-Alpes. Le 27 mai, les « 7 de Briançon » ont été jugés en appel. Le même jour, deux maraudeurs ont été condamnés à du sursis.
dans l’hebdo N° 1656 Acheter ce numéro
J e pourrais plaider toute la nuit sur le délit de solidarité. Les gens que vous avez en face de vous sont nobles et désintéressés. » Au terme d’une audience fleuve, l’avocat William Bourdon se dit « ému » de défendre celles et ceux que leurs soutiens ont surnommé les « 7 de Briançon ». Ils sont jugés ce 27 mai par la cour d’appel de Grenoble, plus de trois ans après les faits. Fin décembre 2018, le tribunal de Gap les avait condamnés pour « aide à l’entrée de personnes en situation irrégulière en bande organisée », à six mois de prison avec sursis pour cinq d’entre eux et douze mois de prison dont quatre ferme pour les deux autres.
Le 22 avril 2018, ils avaient participé à une manifestation entre Claviere, dernier village italien avant la frontière, et Briançon, sous-préfecture des Hautes-Alpes. La marche dénonçait l’action anti-migrants menée la veille par Génération identitaire, ainsi que la « militarisation de la frontière », source de « mise en danger » selon les associations qui aident les exilés. La répression est lourdement tombée sur les trois premiers inculpés : Theo, Bastien et Eleonora. Après leur arrestation au soir de la marche et une garde à vue de 48 heures, les deux jeunes Suisses et l’étudiante italienne ont passé neuf jours en détention provisoire. Lisa, Benoît, Juan et Mathieu ont, eux, été mis en examen au cours de l’été 2018.
Isolée de la rumeur de l’extérieur, la cour passe les prévenus sur le gril. Selon les éléments de l’enquête, une vingtaine de personnes présumées migrantes seraient entrées en France grâce à la marche. La présidente du tribunal et l’avocat général interrogent les prévenus pour savoir s’ils ont volontairement organisé la manifestation dans le but de faire entrer des personnes en situation irrégulière. « Quand je pars en manifestation, je ne vais pas vérifier les identités des gens qui partent avec moi », répond Theo. « Ces migrants n’avaient pas besoin de nous pour passer ou pour manifester. Tous les jours il y a des gens qui passent. Nous, ce qui nous inquiétait, c’est que la vie de ces personnes était menacée par les identitaires », raconte Benoît.
Dans ses réquisitions, l’avocat général, Philippe Muller, demande d’écarter le motif de « bande organisée », qui ne lui paraît pas caractérisé. Il demande à la cour trois mois de prison avec sursis pour six des prévenus et huit mois de prison avec sursis probatoire de deux ans pour Mathieu, également poursuivi pour rébellion. « Je pense qu’il faut marquer un apaisement, même si la situation à la frontière reste difficile », justifie Philippe Muller.
Pour la défense, la matérialité des faits n’est pas établie. Aucun contrôle d’identité prouvant la situation administrative des personnes n’a été réalisé et aucune preuve factuelle n’indique que ces sept-là ont aidé activement des personnes à franchir la frontière. Les forces de l’ordre ont constaté la présence de « personnes à la peau noire » au sein du cortège, voilà le seul élément brandi par l’avocat général. « De présumer qu’une personne de couleur noire est en situation irrégulière, c’est du racisme. Et cela est prévu par le code pénal », affirme Me Zia Oloumi.
La déposition d’un seul de ces « migrants » a été versée au dossier. « Les enquêteurs ont oublié de lui poser la question essentielle. Souhaitait-il faire une demande d’asile ? Et si des personnes présentes dans cette manifestation étaient demandeuses d’asile ? Eh bien, rien ne les empêchait de circuler », expose lyriquement Me Bourdon. « Le code pénal et le code des étrangers ne connaissent pas le mot migrant [utilisé par l’avocat général]_. Ce n’est pas du droit »_, recadre Me Oloumi.
En début d’audience, Me Vincent Brengarth avait introduit une demande de saisine de la Cour européenne de justice pour des questions préjudicielles. Selon l’avocat, la législation française ne s’accorde pas avec une directive européenne de 2002. Ainsi, la distinction entre « deux communautés, celle qui entreprend une action humanitaire et celle qui se livre à la traite humaine » n’est pas faite dans le droit français, explique-t-il aux juges, et le cadre européen ne précise pas la possibilité de poursuites pour des actes aux frontières internes de l’Union européenne. La cour se prononcera sur une éventuelle transmission de ces questions lors du rendu de sa décision, le 9 septembre.
Ce même 27 mai, le tribunal de Gap a condamné deux solidaires à deux mois de prison avec sursis pour avoir franchi la frontière avec une famille afghane, dont la mère était enceinte de huit mois. Les maraudeurs expérimentés démentent avoir franchi la « ligne rouge », qui n’est pas matérialisée dans le secteur où ils ont été arrêtés, par exemple par un torrent ou un sentier. Seule l’appréciation des gendarmes, venus de Pontivy, en Bretagne, est prise en compte dans ce dossier.