Les monnaies locales se déploient auprès des élus
Pour dynamiser l’économie de proximité, ces monnaies complémentaires se développent depuis dix ans dans les territoires. Peu connu, leur rôle suscite un intérêt croissant auprès des représentants politiques.
Dans la cité des Gones, Émeline Baume de Brosses, vice-présidente de la métropole de Lyon, recevra bientôt une partie de ses indemnités d’élue dans la monnaie locale lyonnaise. L’épicerie, la boulangerie, la libraire, le médecin… il lui sera possible de dépenser ses Gonettes dans un réseau de 355 commerces et services locaux. « Je suis convaincue que les monnaies locales sont un outil pour maintenir et accélérer l’économie de proximité », affirme-t-elle.
Complémentaire à l’euro, les monnaies locales citoyennes (MLC) sont émises par des associations. La première d’entre-elle, l’Abeille, fait son apparition dans le Lot-et-Garonne, en 2010. Aujourd’hui, la France en compte 82, dont la somme totale, en circulation, équivaut à cinq millions d’euros.
Avec leurs noms extravagants, l’Abeille, la Pive, le Buzuk, l’Ourse ou encore la Cagole, donnent à sourire. Pourtant, leur rôle a un impact certain sur les territoires et leurs habitants, à en juger par le rapport du Mouvement Sol qui fédère une quarantaine de monnaie locales. Réappropriation de l’outil monétaire, développement des solidarités, gain de richesses pour les territoires… les avantages mis en avant par le collectif y sont nombreux.
Encadrées par la législation, les MLC s’inscrivent dans la loi relative à l’économie sociale et solidaire de juillet 2014. N’ayant de valeur que sur leur territoire, elles sont dédiées à circuler en proximité pour renforcer le tissu économique local. Ceci est assuré par une charte éthique favorisant les circuits courts et la production locale.
Crédit Photo: Mouvement Sol
Pour que des transactions soient possibles en MLC, les particuliers et entreprises échangent auprès de l’association, à parité fixe, leurs euros en monnaie locale. Une fois converti, ces euros sont déposés dans une banque éthique, comme la Nef, où la spéculation est impossible. De son côté, la MLC doit circuler le plus possible, pour dynamiser l’économie locale.
Dans cette perspective, la métropole de Lyon s’est saisie de la monnaie locale de sa ville. « Notre objectif est de générer du flux de Gonettes pour créer de l’appétence du côté des commerces et des habitants », explique Émeline Baume. À travers son adhésion à la Gonette, le 26 avril, Lyon tient son engagement de campagne et permet aux élus de percevoir, tout ou partie, de leurs indemnités en monnaie locale.
« Dans mon cas, je souhaite que ce soit à hauteur de 10 %. C’est possible pour moi, car j’habite dans le centre de Lyon et il y a beaucoup d’offres de consommation en Gonette. Mais je comprends que certains de mes collègues, plus éloignés de ces offres, restent sur une somme symbolique », précise la conseillère.
Effectivement, même si les MLC fédèrent 40 000 particuliers et 10 000 professionnels, leur emploi reste marginal et peu connu du grand public. C’est pourquoi les porteurs de monnaies locales encouragent les collectivités à s’en emparer et Lyon n’est pas la seule ville à le faire.
Pour comprendre le rôle joué par les institutions politiques dans le déploiement des MLC, il faut se rendre au Pays-Basque, sur le territoire de la monnaie locale la plus utilisée d’Europe. Là-bas, circule 2,5 millions d’Eusko, parmi un maillage de 4 000 particuliers, 1 200 professionnels, 27 communes et la Communauté d’agglomération du Pays-Basque.
Effectivement, en 2017, Bayonne est la première ville où le paiement et l’encaissement, en monnaie locale, est rendu possible dans les différents services de la ville.
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Premier à lier les collectivités à l’action des monnaies locales, l’Eusko est devenu un exemple. À leur tour, dix collectivités ont intégré la monnaie locale dans leur fonctionnement. Au Pays-Basque, il est désormais possible d’acheter son ticket de piscine en Eusko, à Nantes d’obtenir son titre de transport en Moneko, en Vendée de payer la cantine scolaire en Vendéo ou encore à Chambéry de se rendre au musée et à la cité des arts avec pour seule monnaie l’Elef.
