Les associations restent en liberté surveillée
L’Observatoire des libertés associatives dénonce les pressions et rétorsions dont les associations sont parfois victimes de la part des élus. Exemples à La Verrière, La Courneuve et Aubervilliers…
Abdenbi Kenba est connu dans le quartier du Bois de l’Etang, à la Verrière (Yvelines). Il salue tout le monde en souriant. Ça fait 47 ans qu’il s’investit dans les associations de ce quartier populaire des Yvelines. Depuis 2015, il est président de l’amicale des locataires du Bois de l’Etang, qui se bat contre le projet de démolition de plusieurs immeubles du quartier, porté par la mairie. C’est un homme « simple », « pas véhément », décrit Mohamed Ragoubi, de l’association Appuii, venue soutenir les habitants. Sauf quand il raconte sa convocation au commissariat de police local, le 25 mai : « _47 ans de loyauté au service de cette ville et pour un email bidon, ils m’ont traité comme un délinquant ! », s’emporte-t-il. L’homme de 68 ans n’avait jamais eu affaire à la police. « Avant le rendez-vous, je ne dormais plus », confie-t-il.
Convocation
Abdenbi Kenba a été convoqué au commissariat à la suite d’une plainte pour « menace », déposée contre lui par le maire de La Verrière, Nicolas Dainville (divers droite), et son adjoint Fouzi Moussa. En cause, un courriel envoyé le 7 avril 2021 dans lequel il écrit au maire : « Je suis équerre [écœuré] de la politique que vous menez et qu’attaquer les pauvres malheureux au lieu de les aider, mais croyez-moi vous allez le regretter insha allah ». Après sa convocation, la plainte a été classée sans suite.
Les deux hommes s’opposent depuis plusieurs mois sur le projet de rénovation du quartier. Sur les 619 logements HLM construits au début des années 70, entre 212 et 264 devraient être démolis. Lors de son élection en juin 2020, Nicolas Dainville s’était pourtant engagé à rénover sans démolir. L’association Appuii, qui aide les habitants à proposer des alternatives à la démolition, assure que les raisons de ce revirement sont avant tout financières. L’ANRU, l’Agence nationale pour la révolution urbaine, pourrait financer la rénovation à hauteur de 130 millions d’euros, mais à condition que plusieurs immeubles soient détruits. Le maire a donc choisi de saisir cette opportunité. Il a changé d’avis, explique-t-il, après avoir consulté les habitants qui, selon lui, sont plus nuancés sur le projet de rénovation du quartier. « Les habitants avaient envie qu’on parle d’avenir et n’étaient pas du tout opposés à quelques démolitions », plaide Nicolas Dainville_. « Le projet ANRU prévoit certes, la démolition de trois bâtiments, mais aussi la réhabilitation des sept autres, la création d’une nouvelle école et d’une nouvelle maison de quartier »_, précise le maire.
Gentrification
Mais pour l’amicale des locataires, le maire veut surtout évacuer une partie de la population. « L’idée, c’est de se débarrasser d’une population pour en faire venir une autre : 30 % des habitants risquent de ne pas pouvoir réintégrer leur quartier après la rénovation », assure Romain Gaillard, de l’association Appuii. Nicolas Dainville prétend de son côté que « tous ceux qui veulent rester dans le quartier pourront rester ». Tout en admettant qu’il n’y a qu’une « vingtaine de départ par an dans le quartier » alors que 212 relogements au minimum sont à prévoir. « On sait très bien qu’il y a aussi beaucoup de gens qui veulent partir du quartier », affirme le maire qui a établi une charte avec les communes des alentours pour accueillir les familles à reloger. L’amicale regrette le manque de concertation avec les habitants qui, eux, craignent d’être relogés loin du quartier.
Ce projet qui s’apparente à un début de gentrification du quartier, oppose la mairie à certaines associations de locataires, dont l’Amicale présidée par Abdenbi Kenba. Pour lui, pas de doute. M. Dainville a déposé plainte contre lui dans le but de l’intimider : « Je m’oppose à un projet de démolition, je représente les habitants : il veut m’intimider pour faire passer son projet en force », explique-t-il. Nicolas Dainville refuse de considérer l’affaire sous cet angle. « À un moment donné je ne peux pas laisser passer. On ne parle pas comme ça à un élu quand on est président d’association », se défend-il en déplorant un climat « de haine » – en mars, l’édile s’est fait caillasser sa voiture par un jeune alors qu’il allait faire du porte-à-porte au Bois de l’Etang. Il accuse les associations d’avoir fait prendre un tournant politique à l’affaire, M. Kenba s’étant présenté aux municipales sur la liste de Gérard Claude Morfin (divers gauche).
