Élections : Refuser le duel mortifère annoncé

Les départementales et les régionales des 20 et 27 juin ont été détournées de leur objet par des polémiques sans rapport et surtout par la présidentielle, dont la campagne a déjà commencé.

Michel Soudais  • 16 juin 2021 abonnés
Élections : Refuser le duel mortifère annoncé
Emmanuel Macron reçoit Marine Le Pen, le 21 novembre 2017.
© Arthur Nicholas Orchard / Hans Lucas / Hans Lucas via AFP

Il en va des élections un peu comme de l’alcool. À trois jours du premier tour des élections départementales et régionales, il est tentant de paraphraser une publicité que les moins de 40 ans ne peuvent pas connaître. « Une élection, ça va. Trois élections… bonjour les dégâts ! » La présidentielle s’est en effet invitée dans la campagne dont l’enjeu, pour certains, serait de faire émerger une alternative au duel mortifère annoncé Macron-Le Pen, d’où de périlleuses compétitions dans le camp de la gauche et de l’écologie. D’autres, à droite et à l’extrême droite, gomment la spécificité de ces scrutins et leurs enjeux propres sous le poids d’une avalanche de faits divers générateurs de phrases chocs par lesquelles les putatifs candidats à l’Élysée et leurs soutiens se présentent comme seuls capables de rétablir l’ordre. De quoi troubler les électeurs.

Dimanche, l’abstention pourrait atteindre un nouveau record pour ce type de scrutins – en 2015, un électeur sur deux seulement s’était déplacé – et la peur d’une contamination par le covid-19 n’en sera pas la cause principale. Le couplage des élections départementales et régionales (1) ne contribue pas à l’éclairage des enjeux propres à chacune d’entre elles. Modes de scrutin distincts, compétences différentes, configurations politiques parfois divergentes… Nombre d’électeurs s’avouent perdus. Seul point commun à ces deux consultations électorales : les conseillers départementaux et régionaux sont élus pour un mandat de six ans.

Malgré le redécoupage cantonal qui a éloigné les élus des électeurs, les élections départementales restent un scrutin local à fort enjeu social. Les départements, dont 68 sont aux mains de la droite, ont en effet au cœur de leurs compétences l’action sociale et médico-sociale en direction de l’enfance, des personnes âgées ou handicapées et la gestion du RSA ; cela représente plus de la moitié de leurs budgets de fonctionnement. Ils ont également en charge les collèges, les centres d’incendie et de secours, l’entretien de la voirie départementale, ainsi qu’une compétence culturelle (bibliothèques de prêt, musées, protection du patrimoine…) et des compétences partagées en matière de sport et de tourisme…

Les régions, devenues d’immenses entités administratives sans que leur budget suive, ont compétence « pour promouvoir le développement économique, social, sanitaire, culturel et scientifique de la région ». Elles gèrent les lycées et s’occupent également de la formation professionnelle. Les transports, avec les TER et les bus interurbains, sont également de leur ressort, tout comme, dans le domaine environnemental, la gestion des parcs naturels régionaux ou la planification de la gestion des déchets. Elles peuvent aussi intervenir en « soutien à l’accès au logement et à l’amélioration de l’habitat, à la politique de la ville et à la rénovation urbaine, aux politiques d’éducation et à l’aménagement et l’égalité de ses territoires », domaines dans lesquels les régions LR ne brillent pas.

La reconquête des 27 départements passés de gauche à droite en 2015 et celle des 6 régions tombées aux mains de la droite devraient mobiliser les électeurs de gauche et écologistes, si d’autres considérations ne venaient troubler les enjeux de ces scrutins. Ainsi en est-il de la sécurité, qui occupe les débats médiatiques, que les électeurs placeraient, assurent les sondages, au premier rang de leurs préoccupations et que les candidats de droite (LREM, Modem, UDI, LR) ou d’extrême droite mettent en avant. Démagogiquement, car départements et régions n’ont que très peu de compétences en ce domaine. Ces dernières ne sont responsables de la sécurité que dans les transports qu’elles gèrent et aux abords des lycées. La gestion de l’immigration, dont il est aussi parfois question sous la pression du RN, ne relève pas plus des régions.

Mais c’est surtout la nationalisation du scrutin, perçue par toutes les formations comme un galop d’essai avant 2022, qui détourne ces élections de leur objet. Candidate à la présidentielle depuis janvier 2020, Marine Le Pen espère voir son parti confirmer les scores que lui promettent les sondages et renforcer ses positions ; une ou plusieurs victoires seraient pour elle un bon tremplin. À droite, ils sont trois présidents de région à rêver d’un résultat qui les propulserait comme le ou la candidate de leur camp pour l’Élysée. Valérie Pécresse en Île-de-France, Laurent Wauquiez en Auvergne-Rhône-Alpes et Xavier Bertrand dans les Hauts-de-France, qui mène ouvertement campagne pour les régionales et la présidentielle.

Mais la nationalisation du scrutin est aussi venue de l’exécutif, qui présentait encore en avril ces scrutins comme « locaux ». Avec le déconfinement, des poids lourds du gouvernement sont entrés dans la bataille. Ils sont cinq rien que dans les Hauts-de-France pour, disent-ils, « barrer la route au RN », mais également à Xavier Bertrand, dont une défaite dégagerait la route de l’Élysée pour Macron. Le Premier ministre est intervenu en Provence-Alpes-Côte d’Azur pour soutenir Renaud Muselier (LR) en échange de sièges pour la majorité présidentielle, créant la zizanie dans les rangs de la droite.

Mal implantée localement, la Macronie s’active ainsi pour installer cyniquement le RN comme son adversaire et se poser en ultime rempart. Histoire de planter le décor de la confrontation rêvée par Emmanuel Macron pour rempiler. Le front républicain est donné pour mort ? Trop brutal pour les listes qui, en se sacrifiant, comme en 2015, n’auraient aucun élu régional pendant six ans ? Les conseillers du Château suggèrent des fusions de liste. De quoi constituer une large coalition mêlant candidats de droite et macroniens. Pourquoi pas aussi PS ou EELV…

Les représentants LR ont jusqu’ici toujours refusé ce qu’ils appellent les « tripatouillages d’entre deux tours ». Certains d’entre eux pourraient y céder afin de sauver quelques sièges, ce qui ne manquerait pas de diviser encore plus leur parti. Ainsi serait achevée la décomposition du paysage politique inaugurée en 2017.

« Le front républicain peut être aussi à double tranchant, prévient la politiste Virginie Martin, dans un article de la Revue politique et parlementaire sur la situation en Paca (14 juin) : une éventuelle victoire du RN, malgré cette stratégie, serait la marque d’une réussite encore plus grande ; seul contre tous, le RN pourrait faire la démonstration de sa capacité à dépasser les obstacles. » Un risque qui n’effraie pas les apprentis sorciers élyséens.

(1) En 2015, les départementales s’étaient tenues en mars, les régionales en décembre.