Crédit photo: Isabelle Miquelestorena
Mais contraintes par la législation, les collectivités ne peuvent pas directement redistribuer la monnaie locale perçue, par les régies (1), sur leur territoire. « Une fois par mois, celles-ci doivent passer par l’association émettrice de la monnaie locale pour convertir leurs euskos en euros puis déposer ces euros au Trésor public. Ensuite, pour émettre des dépenses en euskos, elles doivent lancer une autre procédure, distincte. Le mieux serait que les Villes disposent directement d’un compte en monnaie locale pour pouvoir encaisser les MLC, les stocker, puis s’en servir pour effectuer directement des paiements en MLC », explique Dante Edme-Sanjurjo, cofondateur d’Euskal Moneta (Eusko) et co-président du Mouvement Sol.
Cette évolution permettrait de pérenniser le rôle des monnaies locales, en assurant un maintien de l’argent public sur le territoire. Les porteurs de MLC ont donc décidé de réfléchir collectivement à des solutions juridiques pour faciliter l’usage des monnaies locales par les collectivités. « Si les mairies avaient un compte en monnaie locale, les euskos encaissés par la piscine pourraient servir à payer directement les indemnités des élus par exemple », poursuit Dante Edme-Sanjurjo.
En Provence, Alain Andrieux, membre du collège des usagers de la Roue Salonaise, en a lui aussi fait sa priorité. Sa ville votait l’adhésion à la Roue, le 11 mai dernier. Tout comme Dante Edme-Sanjurjo, il souhaite que le phénomène se généralise. « Nous devons faire entendre notre voix aux élus politiques pour accélérer leur déploiement auprès du grand public ».
Pour aller dans ce sens, la Roue a pu compter sur le soutien de Jean-Marc Zulesi, député LREM de Salon-de-Provence. « La crise sanitaire a montré une volonté de la part de nos concitoyens d’un retour au local. Permettre aux collectivités d’ouvrir un compte en MLC, c’est les encourager à s’en emparer et apporter une réponse à la demande des habitants. Tout simplement car la monnaie locale est l’outil idéal pour relocaliser l’économie et dynamiser durablement nos territoires. »
En août 2020, il avertissait à ce sujet dans une question écrite au gouvernement et ajoute vouloir _« porter la demande dans le cadre de la loi 4D ». Ce projet de loi de décentralisation, dit « 4D » pour différenciation, décentralisation, déconcentration et décomplexification, sera présenté au Conseil des ministres à l’automne. Le député LREM espère alors qu’il permettra de faire évoluer l’usage des MLC dans le sens de sa question.
Lorsqu’une collectivité paie une subvention en monnaie locale, elle aide l’association et en plus les entreprises de son territoire
Pour le fervent défenseur de la monnaie locale Dante Edme-Sanjurjo, les collectivités ont tout intérêt à s’emparer des monnaies locales_. « Il s’agit là d’un outil formidable ! Lorsqu’une collectivité paie une subvention en monnaie locale, elle aide l’association et en plus les entreprises de son territoire ! Pour un buffet d’après-match, le club de foot va par exemple, grâce à la monnaie locale, faire marcher la boucherie du coin pour le jambon et la boulangerie locale pour le pain, au lieu de tout acheter au supermarché. Il sera obligé de faire marcher les commerces locaux, qui ont besoin de soutien aujourd’hui plus que jamais »_, s’enthousiasme-t-il.
Un impact aux effets vertueux pour l’économie de proximité qui semble avoir suscité l’intérêt des Rémois.es et du maire de droite Arnaud Robinet. Dès la sortie du premier confinement, la ville de Reims lançait un plan de relance économique et une plateforme participative pour co-construire, le Reims d’après. Les réflexions ont donné naissance à un projet de création de monnaie locale. Dont les bénéfices ont tout de suite convaincu le maire de Reims.
« Les monnaies locales permettent de renforcer les liens sociaux et d’accompagner la relance économique des territoires. » Et sa motivation a été renforcée par l’âme du projet qu’il juge « rassembleur et dépassant très largement les clivages politiques et les positions dogmatiques ». Selon lui, la ville tient une place essentielle dans l’émergence de la future monnaie locale Rémoise. « Il s’agit d’un projet à co-construire avec l’ensemble des habitants et acteurs du territoire. Et le rôle de la collectivité est de garantir la participation de tous ! », conclut-il.
(1) Services de l’État autorisés à gérer les recettes et dépenses publiques pour le compte d’une collectivité.
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