JO 2024 : un record de saccages à venir
Les conséquences sociales et environnementales des Jeux inquiètent la population de Plaine Commune. Alors que les travaux s’accélèrent, focus sur trois points de lutte.
dans l’hebdo N° 1658 Acheter ce numéro
Plaine Commune, la communauté de communes où s’installent les Jeux olympiques de 2024, compte quatre des vingt villes les plus pauvres de France. La Société de livraison des ouvrages olympiques (Solideo), présidée par Anne Hidalgo, les membres du Grand Paris Aménagement, les promoteurs immobiliers ou encore les municipalités se réjouissent d’y construire une compétition « vecteur d’intégration sociale et économique ». Sur son site, Plaine Commune se réjouit : « Une fois l’excitation de l’événement passée, c’est un héritage concret et durable qui restera. » Pour satisfaire les écolos, en 2016, le WWF s’engageait même dans un partenariat censé accompagner les « premiers Jeux alignés avec les objectifs de l’accord de Paris ».
Au total, 20 % du territoire est ou sera en chantier ces prochaines années et, aux jardins d’Aubervilliers, dans le quartier Pleyel de Saint-Denis ou dans le parc de Dugny, la bétonisation et la gentrification sont des menaces bien réelles. Pour résister et dénoncer, associations et habitant·es se sont rassemblé·es dans une inter-organisation nommée Saccage 2024. Ensemble, ils déclarent que, non, la Seine-Saint-Denis n’est pas un terrain de jeu.
Recours juridiques
Ligne 13 du métro, sortie Carrefour-Pleyel. Sur la place du marché, quelques personnes attendent le début du « Toxic Tour » qui les guidera au cœur des travaux du futur Village des athlètes. Ce n’est pas la première balade dans Saint-Denis que le comité Vigilance JO 93 organise : ces journées visent à informer sur les transformations sans précédent que s’apprête à subir le quartier.
L’architecte Ivan Fouquet expliquait récemment au site Reporterre que « l’organisation des JO a été accompagnée d’un assouplissement des règles d’urbanisme : une aubaine pour l’accélération du Grand Paris ». En peu de temps, un nombre inédit de chantiers ont fleuri dans le quartier Pleyel. Entre autres, il accueillera bientôt la plus importante des 68 gares du Grand Paris Express. Autour de chacune d’elles et dans un rayon de 800 mètres, tout est mis en place pour accélérer l’urbanisation. Inévitablement, en cinq ans, les prix au mètre carré autour des futures gares de Saint-Denis-Pleyel et La Plaine-Stade-de-France ont grimpé respectivement de 40,5 % et 44,6 %, selon les informations du Parisien en avril dernier.
À Aubervilliers, 4 000 mètres carrés de jardins ouvriers seront ensevelis sous le béton.
Pour contenir la flambée des prix, Plaine Commune prévoit dès maintenant d’expérimenter le dispositif d’encadrement des loyers proposé par la loi Elan. Mais réguler le marché locatif suffira-t-il à garder les populations les plus précaires au sein du complexe ? Il y a quelques mois déjà, un foyer de travailleurs migrants était vidé en prévision des travaux, et la construction des bâtiments de relogement peine à commencer. « À force, les athlètes auront leur logement avant les expulsés », raille une des militantes.
À la fin des Jeux, 6 000 habitant·es devraient prendre la place des 14 250 athlètes (9 000 pendant les Jeux paralympiques) dans les locaux flambant neufs. L’autre partie se transformera en bureaux et commerces qui accueilleront 6 000 salarié·es. Dans une ville où l’on évoque souvent la question de la mixité sociale, la barre des 40 % de logements sociaux avait été fixée pour le projet. D’après les collectifs, quelques semaines plus tard, le chiffre aurait déjà chuté à 15 %. « Ils veulent faire un nouveau quartier La Défense, à tous niveaux. Ce ne sont pas les habitant·es de la Seine-Saint-Denis qui sont invité·es à venir acheter ici, explique au mégaphone Éric Coquerel, député LFI, présent au Toxic Tour. On renvoie toujours plus loin les populations actuelles ! »
De son côté, Cécile Gintrac, l’enseignante qui guide le groupe dans les rues, n’hésite pas à pointer du doigt l’hypocrisie des promoteurs. « Sur les modélisations 3D, évidemment, c’est très beau, il y a des arbres, un parc central, mais quand on creuse un peu, la qualité environnementale du site est vraiment discutable. » L’espace vert annoncé, bonne nouvelle dans un quartier très minéralisé, a vite perdu de sa grandeur : cinq barres d’immeubles amputeront le parc promis.
