Macron, l’Afrique et la démocratie
Comme l’a souligné la directrice adjointe du programme Afrique de Human Rights Watch, « la France prête beaucoup d’attention à l’aspect militaire de la lutte contre le jihadisme, mais pas assez au terreau qui l’alimente ». Vaste réflexion qui touche aux limites de notre système.
dans l’hebdo N° 1656 Acheter ce numéro
La France est en guerre et ne le sait pas. Ou si peu. Et ce n’est pas la guerre contre le virus, mais une vraie guerre avec ses avions de chasse, ses hélicoptères, ses véhicules blindés et, surtout, ses victimes, civiles et militaires. C’est l’opération Barkhane, folle entreprise de traque aux jihadistes qui s’étend sur cinq pays d’une zone sahélienne vaste comme l’Europe, et dont l’épicentre est le Mali. La France sait comment elle est entrée dans cette guerre, mais elle ne sait pas comment s’en sortir. Et voilà qu’un putsch, le second en moins d’un an, va peut-être, très paradoxalement, lui en donner l’occasion. L’annonce jupitérienne d’Emmanuel Macron au Journal du dimanche – « Je ne resterai pas aux côtés d’un pays où il n’y a plus de légitimité démocratique » – sonne en tout cas comme un avertissement. Car voilà bien la France « aux côtés » d’un Mali moins démocratique que jamais. On se souvient que c’est François Hollande qui avait lancé notre pays dans cette opération (dite « Serval » à l’époque) officiellement destinée à bloquer la progression de colonnes jihadistes lancées sur la route de Bamako.
On ne discutera pas ici de l’opportunité de cette décision. Les conséquences de la prise de la capitale malienne par les jihadistes auraient été incalculables. Mais c’était en janvier 2013, et huit ans plus tard, nous y sommes toujours. Pire : la junte au pouvoir est suspectée de faiblesse, sinon de connivences avec certains groupes jihadistes. Et l’époque est aux enlisements et aux retraites penaudes. Voir les Américains en Afghanistan. Les guerres sont sans fin quand elles sont livrées à des groupes implantés dans des populations dont ils sont aussi l’émanation. Le carnage de Bounti, en janvier dernier, quand l’aviation française a bombardé un mariage pris pour un rassemblement jihadiste, a montré tragiquement les pièges d’une guerre impossible. L’épisode avait posé l’éternelle question de ce qu’on appelle « terrorisme ». Une enquête de la Minusma, la mission des Nations unies au Mali, avait établi qu’il y avait bien quelques hommes en armes dans la foule des villageois. Les jihadistes ne viennent jamais de nulle part. Mais ce sont les civils qui ont été anéantis.
Rappel
AG de notre association Pour Politis, samedi 5 juin, de 14 h à 18 h à l’Ageca, 177, rue de Charonne, Paris XIe (M° Alexandre-Dumas). Une participation à distance sera possible, pour celles et ceux qui le souhaiteraient. Inscription à l’adresse association@politis.fr
Même le Rwanda n’offre pas toutes les garanties. Certes, cela fait longtemps que Paul Kagamé porte avec élégance le costume anthracite des chefs d’État respectables. L’homme est habile. En saluant le discours d’Emmanuel Macron, « qui, a-t-il dit, a plus de valeur que des excuses », il a aidé le président français à tourner la page du génocide, quoi que subsiste le problème des génocidaires qui coulent des jours tranquilles en France. Mais une autre page s’ouvre qui ne sera peut-être pas facile non plus. Car Kagamé, réélu avec 98 % des voix, réformateur à son seul profit d’une constitution taillée sur mesure, embastilleur sans scrupule d’opposants et de journalistes gênants, n’est pas précisément un démocrate. Il ne serait pas le premier libérateur à devenir tyran. Il ne faudrait pas qu’il puisse, un jour, reprendre à son compte la phrase cynique de l’intellectuel israélien Ilan Greilsammer pour qui « la Shoah est opposable à tous ». Ou quand la mémoire du génocide autorise les survivants à tous les crimes.
Une analyse au cordeau, et toujours pédagogique, des grandes questions internationales et politiques qui font l’actualité.
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