Julien Denormandie, petit soldat de Macron

À l’approche de 2022, le ministre de l’Agriculture, très proche du Président, veille à éviter toute vague, gérant la prochaine PAC dans un statu quo très favorable à la FNSEA.

Patrick Piro  • 30 juin 2021 abonné·es
Julien Denormandie, petit soldat de Macron
À 40 ans, le jeune ministre est l’une des principales chevilles ouvrières du mouvement En Marche.
© Xosé Bouzas/Hans Lucas/AFP

Quelques milliers d’agricultrices et d’agriculteurs dans leurs champs dans le plus simple appareil, brandissant des messages d’alerte : cette « bio à poil » manifestait, début juin, pour dénoncer le sort qui menace la filière via le projet de plan stratégique national (PSN), élaboré pour décliner en France la nouvelle politique agricole commune (PAC, période 2023-2027). « Déshabiller l’agriculture bio pour rhabiller confortablement le reste de l’agriculture », explicite Philippe Camburet, président de la Fédération nationale d’agriculture biologique (Fnab). Dans le collimateur, Julien Denormandie, ministre de l’Agriculture.

Alors que l’objectif d’atteindre 15 % des surfaces agricoles cultivées en bio en France à la fin du quinquennat est hors d’atteinte (8,5 % fin 2019), le ministre est parti à l’assaut de « l’opposition entre environnement et agriculture », estimant qu’« il n’y a pas dans notre pays d’un côté les vertueux qui font du bio et de l’autre côté les mauvais qui font un autre type d’agriculture ». Traduction avec la création d’une « haute valeur environnementale » (HVE) annoncée par le PSN pour l’application du système des « écorégimes » que la PAC veut mettre en place : les agriculteur·rices toucheront les aides directes de l’Union européenne à condition d’adopter des pratiques « bénéfiques pour l’environnement ».

Mais les critères de la HVE, assez peu exigeants, devraient laisser une large place à des exploitations non labellisées bio, dévalorisant les pratiques les plus vertueuses. Et, surtout, le PSN veut acter la disparition des aides pour le maintien en bio des exploitations qui le sont déjà, pour les concentrer sur les exploitations en conversion. Dont l’augmentation du nombre, but visé, pourrait faire perdre aux bio en place environ 66 % de leurs subventions, au profit de grosses exploitations qui opteront pour cette HVE.

Car il ne s’agit pas d’un guichet « ouvert » : Julien Denormandie raisonne à enveloppe financière constante. Il s’abrite volontiers derrière ce paravent qui l’exonère de prendre des risques et de toucher aux équilibres en place, critiquent ses opposants. Il le répétait lors d’une visite de terrain à Maure-de-Bretagne, début mars, devant des membres de la Confédération paysanne à l’occasion d’un débat autour de leurs revendications pour la nouvelle PAC. « Je ne vois pas comment faire autrement, parce que la difficulté, c’est qu’à la fin tout le monde va me tomber dessus. »

Lire >La colère des oublié·es de la PAC

Nicolas Girod bondit. Le porte-parole de la Confédération paysanne, syndicat opposé à la FNSEA, l’organisation dominante qui réunit entre autres les forces de l’agro-industrie, reconnaît au ministre un contact « direct et facile, cordial et intéressant même. En tête-à-tête. Car, à l’heure des arbitrages, c’est le statu quo attendu par la FNSEA qui prévaut. C’est insupportable. Alors que le pays vit tous ces échecs sociaux, que la question d’une alimentation saine et accessible reste en suspens, que l’environnement agricole pâtit fortement de pratiques polluantes, que les paysannes et les paysans subissent une hausse du nombre de suicides et une perte régulière de revenus. Quant à l’agriculture “de demain”, on sait à quoi elle va ressembler, puisque c’est l’immobilisme qui prévaut, c’est-à-dire encore et toujours le ralliement aux préconisations du syndicat dominant. »

Avec l’organisation très prochaine d’un « Varenne agricole de l’eau et de l’adaptation au changement climatique », Julien Denormandie veut imposer là encore une approche prétendument « pragmatique et dépassionnée ». Au menu, entre autres : rendre plus simple la construction de retenues d’eau pour l’irrigation. Alors que ce conflit emblématique entre agriculteurs et écologistes a causé la mort de Rémi Fraisse dans le Tarn en 2014…

Philippe Camburet, s’il apprécie la qualité d’agronome de Julien Denormandie, déplore qu’il reste cantonné dans une approche strictement agricole. « Transition écologique, santé environnementale, extinction des espèces, etc., tant de signaux, dans la société, pourraient l’inciter à des transformations profondes de son ministère. Il ne les a pas saisis. Il restera même le ministre de la réintroduction des néonicotinoïdes. » Ces pesticides avaient été interdits en raison de leur implication dans la mortalité des abeilles. Ce qui n’a pas empêché le ministre de signer une dérogation d’utilisation au profit de la culture très stratégique de la betterave à sucre, alors que des solutions alternatives existent. « Et je connais d’emblée sa position sur la prolongation de l’autorisation du glyphosate dans l’Union européenne : je ne le vois pas sortir du bois pour aller contre », prédit un Philippe Camburet désabusé.

