Derrière les succès du RN, le vide
Malgré une forte présence dans plusieurs conseils régionaux, le parti d’extrême droite occupe très mal son rôle d’opposant.
dans l’hebdo N° 1658 Acheter ce numéro
La presse politique bégaye. Cinq ans et six mois après les dernières élections régionales, le récit de l’ascension « irrésistible » de l’extrême droite reprend son fil. Même articles, mêmes questionnements, seul le nom du parti change. Au-delà des paris sur une victoire du Rassemblement national, des questions se posent déjà sur son rôle au sein des hémicycles. Dans les Hauts-de-France et en Provence-Alpes-Côte d’Azur, le retrait des listes de gauche avait offert au parti d’extrême droite un rôle confortable d’unique opposant dans ces deux conseils régionaux. Du côté du Grand Est, avec 36 % des voix au second tour, les nationalistes s’étaient nettement imposés comme les principaux adversaires de la majorité LR (48 %), loin devant une liste de gauche fracturée (15,5 %). Ont-ils profité de leur implantation pour convaincre ? Une mandature plus tard, rien ne l’indique. D’après un sondage Ipsos-Sopra Steria, réalisé entre le 3 et le 7 juin, le score du RN ne progresse pas au premier tour en Paca et va jusqu’à diminuer dans le Grand Est et les Hauts-de-France.
« Après un mandat passé à ne rien faire, j’espère bien qu’ils le payent. » Au téléphone, le sénateur écologiste des Bouches-du-Rhône Guy Benarroche n’affiche aucune surprise sur la stagnation annoncée du RN dans sa région (autour de 40 % au premier tour). « Localement, on observait même un recul à Marseille aux dernières municipales [au second tour, la liste de Stéphane Ravier a baissé de six points par rapport à 2014 – NDLR]_. S’ils risquent de l’emporter, ce n’est pas parce qu’ils sont convaincants, mais parce que la droite ne l’est pas. Et puis il y a de la porosité entre l’électorat et les profils de Thierry Mariani (RN) et de Renaud Muselier (LR). Les deux viennent du même parti, la distinction est moins nette qu’entre Marion Maréchal et Christian Estrosi en 2015. »_
Quelques décennies plus tôt, le maire de Nice lui-même n’avait pourtant pas manqué de brouiller les lignes. En 1998, il avait fomenté sans succès une alliance entre le FN et le RPR pour empêcher l’accession du socialiste Michel Vauzelle à la présidence de la région Provence-Alpes-Côte d’Azur. Avant lui, Jean-Claude Gaudin n’avait pas rechigné à se faire élire avec des voix frontistes en 1986.
Partout où le RN s’implante, le décalage entre son programme et le périmètre local du pouvoir lui pose problème. Ses thèmes de prédilection – immigration et sécurité – restent essentiellement régaliens et n’épousent pas franchement les compétences d’un conseil régional. En dépit des formules « chocs », comme la « région-bouclier » de Thierry Mariani, tête de liste en Paca, ou le poste de « vice-président de région chargé de la sécurité » que propose Julien Odoul en Bourgogne-France-Comté.
Après décembre 2015, une fois l’adrénaline de la campagne retombée, l’ennui a souvent gagné les élus frontistes. Deux voies s’offraient aux élu·es RN piégé·es pour six ans dans l’hémicycle : sécher ou se divertir. Dans le Grand Est, l’ancien numéro deux du Front national, Florian Philippot, s’illustre très vite comme un adepte de l’école buissonnière. « Lorsqu’on entame une séance plénière de deux jours, il ne reste pas plus de trente minutes. Il vient faire son intervention et s’en va », raconte la conseillère du Grand Est Brigitte Vaïsse. L’autre attitude consiste à intervenir sur tous les sujets vaguement rattachables aux marottes de l’extrême droite. « Le groupe RN cherchait le moindre prétexte pour faire polémique, poursuit la socialiste. Le moindre centime de subvention attribué à un événement, par exemple lié aux cultures urbaines, peut donner lieu à des prises de parole stériles. Pareil pour les interventions concernant les projets humanitaires, par exemple, dans la Commission des relations internationales. C’est uniquement pour faire du bruit. »
Dans les Hauts-de-France non plus, le RN ne semble pas pressé de s’investir dans la politique régionale. Même cantonné·es dans l’opposition, ses conseiller·es ne sont pas pour autant dénué·es de prérogatives : accès aux documents fournis par les agents de la région sur les politiques publiques, présence au sein d’une pléthore de conseils d’administration (lycées, écoles, établissements de formation…) ou assistance de plusieurs agents de la région. « C’est très difficile d’aller critiquer la politique mise en place par une majorité sans avoir accès à des informations précises », commence l’ancien conseiller régional (Parti de gauche) Laurent Matejko. « Les élu·es d’opposition ont accès aux notes des instances internes, qui ne sont pas toujours accessibles au public. Pour des sujets très techniques, comme la gestion des fonds européens et le dialogue avec les institutions de l’UE, c’est très utile. Le RN, qui bénéficie de tout ça, n’en tire paradoxalement pas profit et enchaîne les interventions caricaturales. C’est un grand gâchis. »
A contrario, les forces de gauche se trouvent à l’écart de l’institution. En cause, la consigne du siège national du Parti socialiste, en 2015, qui imposait à ses listes de se retirer de toutes les triangulaires où le FN pouvait l’emporter. Un retrait pur et simple, sans participation. En Paca, les vagues promesses d’inclusion de la gauche dans un conseil régional bis, composé d’ancien·nes désisté·es ou de notables, ont fait long feu. « Ça n’aura tenu que quelques mois, mais on s’y attendait, relate Guy Benarroche. Pour moi, ce n’est plus possible que le même scénario se répète, qu’on se mette simplement en retrait. Dix ans sans conseillers régionaux de gauche, c’est trop. »
L’autre option – que susurre l’Élysée – serait une fusion technique au second tour, permettant d’inclure dans la liste faisant face au RN des membres de LREM. « Pour nous, ce n’est pas envisageable », assure un proche de la majorité de gauche en Bourgogne-Franche-Comté, où le scénario pourrait se présenter. « Il ne peut pas y avoir d’alliance avec des membres de la majorité présidentielle. Alors qu’on a un devoir de clarté, ce serait contre-productif. S’il y a un soutien de LREM, c’est très bien, mais ce doit être sans condition. »