La réforme de l’assurance-chômage au crible du Conseil d’État
Les syndicats sont sortis confiants de l’audience en référé concernant leurs recours contre le nouveau mode de calcul des allocations chômage, jeudi 10 juin. Le jugement n’interviendra pas avant le 16 juin.
I l ne faut jamais se fier aux impressions d’audience », se répète le représentant de la CGT, Denis Gravouil, pour tempérer son enthousiasme, ce jeudi devant les grilles du Conseil d’État. Le ministère du Travail vient d’essuyer trois heures et demie d’interrogations de la juge des référés, dans le cadre de l’examen de six recours contre sa réforme de l’assurance-chômage. Certaines sont restées sans réponse, touchant au cœur même de ce qui avait entraîné l’annulation de la réforme en novembre 2020 : les inégalités de traitement entre deux chômeurs ayant travaillé autant, à des rythmes différents.
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La juge Anne Egerszegi, qui tranchera seule en fin de semaine prochaine sur la suspension ou non du texte contesté en attendant l’examen au fond des recours, siège au milieu d’une salle où la quasi-totalité des syndicats de salariés (tous, sauf la CFTC), représentés par leurs avocats, font face à quatre hauts fonctionnaires représentant le ministère du Travail. « Ça tiraille, ça bringuebale, le texte est très difficile à comprendre, mais l’économie budgétaire est l’objectif qui ressort le plus », réprouve Maître Uzan-Sarano pour l’Unsa, dénonçant un texte qui impactera « gravement » 1,15 million de personnes.
La pertinence de la réforme contestée
Décidée dans un contexte de croissance et de baisse du chômage, le nouveau calcul du salaire journalier de référence entraînera une baisse moyenne de 17 % des allocations pour 41 % des futurs inscrits à Pôle emploi, selon l’estimation du gestionnaire de l’assurance-chômage, l’Unédic. Elle ne touche que les salariés ayant jonglé avec les contrats précaires, au nom de la lutte contre la « permittence ». Un tour de vis difficile à justifier en période de crise économique, insistent les avocats, qui aimeraient rendre caduc le document de cadrage qui avait initié la négociation paritaire initiale de ce texte, en 2018. Un argument examiné avec attention par la juge des référés.
D’autant plus que le volet patronal de cette réforme, le « bonus-malus » censé taxer le recours excessif aux contrats courts, a été repoussé à septembre 2022. De quoi, selon l’avocat de la CGT, maître Antoine Lyon-Caen, remettre en cause « la sincérité » de l’argument du législateur, qui prétend vouloir lutter contre la précarité. « D’autant plus que le gouvernement a considérablement facilité le recours aux contrats courts en permettant aux accords de branche de supprimer le délai de carence », dénonce-t-il.
En réponse, le directeur des affaires juridiques des ministères sociaux, Charles Touboul, rejette des « procès d’intention » et euphémise : « C’est en faisant pression sur les recruteurs que nous sortirons de la “permittence“, en faisant en sorte qu’ils aient de plus en plus de mal à recruter, car la situation sera un peu moins intéressante qu’hier » pour les salariés alternant des périodes de chômage et des contrats courts.
La juge « dubitative »
Au cœur des débats, il y a les estimations rendues par l’Unédic, qui montrent d’importantes différences de traitement entre deux salariés-chômeurs ayant travaillé autant, avec un échelonnement des contrats différent dans le temps. Le fait que la période de travail soit continue ou discontinue et la date d’ouverture des droits produisent des effets de bords importants. Selon les scénarios, à travail égal, des écarts d’allocation de 1 à 36 peuvent être constatés (lire à ce propos les analyses du sociologue Mathieu Grégoire).
En touchant au calcul du salaire journalier de référence, le gouvernement a déréglé un mécanisme d’une extrême complexité, dénoncent les syndicats. « C’est une absence de compréhension même des mécanismes que le décret reflète. Cela entraîne des écarts absolument énormes. La mécanique a échappé au mécanicien », cingle maître Antoine Lyon-Caen pour la CGT.
Les représentants du gouvernement ne contestent pas ces projections, comme le relève la juge, mais préfèrent retenir des « chiffres globaux » comprenant les aides sociales, comme la prime d’activité, que les allocataires pourraient toucher du fait de la baisse de leurs allocations. Tout compte fait, ils reconnaissent un écart de 1 à 1,5, « très très en dessous de l’ampleur des différences de traitement qui avaient été censurées », fait valoir Charles Touboul.
Mais la juge est « dubitative » et demande davantage de précisions, que les représentants du ministère sont incapables de lui fournir. Ils devront donc lui adresser une note complémentaire, technique et chiffrée, pour expliquer les conséquences de la nouvelle formule de calcul. Ainsi qu’un second document sur le cas particulier des guides et conférenciers. Ces devoirs sont attendus pour mardi 15 juin, après quoi la juge prendra sa décision.
Un bourbier pour le gouvernement
Cette loi, annulée une fois et corrigée trois fois pour gommer « les effets non voulus » soulignés par les syndicats, se mute en véritable bourbier pour le ministère du Travail. Outre les multiples bévues juridiques, la rue de Grenelle doit affronter les critiques de ses anciens locataires, Murielle Penicaud, ex-ministre, comme Antoine Foucher, l’ancien directeur de cabinet, rédacteurs du texte et aujourd’hui opposés à sa mise sur orbite en raison du contexte économique.
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Avant/après la réforme, les estimations de l’Unédic :
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