Si le sport est bon pour la santé, peut-on en dire autant des JO ? Pas sûr pour les élèves du groupe scolaire Pleyel-Anatole-France, pris en étau par la construction d’un échangeur autoroutier entre l’A86 et l’A1, censé faciliter l’accès au site. Imaginé par la Direction des routes d’Île-de-France (Dirif) et coûtant près de 100 millions d’euros à l’État, le projet pourrait détourner vers l’école pas moins de 10 000 à 20 000 voitures chaque jour, selon le collectif Pleyel Avenir. « Dans les textes des enquêtes publiques, il n’y a pas une trace de ces enfants, s’énerve Hamid Ouïdir, membre de la Fédération des conseils de parents d’élèves (FCPE). C’est un millefeuille administratif à la française, et même si certains ont conscience que le projet est mauvais, ils foncent ! »
Force de proposition, le collectif Vigilance JO 93 avance plusieurs projets alternatifs, mais l’absence de communication avec les acteurs des travaux réduit presque à néant les chances de se faire entendre. « On a été dans des réunions Zoom où on peut à peine parler, il faut toujours être disponible et batailler pour avoir la moindre info, c’est le flou total », souffle Cécile Gintrac. Pour l’instant, le collectif mise sur l’appareil administratif pour freiner la catastrophe. Le premier recours juridique est lancé le 20 janvier 2020. Le juge émet alors des doutes sur les mesures proposées pour la protection des enfants. La cour administrative d’appel de Paris suspend un temps le projet, avant de donner son feu vert, arguant que « les inconvénients ne peuvent être regardés comme excessifs par rapport à l’intérêt que l’opération présente ». Le 7 décembre, la FCPE 93, l’association Vivre à Pleyel et treize requérant·es décident de lancer un deuxième recours auprès du Conseil d’État. Depuis six mois, le collectif ne sait pas quand la décision tombera. Les travaux, eux, se poursuivent.
Jardins à défendre
Ligne 7, sortie Fort-d’Aubervilliers. En fond, les HLM orange surplombent la départementale. Plus proches, les jardins ouvriers s’étendent, parsemés depuis peu de cabanes, de pancartes et de banderoles protestant contre leur destruction. Rattachés à l’Association desJardins ouvriers des vertus, ils sont devenus jardins à défendre (JAD). Aménagés au XIXe siècle, en pleine révolution industrielle, pour permettre aux familles les plus précaires de se nourrir, ils font maintenant -pleinement partie du patrimoine local. Ils abritent des espèces protégées et sont de ces rares espaces agricoles encore cultivables par les habitant·es de Seine-Saint-Denis. Pourtant, d’ici à 2024, 4 000 mètres carrés de ces terres potagères seront ensevelis sous le béton d’un solarium minéral, extension d’une piscine olympique.
Pendant des semaines, manifestations, actions symboliques et campagnes -d’information se sont enchaînées. À l’arrivée des premiers bulldozers, la découverte d’amiante dans les toits de certaines cabanes avait retardé la destruction d’un mois, mais la reprise des travaux approche et les jardins sont plus que jamais menacés. Alors, depuis le dimanche 23 mai, l’occupation est déclarée. « On nous a déposé 35 couettes ! », « 3 kg de riz, c’est suffisant si on est une trentaine ? », « Je ne pense pas que la police puisse arriver dès le soir même si on l’annonce dimanche… ». Le petit monde de la JAD s’agite. Une vingtaine de parcelles sont en passe d’être détruites et, malheureusement, « la plupart des jardiniers sont résignés, ils sont persuadés que c’est trop tard », constate Corentin, un Albertivillarien engagé dans le collectif de défense.