Ce cas, que l’équipe d’Appuii considère comme une restriction de liberté associative, ne semble pas isolé.
Perte de subventions
À la Courneuve, Aly Diouara est président de l’amicale des locataires du mail Maurice de Fontenay qui interpelle le bailleur social Seine-Saint-Denis Habitat sur les dysfonctionnements de son parc de logement (remontées des eaux usées, ascenseurs pas suffisamment sécurisés etc). Il s’occupe aussi de l’association ASAD qui fait de l’aide aux devoirs dans le quartier du mail de Fontenay.
Ces deux associations ont vu leurs subventions réduites, sans raison apparente. Pour Aly Diouara, ça ne fait pas de doute : « Cela est lié à mon engagement citoyen depuis de nombreuses années et notamment mes prises de position publiques. » Sur les réseaux sociaux, ce chargé de mission à la ville de Bobigny, interpelle régulièrement Gilles Poux, maire (PCF) de La Courneuve, et Stéphane Troussel, président (PS) du département de Seine-Saint-Denis. Aly Diouara se présente d’ailleurs aux départementales sur le canton de La Courneuve, contre la liste socialiste.
Selon lui, en mars 2021, l’association ASAD a vu ses subventions municipales réduites de 33% sans justification. Contactée, la mairie de La Courneuve explique avoir revu toutes les subventions municipales à l’occasion du nouveau mandat de Gilles Poux et décidé de « créer un nouveau projet pour permettre à de nouvelles associations, pas forcément établies, d’avoir des fonds ». La mairie assure en avoir informé M. Diouara et regrette que ce dernier l’ait pris « personnellement ».
Quant à l’association de locataires du mail Maurice de Fontenay, elle devait, en 2020, recevoir une subvention de 3.000€ du bailleur Seine-Saint-Denis Habitat, organisée en deux versements : un en février, l’autre en octobre. En septembre 2019, l’amicale des locataires interpelle le bailleur sur le montant des charges, qu’elle juge abusives. Dans un courrier envoyé le 4 janvier 2020, l’amicale des locataires alerte également sur l’état des ascenseurs et le fait que des appartements soient occupés gratuitement par des agents du bailleur. En octobre 2020, l’association ne reçoit pas le deuxième versement de sa subvention, soit 1.500€. Après plusieurs relances, dont la dernière date de janvier 2021, l’association n’a toujours pas reçu sa deuxième subvention, dénonce l’Observatoire des libertés associatives – coalition d’associations qui défendent les libertés associatives. Contacté, Seine-Saint-Denis Habitat, le bailleur, n’a pas répondu à nos sollicitations.
Privée de salle de réunion
À Aubervilliers, c’est l’Alliance citoyenne, une association de locataires de logements sociaux, qui est confrontée à des refus de location de salle après avoir critiqué la régulation des charges, considérées comme abusives. Pour l’Observatoire des libertés associatives : « l’OPH d’Aubervilliers (Office public de l’habitat, un bailleur public qui dépend de la mairie) ostracise une association de locataires et la prive de salle de réunion ». Le 3 septembre 2019, l’association a demandé un rendez-vous avec l’office HLM pour la régulation des charges considérées comme abusives et souhaite réserver une salle pour en discuter. Ce mail est resté sans réponse, malgré plusieurs relances téléphoniques, indique l’Observatoire de la vie associative. L’OPH a fini par leur notifier que cette salle dépendait de la mairie et non de l’OPH. Non seulement c’est faux mais c’est aussi omettre que l’OPH d’Aubervilliers est présidée par un adjoint au maire (PCF jusqu’en juin 2020) d’Aubervilliers.
L’Observatoire des libertés associatives a ainsi recensé plus de 108 cas d’atteintes aux droits des associations, en France, ces dernières années.
Pour en savoir plus : https://www.lacoalition.fr/Observatoire
Chaque jour, Politis donne une voix à celles et ceux qui ne l’ont pas, pour favoriser des prises de conscience politiques et le débat d’idées, par ses enquêtes, reportages et analyses. Parce que chez Politis, on pense que l’émancipation de chacun·e et la vitalité de notre démocratie dépendent (aussi) d’une information libre et indépendante.
Faire Un Don