Début janvier, Julien Denormandie avait soulevé un concert de protestation dans les rangs écologistes en défendant que les « New Breeding Techniques » (NBT), nouvelles techniques de manipulation génétique des plantes dont il se dit « fervent défenseur », n’avaient pas à être considérées comme des OGM, tels que définis par la réglementation européenne. Ministre de formation scientifique, également titulaire d’un MBA en économie, il exprime régulièrement sa volonté d’imposer du « rationnel » en barrage aux réactions « dictées par l’émotion collective citoyenne ». Ce qui ne l’empêche pas de proférer des contre-vérités quand le maire écologiste de Lyon, Grégory Doucet, propose de supprimer momentanément la viande des cantines au plus fort de la crise du covid-19. « Cette décision est aberrante d’un point de vue nutritionnel, une honte d’un point de vue social ! » Réplique de Greenpeace : « Le ministre ment éhontément pour défendre l’industrie de la viande. »

De même Philippe Camburet est encore offusqué d’avoir vu le ministre se braquer, lors d’une réunion, contre l’opération de communication « La bio à poil » et la qualifier « de manipulation et de désinformation, pour s’éviter d’aborder la question de fond. Ce n’est pas digne d’un ministre ! De fait, il a tendance à mettre les problèmes sous le tapis, dans le but de trouver rapidement une porte de sortie aux situations conflictuelles. Il n’a pas d’ambition pour l’agriculture ».

Ainsi, le ministre ressasse sa volonté de conquérir la souveraineté « alimentaire » pour la France. Approximation : il s’agit essentiellement d’une souveraineté « agricole », qui se préoccupe avant tout des équilibres macroéconomiques des acteurs de poids, avec le projet, par exemple, d’accroître la production nationale d’oléagineux, l’une des bases de l’élevage industriel, largement importés des zones de déforestation du Brésil notamment. « Un paravent ! À côté de cela, on va continuer à importer et exporter des aliments. On ne décèle en lui aucune ambition de relocaliser réellement l’agriculture. » Derrière des mots ronflants, le ministre entend de fait favoriser une agriculture nationale « forte » derrière des champions, en dépit des louanges qu’il tresse à la « diversité des modèles agricoles » de notre pays.

Julien Denormandie, ministre de la permanence des équilibres… Pour Nicolas Girod, il est clairement en service commandé. « Il s’organise de manière à ne rien faire qui puisse nuire au Président – voire à sa propre carrière. » Qu’il a essentiellement accomplie dans la haute administration. Ce technocrate entre dans les cabinets ministériels en 2012. Il rejoint en 2014 celui du ministre de l’Économie, Emmanuel Macron, en tant que directeur adjoint. Ancrage décisif pour celui qui va devenir très proche de l’actuel président, avec lequel il a songé un temps fonder une start-up dans le domaine de l’éducation. En 2016, Julien Denormandie est l’une des principales chevilles ouvrières du mouvement En Marche et de la victoire d’Emmanuel Macron. En 2017, il devient ministre du Logement et hérite du maroquin de l’Agriculture il y a un an tout juste, à l’âge de 40 ans.

« C’est un bon petit soldat de la Macronie, attaque Nicolas Girod. À moins d’un an de la présidentielle, il ne veut surtout pas faire de vagues, pour offrir la paix sociale dans les champs à Emmanuel Macron. Et il a mis les moyens pour y parvenir. Il peut même en espérer une promotion si ce dernier est réélu : l’agriculture est souvent un piédestal vers des sommets plus importants. » Le porte-parole de la Confédération paysanne en vient à le positionner dans la lignée des titulaires du poste. « Ça fait quelque temps qu’un ministre de l’Agriculture ne nous a pas laissé un grand souvenir. » Il évoque Michel Barnier et -Stéphane Le Foll, contre lequel la Confédération paysanne a tellement ferraillé. « Nous avons été très déçus par ses positions lors de la précédente réforme de la PAC. Mais, au moins, lui avait la volonté de remettre en cause le modèle dominant. C’est dramatique d’en être à saluer son action, cela donne une idée de la faiblesse dans laquelle nous considérons ses successeurs, Didier Guillaume et Julien Denormandie… »

Écologie
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