En 2019, profitant de sa dernière semaine de mandat, Meriem Derkaoui, l’ancienne maire d’Aubervilliers (PCF), signe le contrat avec le groupe de construction Spie-Batignolles. Loin d’en être affligée, la nouvelle maire, Karine Franclet (UDI), explique à Mediapart : « C’est une ville qui ne demande qu’à décoller. La piscine sera bonne pour son image. » Mais là où 45 % des ménages vivent sous le seuil de pauvreté, « qui y aura vraiment accès ? se questionne Dolorès, une des jardinières. Ici les gens réclament des espaces verts ! » Le prix d’entrée de cette mégapiscine, justifié notamment par le coût de son entretien, privera certainement d’accès une grande part de la population locale. Sacrifier ces lieux dans une ville qui ne compte déjà que 1,42 mètre carré d’espaces verts par habitant·e, quand l’Organisation mondiale de la santé en recommande au moins 10, pourrait accélérer considérablement la formation d’îlots de chaleur urbains. À terme, plus d’un hectare de jardins est menacé par la future gare de la ligne 15 du Grand Paris Express, un complexe hôtelier et le projet d’écoquartier sur la ZAC du fort d’Aubervilliers. « Ce problème de piscine à la place de jardins n’est pas le seul, martèle Corentin. Il y a tout l’aménagement du quartier et la gentrification qui est en cours, avec sacrifice des espaces verts et de ce qui pourrait être des espaces collectifs pour de la propriété privée ! »
1,42 m2 d’espaces verts par habitant·e à Aubervilliers, quand l’OMS en recommande 10.
Malgré les promesses de compensation, les associations refusent cette attaque contre la biodiversité. Sur le terrain, entre deux ateliers «Découverte des plantes comestibles » ou « Sécurité numérique » par la Quadrature du Net, se croisent et s’entraident les collectifs Youth For Climate et Extinction Rebellion, les Brigades de solidarité populaire ou encore les ancien·nes occupant·es de la ZAD de Gonesse car, pour tou·tes, « l’écologie populaire et de subsistance des Jardins des vertus n’est pas compatible avec ce capitalisme vert ».
Espèces protégées
Abritée de la pluie par une bâche tirée entre quatre arbres, Valérie participe à l’assemblée générale des Jardins d’Aubervilliers. Elle raconte attendre impatiemment le 17 juin, jour où la justice tranchera sur l’avenir de l’Aire des vents, une partie du parc départemental Georges-Valbon à Dugny. Sans être de ces jolis espaces verts aux grandes fontaines où l’on peut flâner dans Paris intra-muros, le parc est l’un des poumons de la Seine-Saint-Denis.
RER B, bus 133, direction le nord du département, où une nouvelle histoire d’injustice environnementale se trame. Car, là où se déroule habituellement la Fête de l’Humanité, 10 hectares de friches ainsi que les bêtes, notamment une douzaine d’espèces d’oiseaux protégées, qui y vivent sont menacés par le béton d’un futur village. Il accueillera des centaines de journalistes du monde entier et portera le joli nom de… Cluster des médias.
Après quelques pétitions, l’antenne locale du Mouvement national de lutte pour l’environnement et le Collectif pour le triangle de Gonesse ont déposé un recours auprès de la cour administrative d’appel de Paris. Cette dernière a alors suspendu les travaux, jugeant contraire au code de l’environnement la dérogation (accordée par un arrêté) à l’interdiction d’atteinte à des espèces protégées. Pour justifier le chantier, la Solideo doit prouver que seule cette zone était à même d’accueillir son projet. Pour les militant·es, le combat est gagné d’avance : aucune étude n’avait été menée pour évaluer d’autres espaces !
Ironiquement, le terrain devrait accueillir après la compétition un énième écovillage – en bois et matériaux bas carbone, par souci environnemental –, une de ces pseudo-cités-jardins artificielles où l’humain vivrait en paix avec la nature. À quel prix ? Si les plus modestes sont chassés de ces espaces, de leurs quartiers et de leurs espaces de repos, remplacés progressivement par des bureaux et d’attractives et lucratives installations, à qui profitera vraiment l’héritage des Jeux olympiques 2024 ?